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5 semaines au Groenland pour créer un album : le défi de Molécule

« Il ne faut pas être dans la domination farouche de la nature »

  • Camille-Léonor Darthout
  • 19 February 2018

Janvier 2017. Le producteur Molécule - à qui on doit l’album ambient techno 60°43' Nord paru en février 2015 sur le label Mille Feuilles - boucle à nouveau ses valises. Aventurier mais surtout musicien, Romain de Haye embarque avec lui 200 kg d'équipement studio sur la plus grande île du monde : le Groenland. Lorsqu’il partait en 2014 pour 5 semaines en plein Atlantique Nord sur le chalutier Joseph Roty II au départ de Saint-Malo, c’était en compagnie de tout un équipage : une soixantaine de marins et un capitaine. Cette fois, l’artiste n’a que pour seul compagnon son ami vidéaste Vincent Bonnemazou et la centaine d’Inuits avec lesquels la communication est succinte. L’objectif : 5 semaines pour produire un album intégralement enregistré et composé sur place.

Février 2018 : 12 mois se sont écoulés depuis le retour en France du producteur. Molécule prépare la sortie de -22,7°C, prévue le 16 Février sur Because Music. Rencontre et retour sur un voyage sonore en terrain hostile.

« La neige tient ». Debout devant la vitre sur laquelle une poussière de glace vient se briser, Romain De Haye observe la rue - silencieux. Il y a un an presque jour pour jour, le Grenoblois revient d’un périple de 5 semaines sur la côte Est du Groenland. Il s'installe dans une petite maison, au plein coeur d’un village très peu fréquenté des touristes, Tiniteqilaaq. Les commodités sont vétustes, le luxe se résume à deux chambres, une cuisine et un salon. Pas de toilettes, pas de salle de bain et une simple épicerie de village pour le ravitaillement. Les douches sont à 200 mètres de l’habitation, la simple ablution impose de braver le froid et la neige.

3 heures de soleil par jour. Une nature hostile : une vaste étendue désertique, un climat polaire qui avoisine les -20°C et une faune de phoques, de loups, d’ours polaires, orques, renards des neiges, morses, baleines, corbeaux et chiens de traineaux. 300 chiens. Deux fois plus nombreux que les humains qui vivent sur place, estimés à 130. Dans cette contrée reculée rattachée au Danemark, une île de 2 000 000 km2 quatre fois plus vaste que la France, la nature est libre, le silence une fatalité. C’est ce que Molécule était venu chercher ici. Après son périple en mer, Romain De Haye avoue être revenu avec « les oreilles qui sifflent », sur une structure où le « magma sonore est dense entre le moteur, l’activité des hommes, le bateau. C’était 34 jours au milieu de l’Atlantique, là où le silence n’existe pas ».

Pour prendre le contre-pied de cette expérience, le producteur décide donc d’explorer l'Antarctique, vaste désert de glace. Mais très vite, des barrières : la priorité aux études scientifiques rendent ses démarches complexes. Romain ne se laisse pas décourager, et tandis qu’il essuie refus sur refus, il entend parler d’une maison dans un village isolé du Groenland. 2 vols en avions, 2 autres en hélicoptère et 8h de chiens de traîneau sont requis. Qu’importe le périple, l’aventure ne l’effraie pas. Au contraire, elle l’inspire. Cette destination sera la sienne.

5 semaines. C’est le temps qu'il s'octroie pour composer intégralement son album. Pour créer de toutes pièces 10 morceaux qui s’enchaînent sans aucune interruption. Un voyage auditif, témoignage d’une nature forte parfois en souffrance, des silences aussi profonds que ceux des Fjords.

« J’aime travailler avec les contraintes. Il faut les accepter et trouver des solutions. Il faut les rendre créatrices. Le temps n’est pas un problème non plus. Il faut être en adéquation avec ce que l’on vit, avec le moment.»

Dès son arrivée au village, le contexte sonore est très fort entre le souffle des chiens d’attelage, les cris du musher (le pilote du traîneau) et la plénitude sensorielle d’une quête en terre inconnue. Trois premières notes se manifestent. Ce sont celles de 'Aria', le morceau d’ouverture de -22,7°C. Une mélodie qui oscille entre souffles, craquements et cris. L’atmosphère est angoissante, les échos glaçants.

Le vent ricoche sur la glace, un iceberg explose, les aurores boréales illuminent la nuit. Carcasse mouvante vieille de plusieurs millénaires, la banquise parle à celui qui apprend à écouter. Les enregistreurs de Romain De Haye furètent, avides de nouveaux échos. Du capharnaüm de Dame Nature découle des mélodies, quelques problèmes techniques viennent compliquer la production sans pour autant la rendre impossible. En témoigne ‘Artefacts’, septième morceau de l’album qui s’appuie sur les bugs présents sur certains enregistrements. L’un des deux enregistreurs rend l’âme sur le chemin du retour, soumis à rudes épreuves. Il faut dire que les températures sont, comme le souligne le titre de l’album, bien en dessous de 0. Malgré les difficultés rencontrées, Romain n’a pour seule interrogation artistique l’étrange impression que le doute manque à l’appel depuis le premier jour, l’évidence ferait presque peur dans un processus créatif, lorsque les choses se font naturellement.

« Sur le bateau pour 60°43' Nord, la composition a été assez laborieuse. Il y avait constamment le souci d’être dans le vrai qui se manifestait. Savoir si c’était vraiment ce que je vivais, si c’était bien. À côté de cela, la vie quotidienne était assez agréable et chaleureuse avec les marins. Au Groenland, c’était beaucoup plus compliqué entre les conditions climatiques, la barrière de la langue, l’isolement, le sentiment d’être prisonnier du village. Mais au niveau de la création, tout s’est fait très naturellement. Il n’y a pas eu de phases d’arrêt ou de questionnement.»

Finalement, c’est peut-être parce qu’au delà de faire de la musique, Romain raconte avant tout une histoire. Si les 10 morceaux s’enchaînent sans interruption, c’est parce que -22,7°C est plus qu’un album techno ; c'est un livre audio. Les seules interludes, se sont les silences. Ceux pour lesquels Molécule a bravé les routes de l’impossible. Le producteur est attaché à ce format, qu’il recommande fortement d’écouter au casque.

« C’est un témoignage subjectif de ce qu’est le Grand Nord. Un condensé de vie intense. Je suis revenu de ce périple au Groenland avec l’idée qu’une vision du monde autre que notre société de consommation était possible ».

Une vision que Molécule compte bien partager au cours de sa tournée, qui débute le 8 mars prochain à l’Élysée Montmartre. En pleine promotion de son album, l’artiste viendra y réinterpréter les morceaux composés il y a un an sur la banquise, en live audio-visuel. Une grande partie des instruments utilisés dans le studio installé au Groenland seront sollicités. En parallèle, un documentaire en co-réalisation avec Vincent Bonnemazou, l’ami vidéaste qui a accompagné Molécule dans le Grand Nord, devrait voir le jour d’ici l’automne 2018. Une co-production en expérience virtuelle co-produite par ARTE devrait également s’immiscer sur les sentiers battus de festivals cet été.

Au delà de la techno, Romain De Haye prévoit la parution d'un recueil de pensées aux Éditions Classic, accompagné de deux vinyles sur lesquels seront pressés des enregistrements de silences. Pour que chacun puisse vivre sa propre aventure là où la Nature n’a jamais perdu ses droits. Là où l'Écoute devient savoir.

Retrouvez Molécule en live audio-visuel le 8 mars à l’Élysée Montmartre - 72, boulevard Rochechouart dans le 18ème arrondissement de Paris. L’album -22,7°c sort aujourd’hui et est disponible en libre écoute sur Soundcloud. Ci-dessous, découvre «Behind -22,7°C», mini-documentaire co-produit par Vincent Bonnemazou, Jan Kounen et Molécule.

Crédits Photo : Vincent Bonnemazou

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