Influences: Letta, de Skid Row à Redemption
L'un des albums les plus touchants de l'année
(Photo: Ryan Rose)
Influences est notre série dédiée aux inspirations des musiciens derrière les projets qui ont attisé notre curiosité. A la croisée des genres, nous invitions les artistes à nous donner un aperçu des expériences qui ont donné lieu à la genèse d’une oeuvre.
Ce nouvel épisode est dédié au producteur de grime instrumental américain Letta et à sa vie bien particulière: miraculeusement rescapé d’une vie de SDF, junkie héroïnomane dans les rues désolées de Skid Row, le quartier des sans-abris à Los Angeles, il a retrouvé l'espoir dans une carrière de musicien. Redemption est le titre de son album déchirant, élégant et d’une justesse à couper le souffle.
Il comprend de magnifiques collaborations avec Ryan Hemsworth et Mr Mitch. Confronté très jeune à la dépression, le rejet et la mort de ses proches, c’est de véritable laissé pour compte de la société américaine qu’il s’est hissé au rang d’artiste à la carrière florissante; sa musique raconte l’histoire de ses débats et l’incrédulité face au bonheur et la stabilité retrouvée.
Déjà supporté à l'international par les plus influenceurs les plus pointus comme Boiler Room, Thump et FACT, nous avons le plaisir de l’inviter pour nous présenter les principales sources d’influences de son nouvel album, sorti vendredi dernier sur le label grime anglais Coyote Records.
Night of the Iguana (1964)
“L'un de mes films préférés, et c’est de là que vient le poème au début de l’album. Il est basé sur la pièce de théâtre de Tennessee Williams. Le casting est ahurissant: Richard Burton, Ava Gardner, Sue Lyons from Lolita, un vrai classique, je l’ai regardé tant de fois. Pour résumer c’est l’histoire d’un prêtre défroqué qui, au cours d’une nuit, entre dans une rage alcoolique, fait une crise de nerf et connaît une révélation spirituelle.
Tous les personnages en viennent à faire face à leurs propres démons et leurs destinées s’entremêlent. L’un d’eux est un vieux poète qui doit se rendre au bout du monde, à Mexico pour terminer son tout dernier poème. Il a travaillé dessus pendant des années, et une fois qu’il l’a fini, il le récite et meurt, au bout du monde, son oeuvre enfin complète. Je me suis toujours identifié au Reverend T. Lawrence Shannon, confus et uncertain de sa place dans le monde, seul et abandonné, dénué de toute spiritualité, se débat avec ses démons sur toute la durée du film - l’alcool et les femmes - d’une manière assez similaires a mes anciens problèmes d’addiction - jusqu’à ce qu’il soit au bout de ses ressources, mais il est sauvé par les gens autour de lui, qui lui montrent ce à quoi la vie peut ressembler. J’imagine que je peux m’identifier facilement à tout cela, encore plus que lorsque je l’ai vu pour la première fois il a des années.
Londres
Le jour où je suis rentré de mon premier voyage à Londres - la première fois que j’avais quitté le sol américain - j’ai écrit le titre principal de ce nouvel album sans vraiment savoir ce qu’il se passait à l’époque. J’étais dans un tel état d’inspiration. Ce voyage a eu énormément d’importance pour moi, il a changé ma vie. Pouvoir admirer tant d’artistes de là-bas, pouvoir rencontrer tous ceux que j’admirais le plus et les voir m’accepter et établir des liens d’amitié durables alors que quelques mois auparavant, personne n’avait jamais entendu parler de moi est une expérience qui rend très modeste, il n’y a pas de mot assez fort pour le décrire.
Après tout ce que j’ai traversé, la noirceur, les drogues, arriver à m’en sortir et arriver à Londres, jouer à Boiler Room c’est très fort et il me fallait écrire quelque chose à ce sujet. Le seul nom qui m’est venu à l’esprit est ‘Redemption’. Londres aura toujours une place spéciale dans mon coeur - c’est le lieu de ma renaissance.
Elliott Smith XO (1998)
Elliott Smith sera toujours mon artiste préféré. J’ai passé des années accro à l’héroïne, j’étais une personne complètement différente, ma vie était sombre, folle et j’y repense comme à un film tellement c’est difficile de se dire que toutes ces choses me sont arrivées, et j’écoutais Elliott Smith durant tout ce temps. Je le comprenais - il racontait tout avec une tristesse profonde, pourtant si réaliste et subtile.
Plusieurs années après avoir lâché les drogues, je ne pouvais plus l’écouter, mais il y a 2-3 ans j’ai pu me mettre à l’écouter de nouveau - XO a toujours été mon préféré - j’avais peur de le réécouter, peur de tous les souvenirs attachés à ces morceaux. C’était une expérience unique, et pour moi une plaie toujours ouverte mais d’une importance cruciale.
Je pense que j’ai toujours essayé de montrer la beauté et l’art dans la douleur. Tous mes albums ont été influencés par sa musique d’une manière ou d’une autre. RIP.
Where The Day Takes You, 1992
Je m’identifie beaucoup aux personnes de ce film. Lorsque j’étais plus jeune, vers 13-17 ans, mon train de vie était très similaire à celui des jeunes personnages. J’ai intitulé un titre de mon album en référence au film, et ai inclus plusieurs samples du film dans mon album. C’est au sujet de jeunes ados sans-abri au début des années 90, comment ils ont formé leur propre famille de substitution. L’intensité, la dangerosité de la jeunesse dans la rue. C’est une représentation fidèle des réalités de cette vie, et c’est l’un de mes films préférés. Le premier film de Will Smith.
Je crois que j’ai essayé de résumer l’intrigue du film dans ma chanson, et ai pensé à toutes histoires qui me sont arrivées dans la rue, les jeunes que je connaissais et la famille que nous avons formée pour essayer de nous protéger les uns les autres - beaucoup de choses terrifiantes se passent dans la rue.
Ali & Gloria
Il m’est difficile de parler de cela, donc je vais aller à l’essentiel - ce sont deux de mes amis qui nous ont quitté. J’aurais dû être là pour eux lorsqu’ils en avaient besoin, et je ne l’ai pas été. J’ai peu de regrets, mais ne pas avoir été à leurs côtés lorsqu’ils avaient besoin de moi me hantera pour toujours. Le titre ‘Eulogy’ est pour eux et j’espère qu’où qu’ils soient ils me pardonnent pour ne pas avoir été un meilleur ami, ils me manqueront toujours.”