Charlotte de Witte : Delicate Sound of Techno
« Il faut s'imposer comme un homme pour être respectée en tant que femme. »
Âgée de 25 ans à peine, Charlotte de Witte est animée du feu sacré, une flamme aussi pure et stricte que la techno qu’elle livre à son public quasiment tous les weekends, de festival en festival, de club en club… Ses dernières tournées l’ont emmenée jusqu’au Canada et aux confins de l’Asie. Charlotte possède plus d’une corde à son arc puisqu’elle est aussi productrice ; quoique jeunes, ses productions sont prometteuses, sombres, très dancefloor, flottant quelque part entre rêve et cauchemar - elle s’apprête d’ailleurs à sortir un nouvel EP sur le label écossais Sleaze Records, fin juin en digital, courant juillet sur vinyle. Ce n’est pas sans raisons que Trax Magazine l’a consacrée « nouvel espoir de la techno belge » et Tsugi « révélation de l’année 2017 » : la DJ-productrice semble prête à conquérir le monde.
J’ai pu l’interviewer il y a un mois, lors de la dernière édition du Marvellous Island, quelques heures à peine avant sa performance devant plusieurs milliers de festivaliers. J’ai rencontré une jeune femme sereine, déterminée, tout en étant très simple et accessible; Charlotte mixait juste après Amélie Lens, un set techno de deux heures - trop court, bien trop court même et pourtant suffisant pour se faire une idée du talent de la DJ. Un set techno très subtilement influencé par la Belgique et sa scène électro-transe - il fallait voir la foule en délire lorsque la jeune femme a joué son dernier track, l’Universal Anthem de Push, véritable hymne techno belge. Charlotte de Witte nous a offert un très beau moment avec une artiste aussi connectée à son public qu’à ses platines.
A seize ans, Charlotte déménage à Gand, en Flandre occidentale, commence à fréquenter les bons clubs électros de la ville et tombe amoureuse de la musique. Fascinée et surtout désireuse de s'impliquer davantage, elle se lance dans la préparation de mixtapes, tout d'abord pour son usage strictement personnel, pour ses trajets à l’école et ses promenades à vélo. Puis elle décide de les mettre en ligne en les postant sur son MySpace. Très vite des programmateurs de club la contactent pour la faire mixer dans leurs établissements. Bien qu’aujourd’hui elle clame tout haut son amour la techno, Charlotte fait ses débuts comme DJ électro à dix-sept ans, sans pour autant se fermer au reste de la musique électronique. Lorsqu’elle sent que le vent tourne pour ce genre musical, la jeune femme a déjà gagné en maturité; connaît mieux ses goûts et sait ce qui lui plaît dans cette musique. C’est donc plus facile pour elle d'aller directement à l'essentiel, soit ce qu'elle aime et ce qui lui ressemble : la techno. Le glissement s'opère naturellement ; electro, electro-house, techno-électro puis techno.
Elle est âgée de 17 ans quand elle commence à mixer. Après le lycée, elle commence des études de droit sans grande conviction. Pendant sa première année, le rythme des tournées s'intensifie. Doit-elle tenter sa chance et sortir du circuit confortable et rassurant des études ? Pour les raisons que l'on connaît, entres autres la sécurité et la stabilité d'un emploi conventionnel autant que les risques liés à la profession de DJ, elle coupe la poire en deux et décide de poursuivre d’autres études - du management événementiel - se disant ainsi qu'il sera plus facile de combiner la musique, sa passion, à sa nouvelle formation. Finalement, après trois années passées à étudier pour pas grand chose et surtout sa carrière de DJ prenant un tour réellement sérieux - de plus en plus de dates à l'étranger, de plus en plus de fans et de sollicitations de toutes parts - Charlotte laisse sans regret des études qui ne lui conviennent pas pour se consacrer intégralement au deejaying. Grand bien lui en a fait…
Quand on lui demande si elle se considère avant tout comme une DJ ou comme une productrice, elle répond sans sourciller, « comme une DJ, c'est ce par quoi j'ai commencé même si d'après moi le must reste de pouvoir jouer ses propres productions, » donc de combiner les deux. Côté production, Charlotte possède ses machines analogiques - dont une TR-808 et une 909 - ainsi que de vieux synthés chez elle, mais déclare travailler beaucoup sur ordinateur. Elle trouve cela extrêmement inspirant, de digger tous les plugins, tester toutes les options à exploiter, sans parler de l'aspect pratique. Les influences de Charlotte sont diverses; tout ce qui croise sa route peut l’inspirer, « un morceau de classique peut m’influencer, tout comme une pièce de jazz, bien qu’en ce moment c'est sortir et écouter ce qui se passe autour de moi qui m'inspire le plus ; écouter les autres, ce qu'ils jouent mais aussi ce qu'ils pensent de la musique. C'est fascinant. »
Est-ce qu'elle sera DJ toute sa vie ? « Je ne pense pas répond-elle, si par exemple je décide de fonder une famille, la vie de DJ pro qui vous oblige à être constamment loin de chez vous n'est pas compatible. » Pour le moment Charlotte de Witte est comblée: elle adore voyager bien que cela ne soit pas toujours facile. « Je suis jeune et je sens que mon corps peut tenir le rythme. Je ne pense pas qu'on puisse être en tournée, enchaînant les dates, toute sa vie. Ça demande beaucoup au corps et à l'esprit, le public autour de toi te sollicite énormément aussi. » Le rythme des tournées est intensif, depuis près d’un an, la jeune femme n’a pas arrêté, des gigs presque tous les weekends, en Asie, en Amérique du nord, aux quatre coins de l’Europe, sans oublier sa résidence au Fuse. « C’est encore quelque chose de neuf et d’excitant pour moi ; tu prends ton avion, tu arrives quelque part et tu profites des quelques heures de solitude pour dormir un peu avant qu’on vienne te chercher pour jouer au club. Dès que tu changes de pays, tu rencontres de nouvelles personnes, toutes tellement attentionnées. En vérité, même si tu dors extrêmement peu, c'est grisant.»
Pour elle, être une femme DJ dans un milieu extrêmement masculin est à la fois un avantage et un inconvénient. Un avantage, car comme il y a très peu de femmes dans la profession, c'est donc en un sens plus facile de percer. « Et pourtant, au début de ma carrière beaucoup de gens ne prenait pas au sérieux car j'étais une fille et surtout car j'étais très jeune. On pensait que j'étais la pour de mauvaises raisons : pour attirer l'attention par exemple. Alors qu'en vérité j'adore la musique, c'est tout. » Au début, la jeune artiste ne s'en cache pas, c'était très dur, elle fait face à beaucoup de jalousie et de mauvaises énergies, s'imposer était très difficile. Puis, peu à peu, elle réalise qu'« il faut s'imposer comme un homme pour être respectée en tant que femme. »
Depuis plus de deux ans, Charlotte est résidente des soirées KNTXT au célébrissime Fuse de Bruxelles, véritable institution électronique et temple de la techno. Ce sont d’ailleurs les programmateurs du club qui ont démarché la DJ au début de l’année 2015, elle y a d’abord joué sous l’alias Raving George. Le concept est simple, Charlotte partage les decks avec d’autres artistes qu’elle sélectionne en partie avec les programmateurs du club. Résultat : la jeune femme a pu jouer avec les monstres sacrés que sont Alan Fitzpatrick, Slam, Pfirter, Scuba ou encore Stephan Bodzin - qui a enchaîné après Charlotte au Marvellous 2017. Plus récemment, en mai dernier, elle a mixé toute la nuit, une véritable performance autant qu’un gage de son impressionnante maturité. « cette résidence m’a ouvert tellement de portes, notamment grâce à toutes les rencontres que j’ai pu faire au Fuse, tous ces artistes dont je suis fan, que j’ai pu côtoyer… »
Avec qui aimerait-elle collaborer ? En techno, sans hésiter, elle nous répond Len Faki - qui a éveillé le premier son intérêt pour la techno avec son remix de Stranger to stability de Dustin Zahn - Ben Klock ou Slam, respectivement messieurs Figure, Klockworks et Soma Records - pour que vous ayez un aperçu du genre de collaboration techno dont rêve la jeune femme: « et si je devais travailler avec des chanteurs pour des vocals, j’apprécie particulièrement Bob Moses, James Blake et la chanteuse texane Lera Lynn. Sa voix est tellement unique, je suis sûre qu'une collaboration serait terriblement intéressante. »
Lorsque je lui demande ce qui explique son succès, elle sourit « Question difficile… je suis têtue comme une mule, ça doit en partie venir du fait que je suis une enfant unique. Quand je veux vraiment quelque chose, je vais en sorte de l’obtenir, d’une façon ou d’une autre. Je suis persévérante. J’aime aussi énormément ce que je fais et cela de plus en plus, j’y vois une sorte d’effet « boule de neige ». La chance n'y est pas pour rien non plus nous dit-elle. Modeste, elle se considère avant tout comme extrêmement chanceuse.
« Ne lâche rien, même si ça peut avoir l’air niais c’est comme ça que ça fonctionne. Si tu es vraiment passionné, que tu aimes vraiment ça, tu ne devrais pas abandonner.»
Charlotte de Witte joue le 8 juin au Junction 2 Festival de Londres.
Crédits:
• Photo en une : Charlotte de Witte © Nicolas Karakatsanis
• Bas de page : Charlotte de Witte à Marvellous Festival, © Maxime Chermat