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La musique arabe est porteuse des changements dont la scène électronique a grand besoin

Rencontre avec Victor Kiswell

  • Camille-Léonor Darthout
  • 9 October 2017

Les initiatives vont bon train pour porter la musique électronique arabe sur le devant de la scène locale mais aussi au delà des frontières du pays, à l’international. En première ligne : les clubs et festivals, qui se multiplient : Oasis Festival, Atlas Electronic ou encore le Moroko Loko. Au Maghreb, d’autres initiatives apportent cette culture musicale auprès des locaux et ramènent des artistes internationaux ou des genres musicaux pionniers, à commencer par la house et la techno.

Une scène qui inspire de nombreux artistes français et rassemble un public toujours plus nombreux. Pour mieux comprendre l’impact de la musique électronique nord-africaine sur la scène française et ses enjeux contemporains, nous sommes allés à la rencontre de Victor Kiswell, chercheur et passeur de musique, DJ spécialisé dans la musique du monde et détenteur d’une incroyable collection de vinyles dénichés au quatre coins du monde. Ce dernier est d’ailleurs à l’origine d’une série de documentaires disponibles sur Spicee Vinyl Bazaar, mettant en lumière sa quête de pépites oubliées chez les disquaires des coins les plus secrets de la planète. Rencontre.

L’appartement de Victor Kiswell est un véritable marché aux puces, la caverne d'Ali Baba du DJ. Dans son salon, les pans de mur libres sont rares, tapissés d’affiches et masqués par des étagères saturées où nichent une collection de vinyles impressionnantes et quelques trésors de voyages : masques africains et babioles exotiques. Certains vinyles sont exposés comme des trophées, des disques datant des années 70 et 80 d’artistes libyens, syriens, égyptiens : nous voilà dans le vif du sujet.

« Tu connais, ça ? ». Victor Kiswell sort de son étagère une pochette criarde teintée de bleu et d’orange. Ahmed Fakroun et sa coupe mulet en gros plan. Le Libyen enregistrait ce disque Mots d’amour, à Paris en 1987. Un synth-pop disco sur lequel sont posées voix et instruments orientaux. Un résultat surprenant, à la fois dansant comme à l’époque des coupes afros, et vibrant comme un voyage au nord de l’Afrique.

« Je fais partie de cette scène de façon indirecte. Je ne suis pas un acteur prépondérant. Moi, je fais plutôt la charnière entre les vieilles musiques, des années 60 à 80, qui peuvent d’ailleurs être au goût du jour, et je les remets dans les mains de personnes qui pourraient en faire quelque chose. »

Mettre en lumière l’impact d’une scène est relativement difficile, mais une chose est sûre : la musique arabe est en pleine prise de vitesse. En fait, pour expliquer l’impact de la musique électronique nord-africaine, il faut remonter le temps.

« J’ai vu cette scène en France, très underground à ses débuts. Les fêtes et concerts étaient très restreints, essentiellement pour la communauté nord-africaine. Et puis, il y a 6 ou 7 ans, ça s’est développé en Europe, comme une petite revanche qui accompagnait le Printemps Arabe. Cette revanche, elle n’a pas été prise en main que par des personnes d’origine arabe. Et des petits blancs, des Parisiens, on également pris le mouvement en main. »

Pour Victor Kiswell, si les gens se sont mis à écouter Fairuz et Chaba Fadila des années plus tard, c’est parce que finalement les communautés se sont mélangées, comme un échange culturel. Le public est mixte, les acteurs le sont également.

Et si tout cet engouement résidait dans une sorte de provocation, un message? Un Printemps Arabe porteur d’espoir finalement désillusionné, des attentats qui divisent la société, puis finalement des fêtes où les cultures ne font plus qu’un, où l’électronique très en vogue chez les jeunes devient un matériel multiculturel où Orient et Occident font bon ménage. Tout ça à l’heure d’un contexte géopolitique fragile, entre guerre religieuse et intolérance sociétale. Une sorte de révolution de la nouvelle génération, de pont culturel entre les deux rives de la Méditerranée.

Car les jeunes arabes veulent aussi profiter de leur héritage musical, physiquement difficile d’accès, comme Victor Kiswell a pu le constater lors de son périple au Caire à la recherche de galettes rares. Même si les musiques traditionnelles arabes sont très populaires dans leur pays d’origine, elles restent en l’état et sont donc très peu remises au goût du jour pour rendre cet héritage culturel plus accessible. La musique académique arabe n’est pas couramment remixée, alors que paradoxalement avec la montée de la musique électronique, le sample s’impose comme nouvelle tendance sociétale : et si finalement la musique transmise par les grand-parents devenait la musique sur laquelle danser en club?

Deena Abdelwahed, DJ tunisienne, affirmait sur le plateau de TV5 Monde, où était également présent Victor Kiswell, que le remix de ces musiques était encore difficilement accepté et mis en place dans les pays arabes, par les autochtones. Et là est le cœur du problème : cet essor de la musique électro-orientale ne provient pas majoritairement de producteurs et artistes originaires de pays arabes.

Bien sûr, certains se sont prêtés au jeu avec brio, comme le chanteur Omar Souleyman qui sort en 2015 son album électro-syrienne Bahdeni Nami. Un LP sur lequel figurent des collaborations avec Gilles Peterson et Modeselektor notamment. Mais ces artistes sont peu nombreux. Victor affirme : « La musique arabe est en vogue depuis quelques temps. C’est un vent de fraîcheur dans ce qui se passe musicalement ici, à Paris. Les gens ne vont pas en soirées avec de la musique arabe par acte politique, ils y vont pour kiffer et danser sur un truc nouveau ». Par amour pur de la musique, des producteurs cherchent à mélanger des genres qu’ils ont découverts mais qui ne font pas nécessairement partie de leurs origines. Acid Arab par exemple : Hervé Carvalho et Guido Cesarsky ne sont pas tunisiens, et pourtant sont producteurs d'une techno orientalisée. Parce que cette scène-là les a marqués, les a inspirés. Idem pour Victor Kiswell. Et pourtant il est passionné par ce qu’il s’est produit musicalement dans ces pays. Son amour des sonorités l’incite à diffuser les musiques arabes en soirée, à faire découvrir cette culture à son public et à passer des morceaux à des producteurs pour qu’ils les samplent. Combiner la musique électronique à la musique du monde, c’est lui octroyer un public nouveau. Inciter les gens à se détacher de ce qu’ils connaissent et s’intéresser à la musique en son sens plus large. L’électro-arabe aurait peut-être un rôle social à jouer.

« Évidemment, j’espère que le public arabe voit tout ceci d’un bon oeil et s’intéresse à ce nouveau mouvement. Au moins par fierté, de voir leur tradition, leur culture se répandre ». Victor Kiswell a pu le constater, lorsqu’il passe des musiques arabes en soirée, le public maghrébin est présent. Un point positif, agrémenté de la mixité du public. Enfin, les gens se mélangent. Comme le disait le collectionneur de vinyle, les soirées qui diffusaient de la musique arabe n’étaient destinées qu’à un public majoritairement touché par cette culture. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La musique vectrice de diversité, d’union, de solidarité : c’est ce qui fait rêver Victor Kiswell. Il espère qu’un jour, n’importe quel type de musique, n’importe quel patrimoine culturel, intéressera tout type de public, contre la ghettoïsation de la société. Reste à savoir comment est accueillie la musique électro-arabe dans les pays nords-africains.

Il cite le DJ et producteur arabo-électro Hadi Zeidan qui organise les soirées Beirut Electro Parade à Paris. Hadi Zeidan a constaté une véritable énergie locale lors de ses visites en Tunisie :

« J'ai été en Tunisie deux fois où j'ai remarqué une vraie volonté d'activité dans le domaine de la musique électro. De nombreux collectifs & producteurs m'ont épaté et ce qui est génial, c'est que leurs créations sont authentiques et non pas orientalistes (référence à Edward Saïd) - qui essaient d'imiter un Orient peu connu ».

Activiste de la mixité culturelle, le producteur a une idée construite de ce que pourrait devenir la scène électro-orientale dans un futur proche. « Déjà, j’imagine une saturation des acteurs culturels voulant profiter de la vague d'arabophilie. Et puis, une structuration de cette scène avec des initiatives réellement recherchées par la suite. Avec les événements Beirut Electro Parade, un festival qui promeut des artistes pioché(e)s de la scène underground du monde arabe et non pas des orientalistes en djellaba qui mixent dans les clubs parisiens car c'est à la mode. Je vous rappelle qu'on ne porte pas la djellaba partout dans le monde arabe et nous n'avons pas tous des tapis volants ! »

La prochaine soirée Beirut Electro Parade prendra place à la Bellevilloise le 27 octobre, où Victor Kiswell se chargera d’un set vinyle aux côtés de Myriam Stamoulis. En bas, des artistes électro comme GLITTERڭ, Wardita et Jad Taleb feront danser les invités sur des sonorités électro-orientales et techno en hommage à la scène libanaise, plateforme centrale de la fête et du clubbing dans le monde.

Les discours de Victor Kiswell et Hadi Zeidan se rejoignent finalement sur l’impact de la scène électro-arabe. C’est avant tout une opportunité de rencontres, de découverte de l’autre et en somme, un pied de nez aux clichés sociétaux. La culture est une force, la curiosité est une qualité et la musique une passion commune.

Rendez-vous à l'ADE 2017 le vendredi 20 octobre de 12h30 à 13h20 au théâtre DeLaMar pour 50 minutes de conversations sur la scène marocaine avec DJ Amine K, fondateur du Moroccan Electronic Music Movement (MEMM) aux côtés de plusieurs figures de la scène électronique du monde arabe.

Camille est rédactrice free-lance à Mixmag France. Suivez-la sur Twitter.

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