Gravitation vers un drôle de truc : l'histoire de Danny Daze
Qui pourrait être meilleur guide de "l'autre Miami" ?
Westchester n'est pas vraiment le "Miami Art Deco" qu'on a l'habitude de voir avec ses corps taillés à la plage, ses superclubs glamour, ses fontaines. Westchester est un quartier joyeux et bien entretenu mais quoiqu'un peu rude autour des endroits chics avec leurs bungalows blancs, les pelouses bien tondues, les routes poussiéreuses et les meubles de jardins dépareillés. Westchester est un quartier cubano-américain très soudé, où résonnent à chaque seconde de chaque week-end de chaque cour, la salsa ou la merengue, où se retrouvent les riverains pour cuisiner dehors ou faire les commères. Danny Gomez alias Danny Daze travaille à l'arrière d'une maison qu'il a achetée à une famille dont le pick-up garé devant met en lumière une pub pour le nettoyage de piscine. Sa maman vit au coin de la rue. Elle est dans le quartier depuis qu'elle a échappé à cinq ans au régime de Castro à Cuba. Au bout de cette rue, il y a un petit court d'eau verdâtre, là où Danny attrapait les poissons quand il était petit. Et enfin, un hangar où lui et les autres petits s’adonnaient au breakdance. Il préfère porter le baggy relevé juste au-dessus de la cheville. Les cheveux noirs, compacts et de taille moyenne, il a la dégaine gracieuse des anciens danseurs. La grand-mère de Danny vit aussi de l'autre côté de la rue.
La maison, ou plutôt le bunker de Danny ressemble à ce que l'on appelle a “gran flat” (ndlr. appartement de grand mère) : une chambre avec une kitchenette attenante, une salle de bain, un lit assez bas rempli de vêtements tout juste sortis de la valise. Bien sûr, peu de « gran flats » possède de flamboyant studio d’enregistrement, avec un Mac 27', un Moog Voyager XL, Ensoniq Fizmo, un Prophet 12, un Omega 8 et un Studio Electronics ATV 1-X. C’est le logement de Danny pour la moitié de l'année (il détient aussi un appart à Berlin).
Danny est très demandé à travers le globe. Il est non seulement un très impressionnant DJ dont les sets dans les clubs du Warung au Panorama bar sont une marque de caractère et d'éclectisme. C'est également un producteur au talent rare, dont l'électro et la techno sont bourrées d'idées, chevillée à un dancefloor amical, une bassline esthétique qui prend de l’épaisseur au fur et à mesure qu’elle monte – une combinaison de facteurs qui reflète son caractère propre et aussi cette ville unique. Ce mois-ci, il s'est révélé comme la force derrière Omnidisc Records, un label que le rédacteur électro de Mixmag décrit comme “Toujours profond, frais et toujours destiné au dancefloor : l'un des labels les plus excitants du moment en matière d'électro et de techno”.
Au cours des deux prochains jours, Danny sera notre guide à travers la ville, nous montrant les lieux et les gens qui ont influencé son histoire et sa musique, un récit qui se tient loin des paillettes des gros clubs de Miami Beach, comme Westchester ce mardi après-midi. Mais avant toute chose, il doit d'abord déposer un peu de lessive chez sa mère.
Peut-être connaissez-vous Danny Daze grâce à son énorme tube de l'été 2011, « Your Everything » chez Hot Creations, une part bien chaude de néo dance-pop profondément libérée, alors que le label était à son sommet. Ça aurait pu être un problème qu'un ancien producteur de pop peu familier avec la deep house sorte un disque comme celui-ci. Danny estime qu’ « Inconsciemment, j'ai fait un disque de pop underground, j'ai fait un disque qui est sorti sur un label qui était connu pour ça, ce qui est assez cool. C'est pour ça que je suis là à vous parler aujourd'hui. »
Mais alors que l'énorme succès de ce titre fait de Danny une réputation internationale, le manque de connexion entre ses DJs sets et le reste de la musique qu'il produit et aime, l'a piégé dans des tenailles étranges. Les promoteurs pensaient avoir booké un DJ “deep-house”, et en fait, pas vraiment.
« J'allais à l'une des soirées où j'étais programmé et je jouais techno » explique-t-il « la frustration était évidente. » La nouvelle se répandit que « Your Everything » ne reflétait pas le style de Danny. « J'ai du me retirer de pas mal de line-up. Je n'étais pas booké pour ce que je voulais vraiment faire, bien qu'en même temps mon nom faisait encore du bruit. C'était une période très bizarre. » Heureusement, la plupart des gens ont bien reçu le message. Danny Daze joue et fait des bass-heavy electro et techno : très dansant tout ça, mais cinquante nuances plus sombres que tout le son estival de la période 2011/2013. Aussi sombre que notre destination première.
Le Churchill Pub n'est pas exactement ce que vous espérez lorsque vous vous trouvez dans une zone appelée 'Little Haïti'. Elle s'étire dans un coin de rue comme les boîtes d'aggro sans fenêtre que l'on peut dénicher dans certains parages de Glasgow, là où lorsque l'on supporte la mauvaise équipe de foot c'est comme demander une baffe, ici la porte nous gratifie d'une peinture de géant. Le pub diffuse des odeurs de crasse, de cigarettes, de vêtements détrempés par la bière, déclenchant en nous un spasme proustien, qui nous rappelle forcément avec un peu de nostalgie une de nos soirées.
L'intérieur est terne, il y a un bar central avec deux tables de billard sur le côté et une salle assez old-school pour la musique, un peu plus loin au fond. Les toilettes sont une débauche de peinture jaunie, mêlant graffitis et autocollants de groupes punks aux noms terribles. C'est génial. On veut bien croire Danny lorsqu'il nous explique que c'est l'un des épicentres de la musique alternative de la ville. C'est ici que nous allons rencontrer une partie des monarques de la ville en matière de dance music.
Les premières expériences de Danny en prod ont été marquées par la basse dans sa forme la plus pure. Le genre qui secoue. Le genre que Danny maniait sur le logiciel Fruity Loops à 14 ans pour les soirées en voiture, une tradition à Miami qui implique de charger sa bagnole autant que possible avec le caisson de basse et faire péter du son spécialement produit pour repousser les limites d'une cage thoracique. S'il y a une chose qui caractérise encore Omnidisc aujourd’hui, les productions de Danny Daze et cette ville en elle-même, c'est la grande histoire d'amour pour les basses.
Le son de basse de Miami a été inventé par l'une des légendes que Danny à invité au Churchill aujourd'hui, Dave Noller. Mieux connu sont le nom de Dinamix II, il est un quarantenaire au caractère affable. En 86, son titre 'Give the DJ a Break' synthétise électro et hiphop et fut le premier morceau en 808 seul. « Peut-être que c'est la chaleur ici », dit Dave, « mais les gens semblent graviter vers le breakbeat et une basse lourde ». C'est entre 86 et 94 que les basses étaient la grande tendance à Miami, mais le son est toujours très influent – pas moins sur les productions de Danny comme le monstrueux « POP », conçu le mois dernier sur Mixmag.net.
Ici, il y a aussi Otto von Schirach. Un évangéliste fruitarien qui est en train de bosser sur une suite de « Supermeng », LP de 2012 pour Monkeytown. Cet exubérant à poil long a rencontré Danny qui jouait du hip hop et du r’n’b obscur lors des Full Moon Parties dans un snowpark appelé Malibu Castle. Danny avait 15 ans. « Je pense que vous avons modifié un peu son cerveau. Il était plus observateur que raver, toujours fasciné par mon équipement. Nous avons commencé à traîner ensemble il y a sept ans, et j'ai commencé à réaliser que la musique de ce gamin était putain d'épique » dit Otto.
Le prochain à nous rejoindre pour une pinte au Churchill est un homme taillé comme un boxeur, un sourire bien affiché et des mains de chirurgien. Né au Nicaragua, DJ Craze a été une inspiration puis un ami de Danny depuis l'époque où ils traînaient ensemble au rollerskating park le Hot Weels entre 99 et 2000. Danny commençait à peine à faire de la musique. Quatre fois champion de DMC, Craze est l'un des plus grands platinistes de tous les temps. Lui et Danny ont longtemps partagé les mêmes sensibilités : « On gravite toujours vers le même truc étrange ». Ce « truc étrange », ce son indie expérimental, qui rend le travail de Danny si frais, est représenté par le label qui a fait plus que quiconque pour faire évoluer Danny. Schematic Records a été fondé par Romulo Del Castillo en 1996, comme un label post-rave, rapidement connu sous le nom de American Warp. Romulo décrit Danny comme l'une des rares personnes à garder l'énergie de la scène made in Miami en vie. Mais cela va dans les deux sens : les productions intelligentes et sensibles de Schematics ont eu une influence immense sur le développement de Danny en tant qu'artiste, mais quand il s’est fait chopé avec 2000 pilules d'ecstasy et a fini en résidence surveillée, cela l’a aidé à ne pas péter les plombs.
Engagés dans un savoureux repas cubain - mais fatal pour les artères - composé de porc effiloché, plantain et riz noir, au repaire local le Palacio de los Jugos, Danny explique : « À ce stade (en 2002), j'étais en galère d'argent, j'ai eu un accident de voiture et je ne pouvais plus travailler. Ma mère ne pouvait pas m'aider et mon père n'a jamais aidé de toute façon (les parents de Danny se sont séparés quand il était jeune). J'aurais braqué une banque. Une fille m'a parlé sur internet et m'a demandé : « tu sais où est-ce qu'on peut trouver un paquet de pilules ? » La première et dernière incursion de Danny dans la criminalité n'avait pas vraiment l'air d'un plan.
En réalité, ce qui a suivi aurait pu être une scène coupée du film des 90s Go : après s’être approvisionné en pilules et après avoir rencontré celui qui s’est révélé être un détective under cover dans un parking d’un Hooters, à la minute où Danny a plongé la main dans sa poche, une douzaine de flingues se sont braqués sur son visage. Passage en prison pour délinquants, fin d’une potentielle carrière de tennisman pro et neuf autres mois en résidence surveillée. « Ils avaient pour habitude de me laisser une heure par semaine pour me faire couper les cheveux ou acheter de la nourriture. Je me souviens à peine de ce moment-là. J’étais un peu bloqué dehors, tout ça était très monotone. » dit-il. Il est resté sain d’esprit en discutant électro sur des forums en ligne et sur Instant Messenger, vendant et achetant en ligne des vinyles, se rapprochant de plus en plus profondément d’artistes tels qu’Island Ruxpin et de Lackluster, et des sons sortant des labels M3rck et Schematics. « Je suppose que c’était une musique vibrante, du coup je gravitais vers elle » dit-il.
Quand Danny en eut fini avec sa détention en 2005, il s'était endetté de 75 000 dollars en frais d’avocats. Il a du coup décidé de se concentrer sérieusement sur le moyen de se faire de l’argent. Au début, il était payé à tuer des cafards la journée et à faire le DJ la nuit venue. Il ne faisait pas beaucoup de concerts : « J’ai fais trois cents et quelque mariages. J’ai joué pour des gens sourds. J’ai joué pour des fourth-graders, pour des neuf-dix ans à une fête, j’ai joué du Jennifer Lopez en passant par les Vengaboys et j’étais pas mauvais à ça. Tout pour faire de l’argent ». Son style était agréable entre mash-ups juxtaposé à de la disco et de la funk, de Jefferson Airplane à Violent Femmes. Enfin, il obtint des concerts dans des clubs, y compris une semaine de résidence dans un endroit appelé Funktion et le lundi soir dans une soirée appelée Back Door Bambi. En attendant, ses edits étaient choisies par DJ AM, et en 2006, il fait équipe avec Joe Maz et son frère Gigamesh pour fonder Disco Tech. Ils ont vite été demandés à travers les Etats-Unis, partaient en tournée de Las Vegas à Los Angeles en passant par Detroit. « C’était marrant à l’époque » se souvient-il, « mais au bout d’un moment, tout le monde avait ce style. En 2009, je me disais juste : ça suffit ». Ce périple vers la musique qu’il désirait vraiment jouer s’est fait en 2009 avec le titre « Ghettofab » sous son propre nom, qui a été inclus dans les mix de DJ Hell et Loco Dice. Il prit une année sabbatique et « Your Everything » est arrivé.
Pendant que nous marchons dans Little Havana, là où les bars à touristes sont collés aux parcs où des vieux cubains jouent aux dominos, on entend au loin ce qui sonne plus comme du gabber que de l’électro, et Danny tourne ses pensées vers le futur. Ce qui signifie se concentrer sur Omnidisc, des sorties prévues avec Legowelt, Sebastien Bouchet, Dean Grenier, DJ Tennis et David Vunk, Polyester, une disco pleine d’influences, riche en bass, et la tech-house 80 Hertz.
Cela signifie qu’en quelques années, il a su faire passer le message sur quel genre d’artiste il pouvait représenter, ce message résonne du Brésil jusqu’à Berlin, jusque dans son dernier Essential Mix chez Radio 1, pour résonner dans ses futurs concerts au Miami Music Week. C’est à propos de Danny et de certains des incroyables talents de sa ville natale, qui doit revenir à ce qu’elle appartient : l’épicentre du monde de la dance music.
'Miami EP' est dispo sur Omnidisc