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Culture

Une fierté italienne: rencontre avec la nouvelle école Italo-disco de Naples

La cité nourrit une scène locale haute en couleur

  • Jack Needham
  • 20 September 2017

Après un trajet de 10 heures en train dans la campagne italienne, me voilà à Naples. Je suis là pour découvrir une nouvelle espèce d’Italo disco des temps modernes, qui a donné naissance à ce qu’on surnomme désormais le ‘son de Naples’. On m’a parlé du charme naturel et de la bravade légendaire des locaux, de la romance de l’Italie du sud qui vous guette à chaque coin de rue pavée et de ses places animées. Mais là, tout de suite, il pleut et la silhouette imposante du Vésuve qui surmonte la Méditerranée est entourée de nuages. « On n’a pas l’habitude de ça, ici à Naples », me dit Raffaele Arcella, aka Whodamanny, le cofondateur de Periodica Records, lorsqu’il me rejoint dans un café à proximité. « Mais rien n’est jamais parfait… »

Depuis les années 70, des noms comme Pino Daniele, le saxophoniste James Senese, Ernesto Vitolo et le groupe Napoli Centrale ont fait l’identité musicale de Naples, entre jazz rock et leftfield funk, avec la saveur complètement unique et impossible à définir qui vient à ceux qui vivent près de la mer. « Si tu as vécu ici, tu portes ce feeling en toi, et il sera toujours là », me dit le producteur Pellegrino Snichelotto, co-fondateur de Early Sound Recordings. Son mini LP Periplo s’est basé sur l’héritage de la ville avec six morceaux de balearic jazz / beachfront tropicália qui vient immédiatement orner votre cocktail d’un petit parapluie, et ce dès la première écoute ; une exploration du « disco méditerranéen » qui a fait la grandeur de Naples pendant plusieurs décennies.

« Naples est une cité portuaire », il explique. « Quand tu contemples la ville depuis la mer, on dirait que le port ouvre ses bras à l’océan, accueille des personnes de tous horizons, t’invite à le rejoindre et te perdre dans ses rues. Il y a une vraie volonté de partager avec les autres et nous sommes ouverts aux influences de l’extérieur. Mais je dois dire que j’aime Naples pour les mêmes raisons que je la déteste. C’est dur, parfois ce n’est pas une ville où il est facile de vivre, mais tu le sens dans les rues. Ça se reflète dans la musique des gens, et dans la nôtre, aussi. »

Dans les années 80, une scène locale Italo disco énorme s’est formée, souvent grâce à des labels et des branches de distributions créées par les organisations criminelles de la Camorra. Celles-ci sortent alors des centaines, si ce n’est des milliers de titres chaque année. Échangeant les basslines arpégées pour des synthés Euro trance, le modèle musical de la Camorra subsiste encore d’une certaine manière dans le sous-genre de la pop italienne nommé le ‘neomelodico’, qu’on ne trouve guère que dans les régions du Sud du pays. Très peu de ces premiers titres ont jamais franchi les murs extérieurs de Naples, distribués de main en main quand les anciens décident de revendre leurs vieilles collections de disque au marché aux puces de leur quartier. Comme ces titres sont passés d’une génération à l’autre sans se diffuser vers l’extérieur, cela a permis à Naples de cultiver son propre cru musical ; « un état d’esprit du type ‘Faisons juste du bruit’ », comme le décrit Snichelotto.

« Beaucoup de gens assimilent la musique électronique italienne à l’Italo disco des années 80, mais Italo désigne en fait tout ce qui se fait en Italie à destination des dancefloors, passés et présents », décrit Dario Di Pace, membre fondateur du groupe napolitain The Mystic Jungle Tribe, formé par Di Pace, Whodamanny et Enrico Milord Fierro, un trio de napolitains pur souche férus de synthétiseurs. Entre eux et leur communauté soudée de collectionneurs, DJs et fêtards proactifs, la Tribe compte à son actif plus de projets que la plupart des collectifs. Ensemble, Arcella et Fierro produisent des titres exotiques sous le nom de The Normalmen. Sous son alia Rio Padice, Di Pace a sorti des EPs pour Clone et Dekmantel. Merko Palomba, Fabio Gits et Cristiano Cesarano forment quant à eux Soul Express, pierre angulaire de la vie nocturne napolitaine qui a attiré Pender Street Steppers, DJ Rahaan et Jada G en Méditerranée et causé un barrage de 800 personnes venues assister à une performance de l’icône locale Tony Esposito en janvier 2017.

À Naples, on respecte les véhicules autant qu’on les craint. Je frôle la mort avec les taxis près de six fois au cours de mon séjour, et j’ai même pu voir un convoi d’ados en mobylette me dépasser à toute blinde, les yeux rivés sur leur portable. Mais alors que ceux sur quatre roues foncent dans les rues, à pied la vie va à un rythme beaucoup plus humain. « On prend les choses tranquillement ici, rien ne presse », dit Arcella. Et ça se reflète dans la musique. Alors que nous conduisons dans les collines de Naples, nous arrivons à West Hill Studios, le repaire de la Tribe, où ils ont passé six mois et d’innombrables heures à la confection de leur dernier EP en date, Plenilunio. Le studio est une vraie caverne d’Ali baba, remplie de synthétiseurs Casio, de boîtes à rythme, d'un tigre empaillé et de quelques tarentules qui parviennent parfois à se glisser de l’extérieur. « C’est aussi leur maison », souligne Arcella, l’air blasé.

Rendre hommage à leurs racines est d’une importance cruciale pour the Tribe. Alors que nous écoutons ‘Plenilunio’, Raff demande « est-ce que ça sonne Italien, pour toi » au moins quatre fois. Pour Di Pace, son premier LP solo ‘Tropical Interlune’ était initialement influencé par le son américain des années 70 et 80, mais il a trouvé que les 7 000 km qui séparent Naples et New York constituaient un fossé culturel un peu trop grand. « À ce moment là [la production de ‘Tropical Interlune], j’ai commencé à écouter du boogie américain et du disco, mais après je me suis demandé pourquoi je devrais avoir à trouver mes inspirations dans une culture qui n’est pas la mienne ? », il explique. « Je ne suis pas américain et ce n’est pas ma culture, donc j’ai commencé à m’initier à la musique italienne. Le jazz funk, l’électronica, le disco, et c’était incroyable. Quand je DJ, j’aime passer des titres italiens parce que… » Il s’arrête. « Fierté italienne? » je demande. « Bien sûr », il me répond. « Quand tu découvres ce genre de musique et que tu l’étudies, tu ne peux pas retourner à autre chose. »

Quel que soit son secret, les napolitains en sont plus que passionnés. Vous vous identifiez à votre pizza préférée de la même façon que vous adorez votre équipe de foot, et leur vision de la musique est la même. « Ici, à Naples, on est des sentimentaux, dans le bon et le mauvais sens. Tu es un de mes amis ? Non, tu es mon frère, tu es mon sang. Si tu es mon ennemi ? Je ne peux pas te voir, tu n’existes pas », m’explique Graff avec enthousiasme. « C’est un trait de caractère qui vient de Naples, alors si tu veux cerner le son de 'Napoli', penses-y de manière extrême. Nous nous soucions énormément de ce que nous ressentons, donc la musique de Naples est soit extrêmement joyeuse, ou extrêmement triste. Pour nous, nous ne composons de musique que quand nous sommes heureux. Ce n’est pas conscient vraiment, c’est que nous devons avoir de bons sentiments pour faire de la musique. »

« Tout commence par une esthétique », ajoute Dario, en expliquant leur approche quasi-prophétique de la production. « On ne pense pas à quel genre on veut produire, on l’imagine simplement… » Prenez le titre principlal de ‘Plenilunio’, leur interprétation d’une fleur éclose, ou ‘Terrazza Sul Mare’, du ‘Qvisana’ de 2016, vraie invitation à une ‘Terrasse sur la mer’, et ce même si vous l’écoutez d’un appartement gris du fond de la Seine-Saint-Denis.

Le jour suivant, je me promène en ville sous le soleil, il fait 28 C, et je passe devant un nombre incalculable de gens appréciant leur Peroni al fresco, en écoutant Futuribile Records. Depuis son ouverture en décembre 2016, Futuribile est rapidement devenu l’un des premiers fournisseurs de wax d’Italie ; ses rayons fournis de merveilles choisies par les mains expertes de Di Pace et Cesarano, issues de leurs recherches infatigables de classiques oubliés et de pépites inconnues. À un moment, Dario me donne un vinyle avec soin, le saint-graal qui, à en juger l’état de la pochette, est passé par plus d’une génération. C’est ‘Flour Music’ de Hans & Romeo, sorti en 1985 et listé sur Discogs à plus de 220€. Un poster de l’héroïne de hi-NRG, Sabrina Salerno, a une place de choix sur leur panneau d’affichage, trente ans après que ‘Boys, Boys, Boys’ devienne la pièce incontournable de toute pool party digne de ce nom. Un clin d’oeil à leur amour inconditionnel des icônes italiennes à travers les âges.

Futuribile fait également office de club pour Early Sounds Recordings et son sous-label Periodica. Périodica s’est formé pour mettre en valeur de nouveaux artistes et « des trucs de fou, sans restrictions », comme le décrit Dario. Depuis 2014, le label a diffusé son originalité sur les dancefloors avec ses sorties incroyables signées Piyojo et Riccardo Schiro et les sorties de Zampera & Mutto teintées d’influences Miami des 80’s. Mais Early Sounds Recordings est là où tout a commencé ; c’est le label qui depuis sa première sortie EAS001 en 2011 est devenu la maison-mère du duo guinéen de Lucio Aquilina et Massimo Di Lena.

Sous leurs anciens alias solo, Lucio Aquilina et Massi DL avaient réussi à capter l’attention de Cocoon, Cadenza et Spectral Sound, le label de Matthew Dear qui a sorti quelques uns de leurs premiers titres. « Autour de 2006 on nous a présenté tous les deux aux bonnes personnes, on a sorti les bons titres au bon moment et on a commencé à monter et un jour peut-être qu’on serait même devenus gros, mais ce n’était pas le genre de vie qu’on voulait », raconte Massimo en évoquant leurs débuts. La techno big room avait ses avantages bien sûr - « le cachet était très élevé », remarque Lucio - mais alors que le duo se plonge peu à peu dans le funk, le disco et le jazz, leurs goûts deviennent plus variés. Puis c’est l’épiphanie : Theo Parrish (« qui mieux que lui nous aurait fait comprendre qu’on pouvait jouer ce type de titres en club et que les gens les apprécieraient », s’exclame Massimo) : Nu Guinea était né. « Maintenant quand on joue, on se fait de nouveaux amis et on aime le milieu dans lequel on évolue », ajoute Lucio. « On se reconnait dans le public pour lequel on joue désormais ».

Si le train de vie de Naples devait être plus relax, il se retrouverait en dessous du niveau de la mer. Le jour ne commence pas avant que la température commence à tomber, vers 16 heures, et quand bien même les gens font bien attention à ne pas trop bouger. « Dans les pays plus chauds, tout le monde est plus détendu. Si tu vas au Brésil ou à Cuba, tout le monde est un peu plus reposé, et nous avons le même esprit à Naples », pense Massimo. C’est peut-être à cause de cette connection avec les climats plus chauds qu’en 2016 Nu Guinea a rejoint le label français Comet Records pour ‘The Tony Allen Experiments’, un projet collaboratif entre le duo et l’ancien batteur de Fela Kuti. Plus récemment, ils ont intégré le jeune compositeur-interprète Wayne Snow comme membre honoraire, et ont produit son brillant EP Nothing Wrong.

Aujourd’hui, Nu Guinea a quitté la baie de Naples pour Berlin, et pourtant l’influence de la "techno city" n’a pas réussi à les faire changer d’avis. « Je pense que le climat a une influence sur notre musique mais on ne se laisse pas abattre par le froid de Berlin, au contraire, on rend notre musique encore plus exotique pour compenser », explique Massimo. À paraître bientôt sur le nouveau label du duo, NG Records, le prochain 7’’ ‘Amore’ est une lettre à la ville qu’ils ont laissé derrière eux, un hommage romantique à l’amour grâce aux palmiers funk et ses basslines généreuses. « Nous sommes tellement connectés à Naples qu’on ne perçoit plus la distance. C’est notre petite île de bonheur, et ça ne changera jamais. »

Pour ma dernière nuit à Naples, nous faisons les 45 minutes de route qui mènent à la côte de Torre del Greco pour Famiglia Discocristiana. Au pied même du Vésuve, à un endroit nommé Café Street 45, se trouve une version moderne du Club Tropicana, où les boissons ne sont pas gratuites mais le negroni à l’italienne est incroyablement fort. Son hôte Lorenzo Sannino y est très respecté. RAF le décrit comme « toute l’Italie personnifiée », et Cesarano m’informe qu’« il y a des titres qui n’existent que dans sa sacoche. » Il est l’équivalent napolitain de DJ Harvey, et ses soirées mensuelles sont devenues le rendez-vous incontournable pour les danseurs locaux et les diggers envieux à la recherche d’un coup d’œil à sa collection de rareté. « Je pourrais te le dire, mais alors il faudrait que je te tue », me dit Sannino quand j’essaie de découvrir l’origine secrète de sa collection.

Avec une vue imprenable sur la côte, et séparée d’un précipice de dix mètres par une barrière blanche, la terrasse de Café Street 45 donne sur Sorrento à l’Ouest, Naples à l’Est, et en plissant un peu les yeux, l’île d’Ischia en face. La lueur des torches vacille au loin, alors que les pêcheurs passent leur vendredi soir à chasser des poulpes. Mais sur la terre ferme, alors que Sannina et son invité pour la nuit, le selector munichois La Discoboulet, sérénade le public de la terrasse avec du disco slo-mo, revisité de tout les coins du globe. « Parfois, mes amis et moi, on va en montagne et on joue nos nouveaux tracks en extérieur pour voir comment le son résonne dans les vallées. En particulier, on va dans des endroits où on peut sentir une connection forte entre Naples et une atmosphere sacrée, l’inspiration d’un folklore ancien », me dit Sannino. Et en dépit de mon scepticisme britannique inné envers la spiritualité de la musique, son approche unique du DJing fait mouche, tout en restant indescriptible. Mis à part un titre de James Brown et un air de ‘Girlfriend Is Better’ de Talking Heads, la sélection de cette nuit-là échappera complètement au radar de Shazam, me poussant à profiter du moment, un luxe dans notre version contemporaine du clubbing. « Cet endroit a quelque chose d’unique », dit Sannino, en essayant de définir l’essence de cette identité toute italienne. « Tu ne peux pas l’exprimer avec des mots, tu ne peux le faire qu’à travers la musique. »

Jack Needham est journaliste freelance. Suivez-le sur Twitter

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