Cinthie: « Dans l’adversité, battez-vous pour vos rêves »
La DJ berlinoise, label boss de Beste Modus, Unison Wax and Beste Freunde confie les clefs de son succès
« Lorsque je regarde en arrière, je me rends compte que la plupart des femmes de ma famille ont tenu des positions généralement considérées comme masculines. Ma mère par exemple fut la première illustratrice technique de sa société, et ils ont même dû faire construire des toilettes spécialement pour elle comme ils n’avaient alors que des WC pour hommes.
Ma sœur est ingénieur mécatronique et je suis développeur de logiciel. Il n’y a que ma sœur cadette qui est plus du genre « génération Instagram » et elle gère un blog de mode. Mes parents nous ont toujours soutenues dans nos passions et mon père nous a montré comment nous servir d’un ordinateur dès 1990. Il nous a toujours emmenées avec lui lorsqu’il réparait sa moto ou sa voiture. Je me souviens avoir créé mon premier programme à l’âge de 12 ans, en 1992.
Mes parents ont également une énorme collection de disques qui me fascinait. Je pouvais passer des jours entiers à les écouter. Je connaissais tous les groupes et les producteurs, les labels, etc. J’ai commencé ma propre collection à 14 ans. En 1996, on m’a offert un job chez mon disquaire préféré. J’étais super excitée mais un peu intimidée à l’idée de travailler avec tous ces fans de techno plus âgés que moi. Mais bon, j’ai pris mon courage à deux mains et lorsqu’ils m’ont demandé si je savais mixer, j’ai bien entendu dit oui. Mais je commençais tout juste à faire mes premiers pas à la maison et à partir de là, à chaque fois que je travaillais au magasin je devais m’entraîner à mixer le matin avant que les premiers clients arrivent. Avec ou sans casque, les mecs me passaient toujours les disques les plus étranges qu’on avait en stock. Je me souviens de ce remix house de Dj Rush ‘Get On Up’, particulièrement traître. Du shuffle beat en veux-tu en voilà et pas de repères, probablement enregistré d’une traite avec des changements à tous les tours. Mais je l’ai fait. Depuis je n’ai plus jamais eu peur de jouer en public.
Lorsque je suis retournée à Berlin en 1999, j’ai signé sur un gros label et j’ai sorti mes premiers disques jusqu’en 2003, en finançant mes études avec mes dates de DJ. J’adorais jouer mais je ne songeais pas à en faire mon métier. Tout a changé quand on a commencé Beste Modus autour de 2012. Assez étonnée du succès que ça a eu, j’ai du prendre une décision. J’avais le boulot de mes rêves chez Ableton, j’étais une maman heureuse et mariée mais devais jongler avec des semaines de travail de 40 heures, gérer le label la nuit, travailler sur ma production et DJing le weekend - c’était tout simplement trop pour moi. J’avais pas mal d’argent de côté et suffisamment de dates de tournée prévues, alors je me suis dit: "si tu n’essaie pas, tu ne sauras jamais", et j’ai quitté mon travail. Puis tout a tourné au vinaigre dans ma vie personnelle. Ma chère maman nous a quitté beaucoup trop tôt des suites d’une attaque à l’âge de 53 ans. Une fois de retour à la maison après ses funérailles, j’ai trouvé mon « cher » mari m’avait trompée alors que j’enterrais ma mère. On avait eu des soucis auparavant mais ça a été le point où j’ai compris qu’il fallait le dégager de la maison et de ma vie.
Et puis quoi après? J’étais là, toute seule, sans boulot, mère célibataire avec personne pour prendre soin de ma fille lorsque je devais être en déplacement et à deux doigts de tout quitter. Mais tout à coup je me suis souvenue de ce que ma mère nous avait toujours répété : il y a une solution à tout. Elle avait raison. Pour être franche, j’étais très bien entourée, gérais trois labels underground qui vendaient bien, de nombreux soutiens de mon côté, de l’attention après mon set Boiler Room. Devais-je tout jeter à la poubelle juste parce que ma vie était devenue plus compliquée? Non, je n’ai jamais été ce genre de personne à tout abandonner lorsque les choses deviennent plus difficiles. Je me suis demandé: ok, est-ce que c’est vraiment ce que tu veux? Veux-tu vraiment faire de la musique à plein temps?
J’ai dit oui et c’est à ce moment là que j’ai commencé à me battre. J’ai trouvé une très bonne fille au pair qui prenait grand soin de ma fille lorsque je devais m’absenter, j’ai travaillé sur ma production et je n’hésite plus à montrer mes projets à d’autres gens et à demander de l’aide si j’en ai besoin. J’ai chiné sans relâche pour trouver les meilleures sorties et défricher les derniers talents. Et soudain, tout ce travail a payé. J’ai eu de meilleures dates, ma propre émission radio et mes labels ont vendu tout le stock de chaque sortie.
De cette longue histoire, j’aimerais que les lecteurs en retirent que peu importe le niveau de difficulté qu’on rencontre dans la vie, battez-vous pour vos rêves et trouvez des solutions pour vous améliorer ou vous rendre la vie plus facile.
J’ai eu de la chance, pour moi il a toujours été un avantage d’être une femme dans l’industrie de la musique. parce que ça m’a rendue spéciale au milieu de tous les mecs. Bien sûr au début certains ne m’ont pas prise au sérieux (et je pense que certains ne le font toujours pas) mais hé, c’est simplement la norme. Tu dois leur prouver qu’ils ont tort et les abattre à coup de succès, soyez honnête et demandez de l’aide s’il vous en faut, travaillez dur et trouvez votre propre voie, soyez vous-même et traitez les gens autour de vous avec respect parce vous les reverrez certainement plus tard dans votre vie. Faites l’effort de trouver la meilleure musique, d’enregistrer des sets et de les mettre sur votre Soundcloud, coller des affiches et des stickers dans les rues et les disquaires de votre ville lorsque vous y jouez. Toujours mettre ce petit extra dans votre travail, utilisez les haters pour devenir encore meilleurs et gardez vos amis à vos côtés pour vous soutenir.
Et bien sûr n’ayez pas peur de travailler dur. Les gens me demandent toujours ce que je fais de mes semaines parce que beaucoup pensent que je me pointe juste à l’heure en club pour jouer et rentrer chez moi. Il y a beaucoup plus que cela. En général je me réveille vers 6h du matin pour avoir environ 30 minutes de temps pour moi. Ma fille a 7 ans et elle va à l’école, on doit y être pour 8h. Trois fois par semaine j’essaie d’aller en salle de sport pour garder la forme. Le lundi et le mardi je chine des morceaux pour mes sets et mon émission radio, avec mes promos ou chez les disquaires. Le mardi j’enregistre le show pour le weekend et je rends visite à mon agence Watergate comme ils sont à côté des studios de la radio. Les mercredi et jeudi sont dédiés au studio, non négociable. Du vendredi au dimanche je suis en général sur la route. Je récupère ma fille à 3 heures de l’après midi à l’école et j’éteins mon téléphone pour pouvoir passer du temps avec elle sans interruption. Entre diverses sessions de travail j’arrive à caler des réunions de business, visites chez le distributeur ou notre service de pressage pour récupérer des promos ou des samples et une conversation rapide. J’adore avoir tout à proximité de chez moi. En écrivant ces lignes je me rends compte que je suis toujours occupée et que je ne prends pas vraiment de vacances mais pour être honnête je ne me suis jamais sentie aussi bien, j’adore tout ce que je fais en ce moment.
Je crois dur comme fer que tout travail porte un jour ses fruits et même si ça prend dix ou quinze ans, ne lâchez rien. »
Crédit photo : © Marie Staggat