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Hungry Music ou cinq ans de liesse sans concession

Indépendance, mélodies et vodka Redbull

  • Thomas Andrei
  • 12 April 2018

On pourrait dire qu’après cinq ans, ils ont encore faim, les quatre potes à la tête d’Hungry Music. Sauf que le label basé à Aix-en-Provence est une entité pure, qui refuse les consignes, les modes et ne cherche pas vraiment le succès. S’ils ont faim, ce n’est que de plus de fête et de musique, maîtres mots d’un concert anniversaire spécial au festival Panoramas.

Tout a commencé par un road trip entre Nancy et Marseille. Ce soir de Février 2011, William Spleen, aujourd’hui label manager d’Hungry, organise une soirée aux Dock des Suds. Fils d’une psychiatre et d’un éducateur, le jeune Aixois de 22 ans bosse déjà sur la prog du Spartacus, club de sa ville natale et du Zénith de Montpellier.

Forcément, la soirée envoie déjà pas mal. Sur scène, on retrouve entre autres Booka Shade, Modeselektor, Monica Cruz et un newcomer : Worakls, récemment découvert en ligne. Depuis devenu amis, le duo se souvient de cette soirée avec une précision remarquable. Comme si, déjà ce soir-là, leurs cerveaux décidaient de consigner des détails utiles à ressortir pour raconter un jour comment leur vie a changé.

Bouteilles de Coca et masque de Sarkozy

« Ça a failli ne pas se faire, explique pourtant William, avec une pointe d’accent provençal. Il m’avait dit de parler avec un gars qui était son manager mais ne m’avait jamais répondu.” William laisse tomber. Pas Worakls. “ Il m’a écrit sur Skype et je lui ai dit que je n’avais pas eu de réponse. Il m’a dit : ‘t’inquiète je viens. Je viens en voiture.’ Il a fait Nancy – Marseille. Il était chaud. »

Avec quatre potes, Workals, Kevin au civil, de grosses rouflaquettes sur les joues, monte dans une 306 noire pour se taper 8 heures de route. « C’était notre période road trip, s’amuse-t-il, dans un accent plus lisse. On avait écouté que des trucs un peu perchés comme du Boris Brejcha, des trucs défoncés, avec de grosses bouteilles de coca et des chips. »

À l’époque, Kevin, et ses potes ont un slogan, que seuls des cerveaux un peu touchés peuvent produire : « Le coca c’est de l’eau. L’eau c’est la vie. La vie c’est la vitesse. » Soit. Au terme de ce périple, Worakls rencontre William dans son bureau : « Une brosse à dents dans la poche de la chemise, prêt à en découdre, » précise le manager. De suite, les deux hommes s’entendent à merveille. La qualité du set de Kevin achève la séduction. « Un gars est monté sur scène pendant qu’il jouait et a scratché sur la platine, rit William, depuis son bureau de la campagne aixoise. Il avait un masque de Nicolas Sarkozy. Le son s’est arrêté et on a dû le faire repartir. Hormis ça, c’était très cool. Tout le monde avait adoré. »


Tellement que Worakls fait partie d’une joyeuse bande d’artistes, organisateurs et fêtards à finir au Pullman, à côté de l’aéroport de Marignane, dans un after interminable qui s’achève tout de même vers midi. « Le soir même, il m’a dit qu’il voulait que je sois son agent, reprend William. ‘Si t’arrives à faire venir Kalkbrenner et 10 000 personnes dans une salle, t’arriveras bien à me vendre.’ Alors, on l’a tentée. »

Une moitiée de l’équipage d’Hungry est déjà constitué. Déjà bien inséré dans le milieu de la nuit, William connaît un certain N’To, un Marseillais qui plaît tout de suite à Worakls. Jouant l’entremetteur, ce dernier propose d’ajouter N’To à la team. Deal. Sur Paris, Worakls apprécie également Joachim Pastor, artiste originaire de Versailles. Lui aussi invité aux Docks des Suds, il devient le quatrième membre.

Le quartet a beau s’entendre comme des amis d’enfance, leurs univers musicaux sont pourtant divers. Le héros de Worakls ? Hans Zimmer. Celui d’N’to ? Freddie Mercury. Joachim Pastor, lui, aime surtout Django Reinhardt et George Brassens. Ces grands écarts musicaux les rendent heureux, mais ne séduisent pas forcément les maisons de disque. « On s’est vite retrouvés face à un mur, se souvient William, en tirant sur sa Marlboro rouge. Quand on allait voir les labels traditionnels, c’était soit trop musical, soit pas assez techno. Ils nous disaient qu’il fallait rajouter des beats pour que les DJs puissent le mixer en soirée. » Sauf que les quatre potes refusent les consignes et ne veulent faire de la musique que comme ils l’entendent. À la fin du match, c’est ce désir d’indépendance qui finira par débloquer la situation.

De Kreuzberg à l’Olympia

Fin 2012, William part en voyage d’affaires à Berlin. « Ce gars de Munich, Sebastian, voulait signer les trois artistes pour sa boîte de management, explique William. Il voulait les aider à se développer. Ils nous ont fait faire le tour du propriétaire. Il parlait profiles, headliners, quoi faire pour être en haut. »

Un discours très loin de séduire le manager aixois. « On s’en foutait, lâche-t-il, humblement. On voulait juste faire notre truc. Ce n’était pas pour nous et on lui a dit. » Alors que l’Allemand écume les pintes de bière d’un petit bar en bois de Kreuzberg, William, plutôt vodka Redbull, n’avale que quelques gorgées. Il tente un coup et balance à la tête de son interlocuteur : « Si tu crois vraiment aux artistes, tu viens bosser avec nous. Mais, nous, on viendra pas chez toi. »

Pourtant label manager de Great Stuff, Sebastian l’Allemand accepte de rejoindre cette bande basée en Provence. « Il nous a mis la motiv’, continue William. Il nous a dit ‘mais les gars, allez-y. Au lieu de manger des murs, faîtes votre truc.’ On s’est dit qu’on n’était pas plus cons que les autres alors on a fait notre label. » Le nom, Hungry Music, est facilement trouvé. Une référence à une expression bien aixoise. « On dit toujours ‘on a faim de musique. On a faim de foot.’ On s’est dit que ça collait bien. »

Le quartet ne se prend pas la tête, la joue naturel et le public aime ça. Si les trois artistes réunissaient déjà pas mal de gens, les unir sur un même ticket, les uns après les autres, crée un engouement décuplé.

« On faisait partie de ce retour de la mélodie dans la techno, explique William. Une sorte de French Touch 3.0. C’est ça qui plaisait au public. » Et aussi au milieu. Le label n’est pas lancé depuis un an que Pete Tong passe des coups de fil admiratifs à William, avant qu’un deal d’édition soit signé chez Warner.

Après une date à guichets fermés au Showcase, le manager veut passer à la vitesse supérieure. Des 1500 tickets habituels, il en vise 3 000. Après une revue des cibles parisiennes, il tombe sur l’Olympia. Et pourquoi pas ? « J’ai vu que c’était 2 800 personnes, relate William. Alors je suis simplement allé sur Olympia.fr, page contact et ils nous ont trouvé une date dispo. » Facile, comme tout ce qu’Hungry semble entreprendre. Avec une promo minimale, l’Olympia est complet en moins d’un mois. « Je me souviens encore mon arrivée dans la salle à 9h le matin, partage William, des étoiles allumant ses yeux fatigués. J’avais l’impression de connaître cette salle, inclinée vers le public, ses sièges rouges, sans y avoir mis un pied. C’était n’importe quoi. »

En quelques mois, le petit collectif techno basé à Aix réussit ce que d’autres mettent une carrière à mettre en place. William se marre encore : « Puis quand tu vas dans les loges, tu vois des photos de Gilbert Bécaud ou George Brassens. On se demandait ce qu’on foutait là. » Forcément, la soirée est mémorable. N’To, par exemple, se souviendra toujours de son père, debout sur le siège, en plein milieu du balcon, face à lui pendant tout son set.

Mélodies et kébabs

Devant un tel succès, les médias commencent finalement à s’intéresser à l’aventure Hungry. William commente : « Jusque là, on restait quelque chose de trop kitsch, commercial, trop French ou trop nouveau. » Sur le haut d’une hype récente, une entreprise musicale normale choisirait habituellement ce moment-là pour déménager à la capitale. Mais très peu pour Hungry. « Rester à Aix, c’est une vraie décision, assure William avec fierté. On s’y sent bien. Il fait beau, on a le moral toute l’année. On n’a pas voulu s’exiler. Rester dans notre environnement, ça nous permet de garder notre fraîcheur. »

Hungry, un label qui respire. Plutôt que d’entasser des bureaux dans un local de Bastille, le collectif se met à l’aise dans une maison de campagne avec jardin et piscine. Le label évite les coûts de la vie parisienne et se déplace en 3 heures de TGV en cas de rendez-vous. Charmante petite ville étudiante, Aix-en-Provence joue forcément dans la différence d’Hungry. Les trois artistes du label insistent sur l’importance de la mélodie dans leur musique, ainsi que sur l’emploi d’instruments réels.

Avoir un label à Aix, c’est s’éloigner d’une vie de stress citadin. « On a peut-être plus le temps, plus l’espace, réfléchit le boss d’Hungry. À Paris, tu es souvent dans des espaces étriqués, au milieu de grands boulevards. Tu sens que tu n’as pas le temps. » En Provence, Hungry crée une musique qui prend son temps, dans un univers plus détendu et artisanal. « À Aix, tu te ballades sur le Cour Mirabeau, tu as Deluxe qui joue en acoustique, puis une harpiste place d’Albertas ou même ces gars qui jouent de mauvais standards au saxo. Le label est dans ce côté flânerie. On n’a pas un besoin immédiat de résultat. »

Ruelles provençales où l’on pourrait entendre du violon en permanence durant la journée, Aix-en-Provence se transforme à la nuit tombée. Les rues se salissent, deviennent bruyantes, les étudiants imbibés s’envoient des kebabs dans des rues pavés qui sentent la bière et l’urine. La dualité d’Aix, on peut la retrouver dans la musique du label, faite de mélodies presque classiques, déchirées par ce que William définit comme « un pied qui te rappelle qu’il est 3h du mat’ et que tu es dans une soirée techno. »

Ce cocktail sera donc pour la première fois servie par les trois artistes en même temps au festival Panoramas, qui se tient à Morlaix du 20 au 22 avril. Le super-groupe techno unissant Worakls, N’To et Joachim Pastor, sobrement baptisé Hungry 5, jouera une sorte de best of des cinq glorieuses années du label. Si Worakls assure que ce montage « n’a pas de visée artistique », on peut penser que le résultat sera efficace. Un long voyage dans le temps, mais quand même pas aussi long qu’un Nancy - Marseille.

Panoramas festival aura lieu du 20 au 22 avril 2018 à Morlaix avec Amelie Lens, Hungry 5, Bjarki, Boris Brechja. Info et billetterie ici.

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