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Culture

Dans le ventre de la bête : la nuit à Beyrouth

Überhaus a ressuscité les nuits d'une des anciennes plateformes internationales de la fête

  • Marcus Barnes
  • 27 June 2017

Imaginez Jonas se faire avaler par une baleine et découvrir qu’à l’intérieur de cet être gigantesque, se trouvait le meilleur club de la planète. C’est un peu le ressenti que l’on a lorsqu'on se balade dans l’überhaus, le club qui a révolutionné le monde de la nuit à Beyrouth et est aujourd’hui devenu l’un des joyaux d’une ville qui encaisse les coups durs.

Le 12 Novembre 2015, la veille des attaques meurtrières à Paris, deux attentats suicides ont été perpétrés, causant la mort de 43 personnes à Bourj el-Barajneh, dans cette banlieue au sud de la capitale libanaise.

Cet événement est survenu deux jours seulement avant la soirée d’ouverture de l’überhaus, un club spatial propriété d'Ali Saleh et de Nemer Salib. Ces deux businessmen devenus amis partagent un amour commun pour la musique depuis leur rencontre à l’Université Américaine de Beirut. Dès lors, les deux hommes n’ont cessé de se construire un carnet d’adresse dans le monde de la musique. Ce soir là, Black Coffee est en tête d’affiche. Mais les bombardements ont incité l’artiste à annuler sa venue, laissant Ali et Nemer démunis à deux jours de l’événement.

En dépit de tout, la soirée d’ouverture affiche complet. Avant même que le club n’ouvre ses portes, 600 personnes font déjà la queue au portillon. Ce sont finalement près de 2 500 personnes qui y auront dansé toute la nuit.

« La sécurité est un problème de taille depuis des années au Liban, et ça se ressent évidemment dans nos bookings. C’est difficile d’approcher des artistes quand tout le monde à peur de venir ici », avoue Ali en parlant du challenge de taille auquel lui et son équipe font face au jour le jour.

« Ils ne font que prêter attention aux informations et ne comprennent pas ce que représente le Liban. Ils pensent que c’est une nation arabe comme les autres, mais ça ne l’est pas. C’est un pays très libéral : Beyrouth possède une grande mixité culturelle et religieuse, comme beaucoup d’autres villes partout dans le monde. »

Bien que le Liban partage ses frontières avec la Syrie, de l’Israël et de la Jordanie, il n’a jamais été concerné par les conflits depuis 2006. Mais ces dernières années, ce petit pays a accueilli des millions de réfugiés syriens. Contrairement aux pays européens qui ont somme toute ouvert leurs frontières à peu de réfugiés par rapport à leur taille, cette migration a eu un impact considérable sur la population libanaise. Les étranges buildings portent encore les marques des conflits précédents, mais Beyrouth n’est à ce jour pas une ville moins sûre que Londres ou New-York.

Avant les guerres civiles, Beyrouth était l’une des régions du centre les plus connues pour sa vie nocturne. Au cœur de ce portail entre l’Europe et le Moyen-Orient, l’un de ses clubs emblématiques, le BO18, ouvrait ses portes vingt ans auparavant. La ville accueillait des artistes de renom comme les DJs Sven Vaäth, Richie Hawtin et Jamie Jones, qui y passaient régulièrement au début de leur carrière internationale.

Mais la popularité croissante de l’EDM s’est plus tard renforcée dans les clubs et a supplanté le mouvement underground en plein essor. Par ailleurs, la principale station du pays - Mix FM - étant principalement centrée sur la trance et la frange la plus commerciale de la musique électronique, tout le mouvement a fini par sombrer dans l’oubli.

Mais au fil de quatre années de collaboration durant lesquelles Ali et Nemer ont travaillé dur, l'underground commence à se réimplanter dans le paysage fertile du clubbing de Beyrouth.

Ali organise des soirées depuis qu’il a 16 ans. Son père était le propriétaire d’un club, l'After Eight, où le jeune Ali organisait des soirées étudiantes. Il croise la route de Nemer via l’un de ses amis de rugby, avec qui ce dernier tenait un bar dans le centre de Beyrouth. Les deux hommes se sont rencontrés à l’époque où ils fréquentaient les bancs de l’université de Beyrouth et ne se sont jamais quitté depuis. Le tempérament impétueux de Nemer balance celui d’Ali, plus cool - mais contrecarre la nonchalance de ce dernier, et vice versa. Les deux amis lancent l’überhaus en 2012 dans la cour d’hôtel d’Ali à Hamra, un quartier très animé de Beyrouth à quelques minutes de l’université. Très vite, ils rassemblent une équipe de choc, aux idéaux musicaux en accords avec les leurs et les joignent à cette nouvelle aventure. L’un d’entre eux, nommé Romax, devient DJ résident de l’überhaus, aux côtés de Technophile. Ce premier, un Hollandais, emménage à Beyrouth douze ans plus tôt en ramenant dans sa valise quelques productions. C’est lui qui initiera Ali à la deep house, la techno et la house underground.

En un rien de temps, le club devient l’objet de toutes les conversations à Beyrouth, passant du statut de rumeur à celui de destination de choix pour ceux à la recherche de vibes underground dans un lieu complètement libéré. De là, Ali et Nemer font un grand pas en avant dans l’univers des clubs et placent leurs économies dans un nouveau projet : un appel d’offre pour un nouvel emplacement situé dans une zone portuaire de la ville et doté d’un immense jardin en extérieur. Le projet devient leur objectif principal. Durant leur début de saison, Apollonia viennent pour leur soirée d’ouverture, suivis de Nicolas Jaar, Seth Troxler, Damian Lazarus, Dixon et un bon nombre d’autres personnalités qui établissent le club comme la destination #1 des foules avides de fête techno.

La culture libérale libanaise produit une génération d’enfants incroyablement malléables lorsqu’il s’agit de musique, et überhaus devient leur école.

« überhaus est devenu une aire de jeu pour tout le monde. On a ré-introduit le concept de dancefloor. À tel point que c’est devenu l’un des services principaux de Beyrouth. On a éduqué les gens, en commençant par les intéresser à des musiques plus douces comme des sonorités soul ou disco. Les gens étaient tellement habitués à la musique commerciale qu’on a dû les guider progressivement vers une musique plus sombre, les entrailles de la techno » explique Ali.

L’équipe cultive patiemment la confiance de leur clientèle, qui continue d’être fidèle aux soirées même quand la tête d’affiche leur est inconnue. Derrière le succès des bookings, c’est Marwan Abousham, un homme qui ne vit que pour la recherche, la découverte, et le partage de nouveautés musicales d’artistes. Il tient un blog vidéo, Cottonmouth, dédié à des séries de mixes. Un gros catalogue numérique contenant bon nombre de podcasts d’artistes relativement inconnus, mais avec un talent incroyable.

Cet endroit qu’ils ont construit, le rêve de gosse de Nemer, ne ressemble à aucun autre sur la planète. Modélisé sur le squelette d’une baleine bleue, überhaus est composé d’un ensemble d’arches métalliques bleues. Des lumières surplombent l’intérieur de chacun des segments, avec différents éclairages tous plus hypnotiques les uns que les autres. La structure tout entière est entourée de 56 conteneurs d’expédition recouverts d’un toit en acier. Chaque conteneur a été modifié pour améliorer l’acoustique de ce club qui peut accueillir jusqu’à 2 500 personnes. Des draps métalliques perforés ont été placés par dessus les isolations pour contenir le niveau sonore du système Funktion-One en quatre-points. La cabine de DJ a été modelée avec quatre tonnes de béton. Le rêve des sélectionneurs de vinyles. Le tout n’a pris que deux semaines de construction sur le site, pour un budget de plus d’un million d’euros.

La nuit où l’équipe de Mixmag était présente, le petit chéri de Bristol, Eats Everything, était de la partie. Une techno à 127 bpm dans les entrailles de la bête, une foule pleine d’énergie. Eats lui-même est complètement épris du pouvoir de la foule, comme quelqu’un qui jouerait pour la première fois. Plus tard, il a même posté une vidéo sur Facebook et ne cache pas son enthousiasme : « Un des meilleurs clubs dans lequel j’ai eu l’occasion de jouer. »

La structure entière est temporaire, et devra bientôt être démolie et déplacée ailleurs pour le programme d’été, appelé The Garten. Comme le nom le suggère, l’espace sera entouré d’arbres (plus de 100, qu’Ali et Nemer ont planté), sur une belle pelouse, un espace détente et une structure à l’air libre sous un dôme hexagonal. Toutes les structures sont transportables partout dans le monde, un choix de mouvance délibéré au cas où l’organisation perdrait l’emplacement où le club se situe.

« Notre cible n’est pas locale mais plutôt internationale, » assure Ali. « On voyage beaucoup et naturellement, on est très inspirés par ce qui se passe dans les autres soirées et festivals que l’on visite. On voudrait faire partie de cette scène internationale et nous pensons vraiment que Beyrouth est un centre de gravité musical dans sa région, alors on fera tout notre possible pour y arriver. »

Cet endroit est devenu le point majeur de la vie d’Ali. À tel point que ce dernier a demandé sa femme Farah en mariage dans la cabine de DJ et ils se sont ainsi mariés en 2015 au Garten.

« Contrairement à beaucoup de mes amis, je suis l’un des seuls à faire quelque chose qui me plait réellement. Posséder une boîte qui divertit les gens… Mec ! C’est le jackpot ! » s’exclame Nemer. « überhaus nous rend heureux. »

überhaus a ressuscité le dancefloor à Beyrouth, et ce même dancefloor a donné l’opportunité aux deux hommes de réunir leurs amis sur ce projet tout en boostant le monde de la nuit et en changeant la perception que les gens ont du Liban. Sécurisée, libérale et tolérante, Beyrouth pourrait bien redevenir la destination festive de rêve qu'elle était auparavant.

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