Menu
Home Latest News Menu
Culture

Comment les jeux vidéo ont façonné toute une génération de producteurs

De Metal Gear Solid à Donkey Kong : les jeux inspirent les innovateurs d’aujourd’hui

  • Illustration : Lawrence Abbott • Texte : Patrick Hinton
  • 20 November 2017

Ces trente dernières années, les jeux vidéo sont devenus la bande-son de jeunesse d’innombrables adolescents . Alors que de plus en plus de membres de la « Génération Y » passent à l’âge adulte, un nombre croissant de producteurs s’inspire librement de ces univers aux couleurs néon criardes, images étincelantes et sons synthétiques - une tendance qui ouvre de nouveaux horizons à la musique électronique.

Le seul et unique tweet posté le 8 Novembre 2008 sur le feed de Burial, désormais effacé, lisait : « Posé devant MGS4 ». Et l’artiste Hyperdub, l’une des figures les plus louées de la musique électronique, a samplé des sons de Metal Gear Solid dans des tracks comme ‘Archangel’ et ‘Distant Lights’. En 2012, il disait dans une interview à Mark Fisher : « La plupart de mes drums ne sont que des gens qui ramassent des munitions et des armes dans les jeux ». Rustie, un autre artiste qui a modifié la perception de la dance music, a annoncé l’avènement d’une nouvelle génération de producteur avec son titre ‘Glass Swords’ en 2011, empruntant les sons hyperactifs et l’esthétique de jeux comme Zelda. On a même vu des producteurs franchir le pas et passer de la production de musique de jeux vidéo au milieu de la musique électronique underground, à l'instar de Soichi Terada, le compositeur de la bande-son d’Ape Escape signé chez Rush Hour qui est peu à peu devenu l’un des artistes les plus appréciés du label d’Antal.

Pour beaucoup d’entre eux, un intérêt pour l’univers des jeux vidéo s’est formé avant même leur appréciation consciente de la musique, et ces bandes-originales ont pénétré leurs jeunes esprits malléables et demeurent une influence primordiale dans leur sound design.

Nightwave dit que les jeux vidéo « jouent une part importante dans [s]a trajectoire dans la musique électronique ». Elle a d’ailleurs choisi 8Bitch pour son premier nom de scène à cause de son « obsession pour les sons 8-bit et l’influence des jeux vidéo vintage. » De la même manière, les membres de Silk Road Assassins, initialement unis par leur passion partagée pour le gaming, se nommaient initialement TimeSplitters - une référence au célèbre FPS (first person shooter). Ils ont transposé leur amour des premiers sons électroniques dans leurs travaux, comme le montrent les mutations grime futuristes que le trio a sorti sur des labels comme Planet Mu et Coyote. « Notre génération a grandi au milieu des consoles de jeu, et qu’importe votre milieu social à l’époque, elles étaient quasiment incontournables. Nous n’avions pas vraiment connaissance de la scène dance music et étions encore loin d’avoir développé des goûts musicaux affirmés à cet âge là, mais les bandes-son de jeux vidéo furent notre première rencontre avec la musique électronique », ils expliquent. L’an passé, le producteur londonien Sirpixalot redécouvrait le jeu Wolverine: Adamantium Rage sorti en 1994 et qualifiait sa BO de grime, bien avant les premières apparition du genre.

Le producteur Matt Farthing (aka Christian AIDS, Stay Positive et FAIK) désigne la soundtrack de Streets of Rage 2 de "proto-techno", et fondatrice dans le développement de son intérêt pour le genre dominant de la dance music. Il avait pour habitude de laisser son personnage immobile pour de longues périodes, juste pour écouter la musique. « Le niveau de la foire est vraiment lugubre, avec du brouillard dans tous les coins, et le morceau qui passe est complètement barré, c’est le track le plus lourd que j’ai jamais entendu dans un jeu vidéo », il dit. « C’était mon point de départ vers ce type de son, tu ne réalises pas vraiment à quel point ça s’immisce dans ton cerveau parce qu’à ce moment là, tu penses juste faire l’expérience d'un jeu super cool, mais en fait tu ingères toute cette musique. »

Credit 00, producteur de Leipzig, auteur d’un album intitulé Game Over sorti plus tôt cette année sur Uncanny Valley et décrit comme « une lettre d’amour électronique aux mondes romantiques fantasy des jeux vidéo vintage », partage des vues similaires sur l’impact des jeux. « Je pense que j’ai adopté les esthétiques inconsciemment. Je ne pensais pas vraiment à la musique quand je jouais des jeux d’arcade pour la première fois, mais j’étais totalement fasciné par leur son complètement nouveau. » De la même manière, TOKiMONSTA crédite les atmosphères sonores de Donkey Kong Country 2: Diddy’s Kong Quest dans sa découverte des éléments musicaux qu’elle apprécie. « C’est plein de sons aériens, des pads et de la réserve en veux-tu en voilà, qui constituent ce paysage sonore immatériel. C’est un peu doux, mais plus enjoué à certains moments. D’une certaine façon, c’est très cinématique, » elle explique, employant des termes qui s’appliquent tout aussi bien à la musique downtempo qu’elle sort sur le label Brainsfeeder de Flying Lotus.

« Les jeux vidéo ont fait toute mon éducation », affirme Danny L. Harle, ancien étudiant en musique classique à l’université Goldsmiths de Londres, connu pour sa capacité à concilier des genres historiquement disparates. Pour Danny, ils sont une référence naturelle : son père est un saxophoniste récompensé du prix Ivor Novello, et il grandit en écoutant des sons classiques et électroniques. « Je pense que l’ancienne génération a vu la musique électronique comme un échappatoire, alors que pour nous, les sons électroniques faisaient partie du quotidien. ». Sa thèse de fin d’étude est centrée sur la combinaison des sons et des méthodes du classique et des consoles de jeu. Depuis l’obtention de son diplômes, ses sorties dans la même veine lui ont permis d’assoir une influence durable au sein du collectif PC Music et de signer sur des majors comme Columbia, pour des travaux avec Carly Rae Jepsen et Charli XCX.

Composé sur-mesure pour de grands orchestres, le classique peut-être complexe et ampoulé, et Harle apprécie la forme simplifiée des premières soundtracks de jeu - un symptôme des possibilités technologique prédatant le nouveau millénaire - et l’effet de telles limitations sur la musique. Ces restrictions sont également une influence importante sur la musique de Yamaneko ; sa sortie sur Local Action concentre énormément d’émotions sur des instrus minutieusement arrangés, où chaque sonorité devient vitale. « Enfant, je me souviens avoir été bien plus touché par la musique des jeux vidéo que celle que je pouvais entendre partout ailleurs. Tout le reste était beaucoup trop chargé en éléments à mon goût, et je trouvais que pour la plupart, les paroles n’étaient que des gens vous jetant leurs émotions banales au visage, laissant peu de place à l’interprétation personnelle », il explique. Il souligne qu’il était bien plus emballé par la musique que pouvait produire sa première console de jeu, la PAL Sega Master System II, en dépit de sa puce de son à 4 voies. « J’étais fasciné par le niveau d’émotion qu’on pouvait transmettre avec des ressources si limitées, » il ajoute. « Tout prend sa valeur et joue un rôle clef dans la communication d’idées et d’atmosphères bien plus importantes, et je pense que c’est là l’énergie que j’ai essayé de capturer dans mes travaux. »

En dépit de l’existence d’une jeune génération d’artistes qui n’ont jamais fait l’expérience de telles limitations, leur goût pour les producteurs plus âgés a permis à l’influence des premiers jeux vidéo de perdurer grâce à la musique électronique. Les sorties chiptune de Quarta330 sur Hyperdub ne sont qu’un exemple. « En toute franchise, je ne jouais pas tant que ça aux jeux vidéo », avoue l’artiste japonais. En revanche, il a grandi au son du groupe électro Yellow Magic Orchestra, l’un des « pionniers de l’usage des jeux vidéo dans la pop ». Il produit désormais du chiptune en utilisant les Gameboy et Commodore 64 comme synthés.

« Cette tendance dont nous faisons l’expérience en ce moment est une fausse nostalgie pour les années 90, c’est une esthétique tout à fait identifiable donc elle sera régurgitée constamment », dit Danny L Harle, notant comment les générations précédentes se sont toujours adonnés au pastiche de leur aînés. « Notre génération a connu le luxe de grandir avec des sons qui n’imitaient pas la vraie vie, comme une flûte MIDI par exemple, alors que la génération suivante n’a jamais entendu ces sons un peu merdiques. Ils sonnent marrants et old-skool pour eux, parce qu’ils ont grandi avec des jeux qui pouvaient inclure des mp3s. Nous avons connu cette réalité un peu distordue. Maintenant, vous allez trouver des gens qui imitent les sons 8-bit, mais ça sonnera un peu différent, ça sonnera plus moderne. » Matt Farthing compare cette gestation des esthétiques du jeu à travers la culture populaire à « la scène house lo-fi et la manière dont les compresseurs et le side-chaining est utilisé de nos jours. Au départ c’était un procédé né de pure nécessité, mais qui maintenant fait partie intégrante de l’identité du son lui-même. »

Le producteur précoce Kai Whiston a grandi en jouant sur des consoles plus modernes et puissantes, et offre tout un panel de styles kaléidoscopiques dans ses beats fracturés, du hip hop de Tony Hawk’s Underground au sound design chiné de DOOM. Il emprunte également aux atmosphères des bandes-sons de jeux vidéos, et décrit comment il emploie les montées sonores d’euphorie fugace qui accompagnent la progression de sa musique, reconnaissables sur son dernier EP sur Big Dada. « Quand je composais mon ‘Fissure Price’ EP, je suis retourné sur la PS2 pour jouer à Katamari Damacy pour me relaxer un peu et ai redécouvert les sons de ce jeu, tout bonnement incroyables. J’adorais la satisfaction qu’on a à chaque fois qu’on ramasse quelque chose, et la musique légère et entraînante. J’en ai tiré une influence certaine car je voulais exprimer ce côté ludique dans l’EP, ainsi que la mentalité japonaise, drôle et enfantine », ajoutant plus tard « je suis un grand fan de l’évasion décomplexée, et les jeux vidéo semblaient l’un des moyens les plus immersifs pour y parvenir. J’ai toujours essayé de concevoir des choses un peu déjantées, car si je me contentais de ma réalité, ce serait chiant au possible. »

La logique et thématique narrative des jeux a eu un impact profond sur l’approche des musiciens. Régulière chez Hyperdub, Ikonika, qui a samplé des sons de jeux vidéo comme la mort de Chun-Li dans Street Fighter, voit aussi sa musique comme dansante qu’une expérience auditive. « J’ai toujours cherché à canaliser des mondes différents avec chaque album. Que ce soit le feeling 2D de ‘Contact, Love, Want, Have’ à la solitude ultra-HD de ‘Distractions ». J’ai toujours imaginé des paysages. Je ne pense pas que la musique se suffise à elle-même. C’est comme la bouffe, il me faut utiliser tous les sens », elle décrit, attribuant son approche à l’influence des « jeux qui peuvent vous faire voyager dans d’autre univers, d’autres temps. Ma vie ressemble plus à un jeu vidéo qu’à un film. La musique est le plus grand jeu de ma vie. Chaque album est un jeu différent et chaque chanson est un nouveau niveau. »

Dark0 note que la sensibilité de la musique des jeux vidéo a résonné particulièrement pour lui, au point que certaines répétions ou progressions de ses expériences dans l’univers de jeux sont devenues parties intégrantes de sa manière de voir le monde. « Je pouvais entendre cette chanson entrainante et positive dans Popworld, et avoir un flash-back car elle était dans la même clef que le moment où un personnage mourrait dans un jeu », il raconte. « Le storytelling peut-être si irrésistible que la mélodie associée à certains moments peut vous marquer à vie ». Il intègre parfois ces sons percutants dans ses propres productions. « Je ne samplerais qu’un morceau de soundtrack qui a résonné en moi à un niveau très personnel qu’il m’a aidé à surmonter certains moments de ma vie, en grandissant. Parfois tu ne peux pas vraiment exprimer ce que tu veux dans laisser un sampler parler de lui-même et je l’approcherais toujours avec une certaine humilité ».

Le mouvement Algorave est relativement récent et permet aux artistes de donner aux performances de storytelling 3D leurs lettres de noblesse. Aux Algoraves, on utilise les programmes pour coder de la musique en live tout en créant des expériences audio-visuelles. Miri Kat, diplômée en Game Design, travaille pour la société de hardware Novation Music, est fortement influencée par la musique et par les jeux, et voit l’Algorave comme le genre de prédilection pour permettre à ces deux univers de se rencontrer. « De mon expérience, le son est principalement secondaire dans les jeux, il ne fait pas l’objet de la même attention du détail que les visuels. Dans l’industrie musicale, c’est l’opposé, car le son fait l’objet d’une attention toute particulière, les visuels ne viennent qu’après. Mon intention est de dépasser ce fossé », elle explique. « Nous faisons l’expérience du son et du visuel en même temps et nous devons les penser de cette manière, apporter la même attention aux deux. Mes show AV se centrent sur la transmission d’une expérience Audiovisuelle immersive, je raconte une histoire et je veux que mon public puisse le ressentir pleinement. »

Un autre aspect évoqué par un part non négligeable de ces artistes est la similarité entre le profil du bedroom producer et celui du gamer : la poursuite solitaire, confortée par une acception toute personnelle de la victoire. Alors, à tout jeune producteur addicts aux jeux vidéo, confronté aux remontrances de vos parents et de leurs proches pour « gâcher votre vie avec ces jeux stupides » - vous pourriez bientôt devenir les porte-étendards de l’innovation électronique.


Crédits :

Initialement paru sur Mixmag UK
Texte original : Patrick Hinton
Illustration : Lawrence Abbott
Traduit de l’Anglais par M.-C. Dapoigny

Load the next article
Loading...
Loading...