Menu
Home Latest News Menu
Blog

On a testé pour vous : sortir à Londres avec 1 £ en poche

Ne sous-estimez jamais la gentillesse des étrangers

  • LOUIS ANDERSON-RICH | PHOTOS: RYAN MANSFIELD
  • 25 August 2017

Ce n’est un secret pour personne, Londres est un vrai gouffre financier. Étant fraîchement arrivé dans la ville, la phrase « tu dépenses 10 balles juste en franchissant le seuil de ta porte » est devenu le déprimant leitmotiv de toutes mes conversations avec des inconnus. Dieu merci, mon job est cool et mon rédac’ chef a dit qu’il pouvait me prêter un peu de thune - mais ce ne serait qu’une livre et il fallait l’utiliser pour cet article.

Cela va sans dire, j’étais partant. Me voilà prêt pour une ascension sociale fulgurante. J’irai gratter, couper des bouts de chandelle, j'économiserai et me lancerai dans la capitale anglaise pour faire l’expérience de tous les plaisirs que la ville peut offrir. OK, je n’ai peut-être qu’un budget super discount, mais si je parviens à m’éclater dans un club et écouter de la musique décente, c’est déjà ça.

VENDREDI SOIR - 18H

Le vendredi soir est de loin ma nuit préférée de la semaine. L’énergie accumulée assis à un bureau toute la journée pendant cinq jours nous rend réceptifs à toutes les folies, et il reste deux jours pour s’en remettre ensuite. J’aime le vendredi et celui-là ne fait pas exception à la règle. En fait, c’est encore mieux car pour une fois, je ne sors pas les poches complètement vides.

J’ai bien conscience que mon budget ne s’approche même pas de celui nécessaire à l’achat d’une pinte à Londres (« qui a dit 5,50 £ pour une Heineken!? »). Heureusement, ma mission tombe pile le premier jour de la Premier League et j’ai réussi à forcer deux potes à m’accompagner au pub du coin pour quelques bières et rigoler un peu. Mon ami me donne même à manger ! L’estomac rempli des restes de sa miche de pain au levain, avec le réconfort de ne pas avoir à marchander le prix d’un kebab à quatre heures du mat', je me sens bien.

20H - 22H

Le match est plein de rebondissements, Arsenal gagne 4-3 après s’être fait mené deux fois. J’en ai manqué une bonne partie ; j’ai dû fuir me cacher aux toilettes à l’approche de chaque nouvelle tournée. Oui, c’est vraiment petit mais ma conscience est bien enterrée alors que je me prépare psychologiquement à devoir gratter la terre entière pour le reste de la nuit. Financièrement, je ne suis d’aucune aide au groupe mais je gagne un débat passionné sur l’inclusion de Roy Keane dans le top 5 des joueurs de Manchester United de tous les temps, c’est déjà ça. Encore mieux, je parviens à m’enfiler quatre douces pintes à l’œil. L’éclat chaleureux de l’excès de confiance arrive et la nuit m’appartient. Jusqu’à ce que mes potes se rendent compte qu’ils m’ont fait office de découvert bancaire.

Le cadre douillet du pub fait place à la froide épaule du béton londonien et ma nuit risque de très vite désaouler. Il faut que je trouve une soirée, et vite. Le seul problème, c’est comment. Londres est une grande ville, et comme chacun sait, une livre ne couvre même pas le moyen de transport le moins cher. Dieu merci, je suis bien membre d’honneur du club des « free-riders ». Mais je me suis déjà fait coincer dans les tourniquets en essayant de me glisser derrière quelqu’un à Elephant & Castle, et n’ai pas envie de me taper la honte une seconde fois. Alors je me rends à l’arrêt de bus le plus proche à l’affût d’un Routemaster (les nouveaux bus dont la porte s’ouvre à l’arrière) et m’engouffre dans le premier qui passe, avant de me précipiter à l’étage.

Mon cœur bat la chamade, l’absence du "bip" sécurisant de l’Oyster me vrille le cerveau et je dois réprimer une pointe de culpabilité. Sérieusement, si vous voulez jouer avec votre vie, oubliez le crack ou l’héroïne, montez dans un bus sans payer et profitez de la montée d’adrénaline avant que le bus démarre. Un truc de malade.

22H - 00H

Alors que je m’avance toujours plus loin dans la noirceur de la nuit, je réalise que me destinée est désormais à la merci du trajet du bus. Heureusement, l’étrange et merveilleuse rue de Kingsland Road dans l’Est de Londres est proche, et elle comprendra bien quelques passants à qui je pourrais taper une clope. Pourquoi des cigarettes ? C’est la monnaie d’échange officielle du monde de la nuit. Il y a toujours quelqu’un qui en a et quelqu’un qui en veut une. Mon but est de voir si je peux les échanger pour quelque chose d’autre.

Avec sa combinaison osée de disco et de panneaux en bois, me voilà attiré vers le bar (gratuit) de Ridley Road Market. Je cherche une cible. J’ai une fois échangé de la weed trouvée par terre pour une boîte de conserve de haricots et trois canettes de Stella dans la file d’attente des taxis à Glastonbury, donc je ne pense pas être un lapin de trois semaines en ce qui concerne le troc. Mais je me sens nerveux. Demander une cigarette, c’est petit. Dans la hiérarchie des gens relous en club, il n’y a personne plus bas que ces gratteurs de clopes. Ils sont encore pires que le combo trop-bourré, mec-qui-n’arrête-pas-de-parler-de-ton-pays-qu’il-a-visité-une-fois, ceux-qui-prennent-des-selfies-dans-le-club et les Shazammers. Puis je me rappelle que j’ai ma pièce d’une livre, à utiliser comme illusion de richesse. Je dis à ma victime que je peux lui offrir de l’argent mais il fait non de la tête.

« Tu peux l’avoir gratos »

Ça a marché ! Je lui demande s’il est jamais arrivé à gratter des verres gratuits à l’intérieur et il me dit d’aller trouver les barmaids « mignonnes » et de les draguer un peu.

La chaleur me remonte aux joues, ma bonne humeur montre le bout de son nez et mon buzz est de retour. Je me dis que j’arriverai bien à échanger une cigarette pour un verre et me dirige vers le bar.

Et il se trouve que je suis bien meilleur charmeur que ce que je pensais, car j’arrive à troquer une clope pour un shot de Jägermeister à peine sorti du travail, sans m’être changé, avec un sac à dos rouge et un short en jean. Vous avez vu le film Comment se faire larguer en Dix leçons ? Eh bien voilà Comment Échanger Une Clope Pour Un Shot En Trois Phrases Et Sans Avoir À Supporter La Pire Performance de Matthew McConaughey.

Je suis bourré, les gens. Mettez la musique et lancez le DVD de Mes Meilleures Amies, I’M READY TO PARTYYYYYYYYY.

00H - 1H

Ridley Road est cool, mais comme la nuit avance, il me faut un soundsystem un peu plus costaud et un changement d’air. Je m’apprête à aller enquêter du côté de Kingsland Road, voir ce que la rue a à offrir. Alors que je dépasse des magasins fermés et des supérettes 24/7, je me rends compte que je devrais sans doute demander à un autochtone ce que je peux faire avec ma pièce d'1 £. J’arrête un groupe de gens à proximité, qui semblent se disputer sur un sujet qui m’échappe. Dès que je commence à leur parler, je réalise qu’ils ne sont pas juste bourrés, ils sont bourrés ET écossais, c’est pour ça que je ne pige rien à ce qu’ils racontent.

« Tout ce que j’ai, c’est une livre dans ma poche arrière », je leur explique. « Qu’est ce que je peux faire dans le coin ? »

« VAS AU MAGASIN ET PRENDS-TOI UNE CANETTE, » me répond l’un d’eux. « C’EST LE MIEUX. PARTOUT AILLEURS, C’EST DU VOL ! »

Mais comme dit l’adage, quand une porte se referme, une autre s’ouvre ailleurs. 500 mètres plus loin, le boum boum et le brouhaha familier d’une house party attire mon attention. Il est temps de voir jusqu’où mon charme peut vraiment aller.

C’est toujours super bizarre de rentrer dans une soirée quand on ne connaît personne. C’est encore plus étrange quand un photographe te colle aux basques. Mais quand tu ne connais vraiment personne, parfois tu as de la chance et tout le monde pense que tu es l’ami d’un ami, comme un tacite jeu de passe-passe. Le nœud de mon ventre se dissipe peu à peu quand je sens que ça semble bien être le cas. C’est peut-être aussi parce que tout le monde est défoncé. Moi compris.

Alors que je me fraie un chemin au milieu des regards « mais c'est qui ce type » pour rejoindre un coin tranquille, je commence à prendre mes marques et je prends soin de pouvoir discuter avec le mec qui a l’air de vivre ici. C’est un coup classique, l’hôte est l’alpha du clan et le meilleur moyen de s’immiscer dans un nouveau cercle. Je suis une sangsue. Je parle à l’hôte, un Français (d’ailleurs personne dans la pièce n’est britannique, ce qui explique sans doute l’accueil plutôt chaleureux) et ingénieur. Puis, comme le parasite que je suis, mis en confiance par le cadeau d’une roulé, je bouge sur l’amie de l’ingénieur, une portugaise au franc-parler rafraîchissant qui ne sait pas qui joue au Pickle Factory ce soir.

« Ah, alors il y a une soirée ce soir ? » je demande.

« Oui ! Tu devrais venir. » Elle répond.

Avant de pouvoir déterminer si je devrais ou non accepter des shots de Jameson, tout le monde se rassemble dehors pour partir au club. À peine trente minutes plus tôt, je me demandais si je pourrais trouver une canette pour une livre et j’étais prêt à abandonner. Et me voilà au centre de la dichotomie de la nuit londonienne. Les choses arrivent si vite dans la vie.

1H - 2H

Mon podomètre s’en est déjà pris plein la tête ce soir et n’avait pas fini d’en voir, car tout le monde décide de ne pas opter pour le taxi, sous-estimant gravement la distance qui sépare Haggerston de Bethnal Green. Mais qui suis-je pour me plaindre, ce n’est pas comme si j’aurais pu partager le coût du trajet. Nous voilà en chemin pour Pickle Factory pour une nuit house bien bassy avec Kowton, Peverelist et Resom. Le moral du crew est au plus haut (et cela bien que personne ne sache qui joue à la soirée), mais je ne peux pas pleinement prendre part à leur élan. Nous nous rendions dans un vrai club avec de vrais tickets et tout. Mon charme m’a bien porté chance jusque là, mais il y a une différence entre être chaleureux et faire de l’esbroufe pour rentrer quelque part gratuitement. L’attente dans la file d’entrée est terrifiante.

J’arrive à peine à prononcer mon nom.

J’essaie de marmonner quelque chose de cohérent et d’expliquer que je travaille pour Mixmag, mais je n’arrive pas à monter une histoire solide.

« Désolée, pas ce soir. »

Échec. Je repars, la queue entre les jambes, et mes fans français et portugais entrent dans le club. Je ne les reverrai sans doute jamais et il m’ont traité comme l’un des leurs, comme si je les avais connus toute ma vie. J’ai encore le goût sucré du Jameson dans la bouche, que je n’oublierai jamais.

Il est tard, mais l’idée d’essayer de trouver un moyen de rentrer chez moi est insupportable et je suis encore un peu bourré. Je fouille ma poche pour trouver mon portable et ma pièce d’1 £. Je ne l’ai toujours pas dépensée, et elle brille sous la lumière du lampadaire comme l’étoile polaire. Mon téléphone vibre. C’est mon pote. Il s’apprête à jouer à Basing House, un club à quelques arrêts de bus. Pourquoi pas.

2H - 4H

Je sors du bus en plein milieu de Shoreditch et je me rappelle tout à coup d’à quel point tout et tout le monde sent des pieds ici. Dans un effort surhumain, je remonte la marée des mort-saouls, des émotifs et des comateux sur le chemin du club. Mais une fois que je suis rentré, j’y suis. Il y a des lumières, il y a des gens, un soundsystem puissant et encore mieux, je peux siphonner le rider de mon ami. Naturellement, la nuit passe et ma vision décroît progressivement. Mais à en juger par les photos, c’était une bonne soirée. J’ai même eu mon moment de gloire dans le DJ booth.

Ayant finalement atteint la terre promise, j’ai eu le temps de réfléchir sur les évènements de cette nuit. Londres m’avait enveloppé de toute sa couette attrayante d’alcool, de soirée, d’énergie, de dynamisme et surtout, de ses gens. Les grandes villes ont toujours la réputation de n’être habitées que de robots sans cœur qui se fichent des autres. Mais mes intérêts partagés de boire, écouter de la musique et dancer m’ont donné l’opportunité de lier des amitiés. Et c’est la raison première pour laquelle on sort, non ? Certains diront que je n’ai pas réussi à faire l’expérience du « clubbing » de Londres. Mais ai-je rencontré de nouvelles personnes ? Oui. Ai-je pu écouter de la musique dans une pièce sombre et moite ? Oui. Tout en étant en état d’ébriété? Oui.

Je n’ai toujours pas dépensé cette livre, au fait.

Louis Anderson Rich est stagiaire chez Mixmag et ne dirait pas non si vous lui lanciez une page GoFundMe pour l’aider un peu. Suivez le sur Twitter.

Load the next article
Loading...
Loading...