Leo Pol, jeune prince de la house dans la cour des grands
Récit d'un producteur pied au plancher sur sa carrière
Au fil des années, Leo Pol est devenu un incontournable de la scène électronique parisienne. Un live sollicité par les promoteurs du monde entier qu’il présente le 6 décembre prochain au W Paris – Opéra à la soirée Mixmag. Du haut de ses 27 ans, Léo-Pol Poirel pratique la musique électronique depuis près d’une décennie. De rencontres en dates, de projets multiples en sorties, il porte désormais une belle collection de casquettes : patron de label, résident d'un des clubs les plus renommés de France, producteur pluridisciplinaire. Rencontre avec un prodige qui sait mettre tout le monde d’accord, chez lui, dans son 17ème arrondissement.
« En fait, là on est dans le 17, mais si tu traverses la rue, c’est le 20e. »
La verrière de son salon offre une vue à presque 180°C de la rue. On pourrait perdre des heures à observer la cohue en bas, comme Hugo TSR dans ‘Fenêtre sur rue’. De là où l’on observe, le gris du bitume derrière les carreaux laisse place à un salon parqueté lumineux, aménagé en studio. Une table de mixage gigantesque trône au centre d’un arc de cercle fait d’une multitude de machines de toutes générations. Les synthés, les contrôleurs, les séquenceurs et les modèles les plus connus de la gamme Roland forment un attirail impressionnant, au positionnement optimisé pour la composition. Lové dans son fauteuil, son chat Lardon sur les genoux et entouré de ses dizaines de grigris rapportés de voyages, Leo-Pol se rappelle comment son amour des machines s’est déclaré, alors qu’il était lycéen.
« À ma rentrée en seconde, un gars de ma classe m’a dit qu’il avait son pote Antoine qui faisait du son. Il m’a dit “Tiens, prend ça si ça t’intéresse. Je sais pas quoi en faire parce que je fais pas de musique”. »
Ça, c’est Ableton Live. Ses premiers pas sur le logiciel se font à tâtons, des expérimentations audio que le jeune homme peste encore d’avoir perdu. À l’époque du lycée, il découvre le Social Club et écoute ce qui se fait à l’époque, la minimale de Richie Hawtin sur son label Minus. Son bac de justesse en poche, pour avoir préféré le Rex Club aux révisions, Léo Pol entame sans conviction des études de droit, bifurque rapidement pour la médiation culturelle. Le nouvel an arrive et l’étudiant s’envole pour Berlin avec une bande d’amis, découvre le Berghain. Une fête pour une décision. Le retour se fera sans les cours, auxquels Léo Pol préfère sa carrière de producteur. Il enchaîne les petits boulots de barman et de vendeur pour alimenter sa collection de machines, devenue sa réelle source de motivation et nouvelle passion.
« Ma première acquisition c’était une Vermona Kick, pour faire des kicks. Et puis il y a eu ce synthé bizarre, que j’ai revendu parce qu’en fait il était nul. »
De cet amour pour les machines, naît naturellement l’exercice du live.
« Mon tout premier projet live était lié à mon école de médiation culturelle. Ca s’appelait 36 heures de Saint Eustache et c’était pour la Fête de la Musique en 2010, ou 2011. Je devais jouer à 23 heures et il y avait plein de décalages. Du coup, je suis passé à 6 heures du matin. J’avais amené mon iMac pour faire le live, embarqué dans une grosse case. J’avais que ça, à l’époque.»
Il a alors dû rectifier le tir et oublier les engins trop encombrants. Ses dates partout dans le monde le contraignent à faire des concessions dans le choix des machines et à simplifier son show. Être producteur live requiert beaucoup d’énergie. Le matériel, trop fragile, ne passe pas en soute, son rider doit être écrémé. Les soundchecks sont effectués tôt, au moment où les DJs peuvent généralement se reposer. Un rythme éreintant mais pour lequel il s’est battu.
« C’était ma première pression. Ma première date à Concrète. à l’époque je bougeais beaucoup plus de machines. J’avais ramené ma TB-303 et ma TR-909, ma boîte à rythmes Jomox. Désormais, je ne voyage plus qu’avec des pédales d’effets de guitare, une carte son ma 909 et le reste est loué sur place. »
Ce live, monté il y a quatre ans déjà, est un franc succès. Mieux, il lui ouvre les portes du Weather Festival et d’une carrière internationale. C’est depuis ce jour que Leo Pol jouit d’un calendrier rempli, d’une carrière ponctuée par deux à trois dates hebdomadaires en France et à l’étranger. Un pied au plancher professionnel qui bouleverse drastiquement ses croyances et ses goûts.
« On grandit et on évolue », il relève justement. S’il a commencé par la house, inspiré des notes chaudes, des belles nappes “un peu dirty” qui ont fait la scène de Chicago, le producteur ne se reconnaît plus autant dans ce genre musical.
« Je fais beaucoup moins de house qu’avant, je m’ouvre à d’autres styles. Plus électronique américain à la Drexciya. En fait, je m’ennuie à ne faire que de la house. Et puis je trouve la scène actuelle trop numérique, on a perdu ces sons que j’aimais des années 90. »
La clé, c’est un projet qui évolue et emprunte des chemins de traverse. Des, car il n’y a plus aucune limite envisagée pour le musicien, qui vit sa musique comme il l’entend et sans contrainte. Il observe une mutation de la scène, qui s’éloigne de la culture monogamique des artistes et des DJs, vogue vers des qualités pluridisciplinaires récemment évoquées par Jeff Mills pour son projet électro-jazz avec Tony Allen. Des personnages comme Denis Sulta, dont les sélections éclectiques ont fait sa popularité, sont ceux qui revitalisent la scène actuelle. De par sa nature, la musique électronique opère sur un terrain vaste, inspirée par des musiques du monde – de ce monde.
Dans sa collection de plus de 2 000 vinyles, les beats acid house rencontrent les guitares du groupe de rock Santana et le légendaire Jorge Ben, chanteur et musicien brésilien dont l’album Força bruta est l’unique pièce qu'il aimerait emmener sur une île déserte. Celui-ci applique d’ailleurs cette philosophie avec ferveur en studio, bien qu’il reste pour le moment discret en matière de productions.
« Je suis un artiste prolifique, mais ça ne se voit pas, car je sors très peu de choses. Je ne veux plus avoir de regrets, comme j’ai pu en avoir sur certains de mes tracks. Je veux faire de la musique intemporelle alors désormais si elle sort, je sais que ça ne bougera pas. »
Le temps est maître de ses décisions. Si le track reste convainquant au bout d’un ou deux ans, il mérite sa place sur un label. Voilà pourquoi Uniile et iile les deux maisons de disques de Leo Pol et de son ami JB, ont une actualité irrégulière. Mais ceci est sans compter l’album imminent du producteur. Une réalisation destinée à l’écoute plus qu’aux clubs, loin du titre ‘You Got The Funk’ qui faisait vibrer les dancefloors en 2015, désormais évalué à une centaine d’euros sur Discogs. Une nouvelle phase créative fertile, qui donne naissance à un projet parallèle new-wave et chanté qui emprunte son nom à la fête des amoureux; 14 février.
« Parce que je déteste la Saint-Valentin. C’est un projet romantique, où je parle de meuf et d’amour. »
Des airs d’Etienne Daho dans la voix, les années 80 à leur paroxysme, les chansons sont inédites dans la carrière musicale qu’on lui connaît. Et nous rappellent qu’avant la musique électronique, il montait sur scène avec un groupe de punk. Cette montée des échelons à vitesse ahurissante n’essouffle pas l'artiste, qui se réinvente avec une énergie formidable et pleine de jeunesse.
Il est bien loin, l'étudiant qui franchissait l’entrée de la barge Concrete en 2011 avec son déguisement d’indien pour assister à la TWSTED avec Greg Brockmann et San Proper. Désormais, la péniche est devenu son terrain de jeu, sa résidence où il côtoie les plus grands noms de la scène parisienne comme D’Julz, pour qui il signe l’EP Dark Outside sur Bass Culture. Aujourd’hui talent électronique, mais demain, qui sait ?
Retrouvez Leo-Pol en live au showcase Electronic Subculture de Mixmag au W Paris – Opéra le 6 décembre 2018, puis rediffusé sur notre page Facebook.
Crédits:
Texte : Camille-Léonor Darthout
Photos : Marie-Charlotte Dapoigny