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Reportage

À l'aube de leurs 30 ans, les Eurockéennes continuent de se réinventer.

Retour sur une édition 2017 sans faute.

  • Camille-Léonor Darthout
  • 11 July 2017

L’un des plus grand festival de France - de part sa taille et son histoire - se tenait ce week-end, du 6 au 9 juillet 2017. Les Eurockéennes de Belfort, dans la région Bourgogne Franche-Comté, fête cette année sa 29ème édition. Un beau record pour un événement made in France, initié en 1989 et devenu depuis l’un des plus emblématiques du pays.

Emblématique par son envergure auprès d’un public international, par sa taille avec pas moins de quatre scènes et bien sûr, par sa programmation éclectique qui aura vu passer un nombre conséquent de légendes de la musique, des Daft Punk à Metallica en passant par Jamiroquai et David Bowie.

Une nouvelle édition où la musique électronique était bien représentée sur la programmation, qui invitait cette année Nina Kraviz, Moderat, Vitalic, Justice mais aussi Helena Hauff - entre autres.

Retour sur une édition pour le moins riche : en festivaliers, en performances, en émotions et en degrés Celsius.

Photo : Les anonymes aux renards.

​JEUDI

Le soleil tape. Fort. Sur le chemin du festival - une épopée fantastique au passage de villages locaux et de parcelles de bitume au coeur de forêts luxuriantes - les voitures s’impatientent. Il faudra quasiment trois heures d'une avancée au compte-goutte, pour apercevoir le parking du camping.

L’après-midi touche à sa fin, et sur le terrain vague dénué d’arbres, les tentes s'érigent sur l’herbe calcinée. Les nouveaux voisins font connaissance, l’humeur est joviale, les conversations à hauts décibels et invitation à «l’apéro!» résonnent. Les Eurockéennes 2017 sont lancées.

Les installations sont brèves et concises, car déjà le soleil nous fait ses aurevoirs et annonce la tombée de la nuit. Des navettes attendent à tour de rôle les festivaliers pour les mener à l’espace concert où les quatres scènes - la Green Room, la Plage, la Grande Scène et la Loggia - accueilleront pas moins de 74 artistes tout au long de ce week-end prolongé. Les plus téméraires pourront se rendre à pied sur le site, et devront pour ce faire braver les redoutables ‘rails des eurocks’, voie ferrée convertie en chemin pèlerin.

Des secousses remuent les bus blindés de coeurs heureux, qui chantent à tue tête et sans répit des hymnes paillards. Quelques minutes de transport suffisent pour accéder à l’entrée principale des Eurockéennes. La nuit est déjà là.

Une fois les portes d’accès passées, c’est l’exploration, la découverte : quelles surprises réserve le site ? Food trucks en pagaille, de la tarte flambée locale aux glaces Ben & Jerry’s, des stands de marques, des bars à thème : les entités sont nombreuses, postées stratégiquement pour ne pas brimer le flux humain qui vagabonde entre les scènes.

Photo : Un food-truck 'Le Comptoir Camarguais'

Iggy Pop est en train de mettre le feu sur la Grande Scène. Désarticulé, l’Iguane se pavane de part et d’autres de la grande arche - pour finalement descendre dans le crash prendre son bain de foule. L’installation est judicieuse. En aval d’une butte, l’emplacement est une cuvette sonore qui optimise les retours de la musique.

De l’autre côté du site, Petit Biscuit enchante les festivaliers sur la Plage. L’eau clapote sous cette scène installée sur le sable en bordure du lac. Ici, la beauté du cadre - le Lac du Malsaucy - est à l’apogée de sa splendeur, sous les lueurs hystériques des projections visuelles. C’est d’ailleurs là que Nina Kraviz se produit, une heure plus tard.

L’artiste russe tient la scène seule derrière ses platines vinyles. Le décor scénographique est épuré, en fait quasiment inexistant hormis quelques effets lumineux. Pendant deux heures, les galettes de Nina s’enchaînent et séduisent les oreilles averties. La techno est traitée dans son sens le plus large, de l’acid à la minimale.

Une flopée de sonorités tantôt exaltantes, tantôt planantes font du set de Nina une exploration musicale. Pas de redondances ni de linéarité, la prestation est accessible.

Mais bien que Nina Kraviz soit fédératrice sur cette plage noircie par le monde, c’est la Grande Scène qui fait carton plein, là où la déferlante DJ Snake sévit.

Sans un mot, Nina disparaît. Première journée de festival conclue. La foule suit le chemin menant à la sortie, les portes fermeront bientôt.

Photo : Nina Kraviz mixe sur la plage du Malsaucy.

​VENDREDI

Le réveil est difficile : les tentes en proie à la chaleur déjà fulgurante. Assommés par la température qui n’offre aucun répit, la majorité des campeurs sont réveillés à 10h à en croire les queues qui s'étirent devant les cabines de douches.

Café-pain au chocolat ou pizza-bière, à chacun son petit déjeuner sur l’espace de vie du campement, où les food trucks et bars se mêlent aux stands de jeux, de tatouage, de bijoux et à la friperie.

La carcasse noire du camion Desperados, centre de gravité de l’espace, crache un morceau de Bicep. Quelques téméraires se déchaînent sous le cagnard et investissent un nouveau dancefloor terreux. La poussière s’envole, le décor est aride.

Posté là une bière à la main : le Maire du camping, écharpe de sa distinction qui lui barre le torse. Élu par vote sur les réseaux sociaux, le dit ‘Philou’ avoue avoir reçu ce privilège par surprise.

«Ça fait dix ans que je viens aux Eurockéennes, qu’on prépare ça des mois à l’avance. C’est mon plaisir annuel ce festival, pas besoin de partir bien loin de mon Vesoul d’origine pour m’éclater avec ma bande de potes. Quand j’ai reçu un mail m’indiquant que j’avais remporté le concours Facebook, c’était la consécration.»

Philippe n’est pas le seul à jurer fidélité au festival. Principale initiative culturelle de la région, les Eurockéennes ont au fil des années su amarrer un nombre impressionnant d’assidus. Il n’est pas rare de rencontrer des personnes qui ont assisté aux premières éditions ou qui se sont affiliées à une résidence au festival.

Photo : Monsieur le Maire, en plein exercice de ses fonctions.

Le projet est né de la volonté du Conseil Général du Territoire de Belfort de dynamiser le département en proposant un événement culturel majeur et de rassembler la jeunesse. À l’époque, presque trente ans en arrière, le rock est dans l’ère du temps, alors ‘Eurockéennes’ est un nom fédérateur. La programmation est pourtant éclectique depuis ses débuts, d’abord du rock à la chanson française, désormais du métal à la techno.

Le virage électro est pris tôt. En 1996 déjà, les Daft Punk jouaient sur la scène des Eurockéennes. Jean-Paul, le directeur du festival, se rappelle :

«À l’époque dans les années 90, ça faisait chier certaines communautés que du rock ou que d’autres genres fédérateurs soient programmés en festival. Alors ces personnes ont initié les ‘Fuck party’ anti-eurocks. Le concept, c’était d’organiser des rave party hors du festival et de drainer le public. Ces contre-soirées ont aujourd’hui disparu parce qu’on a aussi su s’adapter, intégrer l’électronique à notre programmation».

Faire de la veille musicale pour découvrir de nouveaux artistes, et pour faire découvrir de nouveaux artistes. C’est le challenge des Eurockéennes et de son équipe. Christian, l’un des programmateur du festival, explique:

«Si on est aussi éclectiques dans notre programmation, c’est parce que c’est dans la logique de la consommation musicale. Quand vous faites des soirées avec vos potes, vous ne faites pas des soirées en imposant un thème musical, en leur obligeant d’écouter du rock ou du rap. C’est pareil pour nous, notre programmation est à l’image de ce qu’on écoute. Bien sûr, il y a de grosses têtes d’affiche chaque année. Mais il y a surtout nos coup de coeurs et découvertes artistiques, ceux qu’on veut représenter et faire découvrir au public des eurocks».

Pas de ‘ghettoïsation’ des scènes et du public. La manifestation est une invitation au divertissement, mais surtout à l’exploration de nouveaux horizons musicaux. Voilà comment au milieu des métalleux de Gojira et de la carrure du rap américain Gucci Mane, on retrouve Moderat.

Un live électro d’ailleurs surprenant et bien ancré dans ces valeurs en faveur de croisées musicales. Debout devant des visuels psychédéliques, belle prouesse artistique, le trio statique pianote sur ses machines.

Avec un album aussi vocal que ‘III’, Apparat se retrouve malgré lui à pousser la chansonnette sur bon nombre de morceaux. La performance est surprenante, Modeselektor méconnaissable avec leurs basses assagies et enveloppantes. Dans la nuit, les notes lénifient la foule. Et sur des notes lunaires, s’éteint le second jour des festivités.

SAMEDI

La chaleur, et une journée encore insoutenable. Les douches sont toujours blindées.

Aujourd’hui, le programme est chargé avec l’ouverture de la Plage à 16h pour un DJ set de Vitalic avant son live du soir. Invité spécial de la 29ème édition, il a composé avec les autres programmateurs du festival le line-up estival destiné à animer les rives du lac du Malsaucy dans l’après-midi.

Photo : La Plage

En attendant, il est 11 heures et le site du festival n’a pas encore ouvert au public.

Des cymbales se mêlent à des notes de basse. Une introduction emblématique, les campeurs s’animent en reconnaissant le morceau. ‘Are you gonna be my girl’ de Jet.

Au troisième jour de festivités, la fatigue est aux abonnés absents. L’énergie est là, l’ambiance délirante et hilarante. Au détour du camion Desperados, le set rock de Winston Smith - à l’origine du complot musical de Jet - encanaille les passants. Brainstorm’x, organisme événementiel qui compte quinze années de soirées électro à son actif dans la région, a été invité par les Eurockéennes pour réveiller sans trop de douceur (mais en musique) le bivouac. Chose promise, chose dûe, Saverio et Nicolas rejoignent leur complice sur le toit de la camionnette pour se relayer durant quatre heures de DJ set.

Les deux confrères sont heureux et honorés :

«On est dans un festival qui draine pas moins de 100 000 festivaliers, c’est un truc énorme et incroyable. Pouvoir se produire ici, c’est avoir l’opportunité de mettre un peu de toi dans tout ça. Et c’est juste dingue» déclare Saverio, résident pour les promoteurs strasbourgeois Souldancer.

Le patron de Brainstromi’x, Nicolas aka Noxico, voit l’évolution du festival d’un bon oeil.

«Nina Kraviz à Belfort, il fallait le faire. Ici, malgré ce que les gens peuvent croire, il y a un public électro. On tourne depuis 15 ans et on arrive à afficher complet à des soirées qui présentent des artistes pointus comme Elisa do Brazil. Que les Eurockéennes place l’électro au milieu d’une programmation aussi éclectique peut permettre de toucher un public plus large, d’intéresser les locaux à des genres auxquels ils ne sont pas habitués. Du coup, on salue l’initiative».

Photo : Saverio, DJ local, en plein set

Sur le camping, deep house, techno et sonorités funk et world vont bon train et ravivent les âmes étouffées par l'atmosphère suffocante . C’est ça aussi, l’initiative de la nouvelle équipe des Eurockéennes : mettre à l’honneur la vie en collectivité, le rapport humain. La nouveauté cette année, c’est que le festival a racheté les terrains qui lui servent de campement.

Selon la direction, le camping prend une place majeur dans le projet. Il est le lieu de vie et de rencontres. Y intégrer une scène musicale, en plus d’offrir de l’espace aux artistes locaux, c’est créer une ambiance familiale et chaleureuse entre festivaliers.

Photo : Campement et canicule

Sonnent 16 heures. Il est tant de sauter dans les premières navettes. Vitalic va lancer son marathon. La plage s’anime, la scène s’illumine. Entre chaque prestation de 45 minutes, DJ Zombie Prince est le fil d’Ariane qui assure les transitions. Helena Hauff offre un set techno splendide et booste la foule à bloc pour le live de Vitalic qui s’en suit.

Une présentation de son nouvel album ‘Voyager’ incroyable, digne du pionnier de la scène électro française qui est habitué des prouesses scéniques. La puissance musicale est agrémentée d’une performance visuelle grandiose. C’est réussi, Vitalic triomphe.

Photo : Vitalic, roi de la scene

Tandis que les premières gouttes se profilent à l’horizon- la tempête annoncée plus tôt dans l’après-midi n’était donc pas un mythe météorologique - la foule se déplace vers La Grande Scène. Bientôt, deux individus indissociables de leurs bombers satinés monteront sur scène, deux rockstars de la French touch, le duo Justice.

Les quelques gouttes s’épaississent. Un torrent glacé s'abat sur le site, mais ne dissuade en rien le public, figé en attendant le groupe. La performance est bloquée par les intempéris.

Finalement, des jets de fumée masquent la scène. Dans un nuage opaque, Justice se lance. Peu de répit, un live prodigieux : la foule est en délire. La pluie s’arrête finalement. Ce sont des morceaux d’adrénaline qui claquent dans les airs. Jusqu’à la dernière lueur de la scène, le public est là. Il reste.

Photo : Justice entame son show sous des trombes d'eau

Fidèle. C‘est finalement peut-être un peu ça, qui a fait le grand succès des Eurockéennes. Des prestations prodigieuses, une organisation impeccable - et un public amoureux. Fier de sa région, fier de son festival, fier de voir qu’ici, sur son Malsaucy verdoyant, se tient chaque année un événement unique, un moment de partage qui fait la fierté de Belfort depuis près de 30 ans. Une initiative culturelle - devenue un emblème régional.

Camille est rédactrice stagiaire à Mixmag France. Suivez-la sur Twitter.

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