Des platines de l'Haçienda aux tapis de yoga
DJ ou prof de yoga, Matt Ryan ne fait jamais les choses à moitié
Dans les années 90, Matt Ryan dort le jour et vit à fond la nuit, avec la fine fleur de la scène de Manchester. Fun pour un temps, ce style de vie finit par le plonger dans une longue dépression dont il ne sortira ni par la thérapie, ni par les pilules... mais par le yoga. Vingt ans plus tard, il vient d’ouvrir sa propre salle à Londres. Rencontre.
Pour trouver le Yoga London Club de West Hampstead, dans le nord-ouest de la capitale anglaise, il faut d’abord frapper chez un barbier. Là, on vous explique qu’il faut « passer par derrière » pour arriver à destination. Vous pénétrez alors dans une ruelle aux murs de briques rouges, à peine assez large pour deux personnes. La porte d’entrée du studio est d’abord occultée par un épais nuage de vapeur craché par l’arrière d’un café. Tout rappelle plus l’entrée d’un club caché que d’une salle de yoga. L’arrivée de Matt Ryan, grosse doudoune et capuche sur la tête, n'atténue pas cette impression. Soit il vient mixer, soit il vient dealer. Pas vous apprendre à respirer et passer vos jambes derrière la nuque.
En chaussettes noires et sweatshirt Champion vert, l’ancien DJ se fend d’un rire franc lorsqu’on compare son havre de paix à ses vieux lieux de débauche. « J’aime bien le fait que ça sorte des sentiers battus, commence-t-il, souriant. Tu ne vas pas tomber dessus par hasard. Tu dois trouver cet endroit. C’est comme à l’époque, quand tu devais trouver une rave ou un club bizarre. Le décor et l’esthétique accentuent ce côté-là. » Il y a une vingtaine d’années, ce genre d’endroit aurait véritablement pu se transformer en bar clandestin. Le local, une quinzaine de mètres carrés, avec une unique petite fenêtre opaque comme source de lumière naturelle et des murs de briques noircies par le temps, servait il y quelques semaines encore de débarras au barbier d’à côté.
Ami de longue date de Matt, le propriétaire a gracieusement proposé de rénover l’endroit. Dans les effluves de peinture blanche émanant encore du plafond en Placo, Matt explique : « Il m’a demandé si je voulais enseigner le yoga ici. Je devais le prendre deux jours par semaine puis je me suis dit ”fuck it, faisons à plein temps” Quel bonheur ! » Si Matt se sent aujourd’hui bien dans sa peau, c’est en grande partie grâce au yoga. Une pratique qui lui a permis de s’extriquer d’une situation psychologique difficile.
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Pills, thrills & depression
Né en 1969 à Manchester, Matt baigne dans la scène locale. Celle d’Happy Mondays, 808 State et de la MDMA, entre la fin des 80s et le crépuscule du XXe siècle. Grâce à un ami, il mixe pour la première fois en 1990 au South, club underground du centre-ville. Doué et jouissant d’un réseau efficace, il enchaîne vite avec d’autres hauts lieux de la nuit mancunienne tels HOME et la mythique Haçienda. Pendant quelques années, il s’éclate. Jusqu’à ce style de vie le brise. « Quand tu es DJ, que tu bosses dans des night-clubs, c’est difficile de maintenir une sorte d’équilibre, explique-t-il. Je n’y arrivais absolument pas. J’étais trop dans l’excès. Je vivais comme une chauve-souris. La House et l’ecstasy, c’est un mélange assez inflammable : excitant, mais aussi létal. J’ai commencé à avoir de gros problèmes d’anxiété. » Selon les médecins, Matt souffre alors de dépersonnalisation. Un trouble qui se décrit comme la perte pour un sujet « de sa propre réalité physique et mentale ». Ou selon les mots de l’ancien DJ : « Tu as déjà fait un bad trip sous acide ? Ou une crise d’angoisse aiguë ? C’est pareil, sauf que ça dure des semaines. Des mois. Tu n’as pas l’impression d’être réel. Certains docteurs l’associent à de la dépression, d’autres à de l’anxiété. Ils me demandaient si j’étais déprimé. Bien sûr que j’étais déprimé, putain ! » Dos au mur, il stoppe assez facilement drogues, alcool, théine et caféine. Mais ça ne suffit pas. Pour aller mieux, Matt essaie la médecine alternative, l’homéopathie, l’acupuncture. Aucun résultat. Selon lui, les antidépresseurs et anxiolytiques font, eux, pire que ne pas l’aider : ils « accentuent le problème ».
Un jour, une serveuse de l’Haçienda lui suggère de se mettre au yoga. Au début, le gamin de Manchester, qui ne sait rien de cette pratique, est perplexe. Malgré tout, il décide de tenter le coup. Par chance, il tombe sur une forme de yoga qui lui va à ravir : une variante très physique de l’Ashtanga, que les Américains appellent Power Yoga. Rapidement, Matt parvient à exécuter des positions totalement folles, des trucs de contorsionnistes. En plus de l’aspect physique, il est « pris par surprise par l’élément mental », qui lui permet, selon ses mots « d’apercevoir la lumière ». Comprenant que cette pratique lui fait du bien, il s’y jette corps et âme. En six mois, sa vie change. Il fait son sac et s’envole pour l’Inde deux mois afin d’étudier sa nouvelle passion.
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« Tu auras forcément moins envie de prendre de la drogue. Mais pas d’arrêter la fête !»
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