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Culture

30 ans de fête à Manchester, le berceau européen de l’acid house racontés par Javi Senz

Les débuts d'un mouvement qui a marqué toute une génération

  • Thomas Andrei
  • 21 March 2018

Trente ans de culture club racontés en 1h30. C’est le pari tenté par Javier Senz dans son film Manchester Keeps On Dancing. Alors que le documentaire est projeté jeudi 22 mars en avant première française au Grand Rex, le réalisateur espagnol revient sur la genèse de son projet et sur ce qui fait de Manchester une ville unique.

Tu es de Madrid, quand es-tu arrivé à Manchester ?

En 2013, pour travailler comme directeur de la chaîne télé de Manchester City. Une super opportunité dans le foot, qui m’a permis de découvrir cette ville. Quand tu marches dans la rue, tu sens que la musique y est partout. Ce n’est pas très beau, Manchester… C’est même assez laid. Il pleut beaucoup, le climat est atroce. Et ça pousse les gens à la création. Pourquoi toutes ces scènes musicales ? Que ce soit New Order, Joy Division, les Smiths, puis Oasis et donc toute la musique électronique. C’est ce que je voulais comprendre. En Angleterre, tu finis de bosser à 17h. Alors j’avais le temps d’étudier ça. J’ai pris la caméra de Manchester City et j’ai commencé à faire des interviews en vue de faire quelque chose de 20 minutes. Puis, j’ai commencé à rencontrer des gens importants, comme Colin Curtis, qui était déjà DJ dans les 60s.

Puis tu as fini par raconter 30 ans…

Oui. Depuis la Northern Soul à l’arrivée de la musique électronique jusqu’à nos jours, The Warehouse Project. Il y a d’autres documentaires sur plusieurs scènes, mais pas un sur tout ce qui s’est passé et pourquoi Manchester est une ville-clef du développement de la culture club. Comme chacun sait, Manchester est une ville très industrielle. Les routes commerciales qu’utilisaient la ville ont été les mêmes pour la musique : New York, Chicago, Detroit. Une musique arrivait sur le dancefloor l’Haçienda, explosait là, puis explosait en Europe.

C’est comment, cette fameuse atmosphère de Manchester, dont tout le monde parle ? En quoi est-ce différent de Londres ?

Quand les gens sortent à Manchester, c’est pour s’amuser. Pour danser. Pour la musique. Ils sont ouverts à tout. Ils ne sont pas là pour se montrer ou poser. Pas là pour le look. À Londres, tu trouves aussi des clubs comme ça, mais il y a beaucoup plus de hype. Les gens veulent être cools. Manchester, c’est les racines. C’est plus brut. Les gens sortent pour oublier et danser. Puis les gens à Manchester sont simplement plus gentils ! Plus amicaux. Là où les Londoniens peuvent être fermés, les gens du Nord de l’Angleterre sont souvent très ouverts. J’ai des amis argentins à Londres. Ils ne se font pas vraiment d’amis londoniens. Alors que des amis de Manchester, j’en ai plein. On t’invite plus à dîner, on t’ouvre plus la porte.

Au début du film, Krysko, qui t’a servi de consultant, dit que les foules de Manchester sont différentes de celles des autres clubs dans le monde. En quoi le sont-elles ?

Les gens sont très ouverts à toute sorte de musique. Tu sens que ça fait partie de leur héritage. La fête, c’est dans leur sang. C’est très ancré dans leur culture. Tu sais, il n’y pas non plus grand chose à faire à Manchester. Quand des amis venaient me voir je disais : “ c’est une ville pour le foot, la musique et la bière.” On voyait un bon match, on buvait une bière et on sortait. Vu qu’il y a peu à faire, la fête est un élément central. Si tu lis le livre de Dave Haslam, tu apprends que c’était déjà comme ça au XIXe siècle, après la révolution industrielle. Les gens travaillaient beaucoup et allaient s’amuser un soir par semaine dans les bars où l’on jouait déjà de la musique. Leurs vies étaient misérables et ils pouvaient l’oublier. Et ça a continué. J’ai souvent vu des sexagénaires danser, un dimanche soir. Parce qu’ils ont fait ça toute leur vie. Alors avoir une famille et des enfants, ça ne change rien. Et ils n’ont pas besoin de drogue ! Ils laissent ça aux jeunes…

Tu peux me raconter une de tes soirées à Manchester ?

(Il prend un temps et réfléchit). Il y en a eu quelques unes… En principe, on commençait par quelques bières à la maison. Puis tu prends un Uber parce qu’il pleut. Tu vas au Northern Quarter, le quartier un peu hispter, où étaient les studios de New Order. Tu as de bons bars, comme le Soup Kitchen ou le DRY bar, également créé par les gens de l’Haçienda. Tu vides quelques pintes, à côté de toutes ces anglaises en mini-jupes, sans culottes, même si il pleut et fait très froid. Ensuite, tu peux aller au Curry Mile, où y’a de super restaurants indiens. Après, tu te trouves dans de petites rues étroites, qui n’inspirent pas confiance, dans des quartiers qui craignent un peu. Là, tu commences à entendre “vrooom, vroom, vrooom.” (Il mime des murs qui tremblent). Tu peux voir des gens un peu différents, plus habillés. Tu continues et tu peux tomber sur un jardin, avec des pierres par terre, qui tremblent. “ Pchan ! Pchan ! Pchan !” (Il imite un son qui claque.) Et dans ta tête, tu mixes déjà ça avec le “ vroom vroom.” Tu mixes les beats. Puis, tu arrives à HomoElectric. Toujours un de mes endroits préférés. Là, tout change. C’était dans un vieux manoir abandonné, mais je crois qu’ils déménagent. Tout était rouillé, ça sentait pas forcément bon, les toilettes étaient à l’arrache, il y avait des petits coins bizarres. La musique était toujours très ouverte, disco, groovy. Et les gens sont vraiment là pour s’éclater et sont très divers. Tu vas là, tu te sens à la maison.

Dans le film, vous mentionnez les gangsters qui ont fait beaucoup de mal à la culture club de la ville. Sans trop développer…

(Il coupe et grimace). Je voulais surtout me concentrer sur la musique et l’esprit de la ville. Pas sur la drogue ou ces histoires. Sur ma chaîne YouTube, il y a des extraits que je n’ai pas utilisés dans le film. Laurent Garnier raconte qu’il avait un colocataire qui s’est fait tuer. Quand tout a explosé, les gangsters ont fini par prendre le contrôle de la drogue. Puis des boîtes. Ils étaient à l’entrée de l’Haçienda et de plein de clubs. Ils faisaient rentrer les gens qui connaissaient les dealers de leur gang, pas les autres. C’était au début des 90s et pendant 5 ans, les choses n’étaient pas roses à Manchester. C’était triste. Les gens fuyaient tout ça. C’était trop dangereux de sortir à Manchester, alors ils sortaient ailleurs comme au club Back to Basics, à Leeds. Le mec de Bugged Out, est parti à Leeds, comme on en parle dans le film. Puis au milieu des années 90, quand les choses se sont calmées, il a pu revenir. La police a dû intervenir, mettre du monde en prison.

Quelle est la plus belle chose que tu aies vue dans tes nuits à Manchester ?

La communion. Quand les gens dansent tous ensemble, ça peut être une expérience spirituelle. Les gens qui sont tous dans la même humeur, avec un beau sourire accroché à leur visage. Tu en vois à Warehouse Project, dans le film, qui ne s’arrêtent pas pendant cinq heures. Comme s’ils n’avaient jamais besoin d’aller aux toilettes. Et tu vois ça de manière différente partout. Comme au club de Colin Curtis : FREESTYLIN´. Ça a dû fermer à cause d’une inondation, mais c’était dans un pub très agréable qui s’appelait le Mark Addy. À travers les fenêtres, on pouvait voir la rivière. C’était ouvert 6 fois l’an, les dimanches avant les jours fériés. Ça ouvre à 18h et ferme à minuit ou 1h. Il n’y a pas trop de monde. Tu n’as que des gens de 50 ans ou 60 ans. J’étais le plus jeune et j’avais 40 ans à ce moment-là. Ils dansent sur du reggae, du disco, de la soul. Ils dansent de tout. Des danses de salon ! Les images du début du film, quand tu vois ce mec avec un chapeau, qui fait un peu pimp, c’est filmé là. Ils dansent seulement pour danser. Je voulais ne rester qu’une heure et je suis parti à la fermeture. C’est des gens qui sont vraiment là pour l’amour de la musique. Chez Warehouse Project, tout le monde est défoncé. Là, les gens dansent simplement, comme quand ils dansaient sur de la Northern Soul quand ils étaient jeunes. Ils dansent seulement pour danser.

La première du film ‘Manchester Keep On Dancing’ aura lieu au Grand Rex, jeudi 22 mars 2018 et au Bordeaux Film Festival, Musical Écran le 5 avril 2018.

Crédits :

Propos rapportés par Thomas Andrei
Images : Peter Walsh, Getty, DR

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