L’avènement de la démesure dans le paysage nocturne
Les concept-festivals XXL réinventent notre manière d'apprécier la musique
L’évolution de notre société s’est accélérée de manière drastique et a eu un impact sur notre quotidien, de notre identité et la manière dont elle se construit à nos habitudes de consommation. Au fil des années, en parallèle de l’évolution de la société, la manière de faire fête à également bien changé. Participer à un festival, autrefois manifestation libertaire à part entière, est devenu banal. L’offre grandissante se traduit par une saturation du marché, aussi bien en matière d’artistes que de soirées. La scène est devenue de plus en plus internationale, et le tourisme festivalier un tourisme à part entière.
L’identité d’un événement, qui passait habituellement par la programmation artistique, se définit de manière indépendante de son line-up, à travers des thèmes et des spécificités inhérents. L’attrait ne provient plus seulement des artistes qui y jouent mais également de la localisation, de la scénographie, ou de l’identité visuelle. Les festivaliers prêtent attention à des paramètres tels que le respect de l’environnement, l’histoire du festival et les valeurs qu’il incarne. Les soirées qui arrivent à générer une vraie fidélité sont immédiatement sold out, sans même avoir annoncé de programmation.
Photo : HYTE et son concept de super-warehouse s'exporte dans le monde entier.
Dans cette course effrénée à l’organisation, la programmation est devenue homogène ; les grands noms les plus bankables se partagent les affiches des gros événements, ce qui pousse les organisateurs à ré-imaginer continuellement l'expérience et à rivaliser d’ingéniosité pour rendre leur expérience unique avec des scènes gargantuesques, des lumières extrêmement abouties et une scéno étudiée.
Cette redéfinition de l’espace nocturne a permis l’implantation de « super-festivals », souvent démesurés et d’une efficacité redoutable. Parmi eux Time Warp, qui fête son quart de siècle cette année. Une série organisé par Cosmo Pop, maison mère du Love Family Park et du Sonus. Impossible de ne pas mentionner ici Awakenings, racheté en 2014 par LiveStyle (anciennement SFX Entertainment), géant de l’EDM qui possède entre autres Tomorrowland mais aussi Beatport. Chez les Anglais, Junction 2, tenu par LondonWarehouseEvents, la boîte de prod' derrière une grande partie des soirées techno londoniennes de haut-vol, qui se chargeait entre autre des programmations du superclub Printworks il y a deux ans.
À l'occasion de la troisième édition du festival britannique, Paul Jack, co-fondateur de LWE, a répondu à quelques questions sur sa vision de la fête et l’évolution de la scène. « Les attentes ont changé avec la quantité croissante de choix, les gens veulent une qualité de son excellente, une scénographie excellente, tout en s’attendant à voir des grands noms - même si nous essayons toujours d’équilibrer avec des artistes montants, doués mais moins connus » dit-il. « L’avantage majeur d’organiser des événements comme ça c’est de pouvoir faire des choses de plus grande envergure, plus ambitieuses, plus originales. »
L’avantage majeur d’organiser des événements comme ça c’est de pouvoir faire des choses de plus grande envergure, plus ambitieuses, plus originales.
L’une des particularités de Junction 2 est la manière dont s’organisent les scènes, la programmation de chacune d’elles étant gérée par un festival, un promoteur, ou un label différent. « Ce type de configuration nous permet de faire plusieurs espaces définis et distincts au lieu de faire des bookings unidimensionnels. On se réunit avec nos collaborateurs autour d’une table ronde et on fait un point sur ce qu’on aimerait, on se met tous d’accord. » explique-t-il.
« En règle générale pour toutes les soirées sur lesquelles nous travaillons, nous commençons avec l’endroit, on voit ce qu’on pourrait y créer et quel type d’atmosphère et de DJ correspond, et après on construit une idée à partir de là, le lieu est central pour nous ; c’est aussi notre vision de la fête, ce n'est pas pareil qu’un concert, plus court et où l’artiste représente vraiment le point focal. Il s’agit de passer parfois plus de 8 heures ensemble dans le même espace, et la musique devient la bande son de ce moment là. Le public a ce besoin de s’échapper du quotidien et c’est à nous de faire en sorte de lui procurer un endroit pour pouvoir profiter et lâcher prise. »
Parmi les associés principaux de LWE, Arcadia, l’une des sociétés les plus innovantes en matière de scénographie, qui multiplie les collaborations avec différents festivals (Glastonbury, Burning Man, Ultra) depuis maintenant 10 ans. De ce partenariat est né entre autres la soirée anniversaire de l’araignée géante, qui se tenait debut mai dernier à Londres, et plusieurs événements futurs sont déjà à prévoir.
Photo : L'araignée de métal géante, l'impressionnant concept pyrotechnique d'Arcadia fait des émules
Dans son interview parue sur festivalinsights.com, Bozorgmehr, à la tête de la communication d'Arcadia, connu pour ses effets pyrotechniques ahurissants, racontait : « C’est précisément la possibilité de ré-imaginer ce qu’une scène pourrait être qui m’a donné envie de rejoindre Arcadia. Le format traditionnel et linéaire a été transformé en un cercle de 360 degrés avec du feu au milieu, changeant ainsi complètement la dynamique du public. Non seulement elle devient centrée sur une sculpture, mais cette sculpture est constituée de matériel militaire, transformant des outils utilisés à des fins destructives en une expérience unifiante. Ça apporte un contexte supplémentaire qui va au-delà d’une simple grosse araignée et qui explore des idées philosophiques sur la relation entre la technologie et l’intention humaine, mais de manière subtile. »
Ces soirées XXL semblent avoir encore de beaux jours devant elles et sont très certainement révélatrice des mentalités d’aujourd’hui, à l’heure où on veut tout et tout de suite. À contre sens de cette tendance, certains festivals jouent la carte de l’intimité ; parmi eux, Meadow in the Mountains, Paral-lel, Field Maneuvers ou encore Waking Life. À plus petite échelle et avec des line ups souvent beaucoup plus éclectiques et pointus, ce type de soirées s’adresse à un public en quête de quelque chose de dépaysant plus que d’un spectacle à couper le souffle. Mais malgré le format réduit, l’aspect empirique reste primordial, majoritairement avec des choix de lieux originaux, en pleine nature et aux décors étudiés.
Quel que soit le type d'événement recherché par le public, de ceux qui privilégient les pointures à ceux qui privilégient l’ensemble de l’expérience qu’une soirée peut leur offrir, il est certain que la manière de consommer la musique a changé et que l’usage de techniques, structures et supports pluri-sensoriels, allié au monde de la nuit et de la fête, n’en est qu’à ses débuts.
Le prochain événement LWE, Junction 2, aura lieu le samedi 9 juin au Boston Manor Park de Londres.