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Reportage

Report: La grand-messe afrobeat-techno de Jeff Mills et Tony Allen célèbre le retour du groove cosmique

Le mythique batteur nigérian et la légende techno de Detroit à Paris, lundi 10 décembre

  • Marie-Charlotte Dapoigny
  • 19 December 2018

On avait croisé une première fois les deux maîtres du rythme sur scène. Et on se souvient à quel point cette performance au New Morning de Paris en décembre 2016, diffusée en live sur Arte, avait fait date. Deux ans, une tournée européenne et un EP plus tard, la collaboration est consommée.

Deux magiciens des drums sont entrés sur la scène de la Cigale de Paris, paire d’ombres chinoises sur fond rouge. Derrière eux, la silhouette martiale du guerrier casqué qui orne l’EP Tomorrow Comes The Harvest, sorti sur le prestigieux label jazz Blue Note. À droite, le parrain de la techno made in Detroit prend place derrière ses machines. Au milieu, trônant derrière sa batterie rutilante, le légendaire batteur nigérian, pionnier de l’afrobeat.

Photo: Jeff Mills et Tony Allen au New Morning à Paris, 2016

Entre l’entrain de Fela Kuti, les influences bebop de la légende jazz Art Blakey et les modulations de Moritz von Oswald, Tony Allen et Jeff Mills mêlent allègrement basslines dub et sonorités gospel en un mix intemporel où la percussion fait loi. La batterie et la boîte à rythmes se mélangent, s’interrogent, conversent sans jamais prendre le pas l’une sur l’autre. Elles ne font plus qu’un, comme une rencontre historique entre jazz et dance music, passé et présent, digital et analogique. Une réponse saisissante aux aspirations actuelles d’une culture électronique résolument tournée vers son héritage.

Jeff Mills, vêtu d’une chemise étoilée, pianote sur sa TR-909, l’air concentré. Avec facilité et naturel, il repousse les limites de l’utilisation des synthés, du rythme même, dans une performance électronique en parfaite synchronisation avec le toucher délicat d’Allen, qui du haut de ses 78 ans, joue avec la classe et la nonchalance impénétrable d’un gangster du New York des années 1930. Ses rythmes inattendus, lancinants, sont d’une précision ahurissante.

Si la synergie entre les musiciens est parfaite, elle reste spontanée. Dans la tradition jazz, le duo est connecté et improvise constamment, et on observe la perpétuelle construction d’une conversation à deux voix qui s’élève bien au-dessus de la somme de ses parties, une grandeur relevée par la scénographie spatiale qui éclaire faiblement la scène.

La cohérence du duo tient à une complicité mûrie sur plusieurs mois d’enregistrement et de scène, mais surtout à l’expérience individuelle de ses deux membres. « Nous n’avons pas vraiment besoin de répéter pour ce show car… nous avons tous les deux beaucoup d’expérience en matière de performance live, et on joue en temps réel, comme ça des choses comme créer des breaks, ce genre de choses, notre intuition prend le dessus – on peut pressentir où les choses se dirigent, ou combien de temps un morceau doit durer, ou s’il faut rajouter quelque chose. Ce sont des choses que nous ressentons, et ainsi tout peut arriver : les tempos peuvent changer, les basslines peuvent changer, tout peut évoluer dans un morceau, et c’est ce qu’on va faire », confiait Jeff Mills à FACT l’an passé.

Avec ses sons d’orgues mélancoliques, la performance fait la part belle à la nostalgie, sans jamais devenir passéiste. Si nos arrière-grands-parents s’étaient demandé à quoi ressemblerait le jazz en 2020, ils auraient peut-être imaginé quelque chose de similaire : un monde où ni l’automation ni les machines ne sauraient supplanter le génie humain.

La rencontre Mills-Allen est nuancée, entre échappées dynamiques et des passages plein de tension et de suspense. Dans un décor cosmique, la musicalité omniprésente des claviers et du rythme nous renvoie aux années 70, quand groove et futurisme formaient un duo de choc. On pourrait presque deviner que nous traversons un nouvel âge d’or de la composition électronique.

Quand le show se termine sous une pluie d’applaudissements, Mills annonce: « We have 2 minutes left, so let’s jam for a bit. » Et là, devant le point d’orgue de leur improvisation totale, on sent bien que Jeff Mills et Tony Allen ont conçu plus qu’un show, mais une vraie collaboration musicale, cérébrale et spirituelle.

Photo en une: © Bart Heemskerk

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