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Marsatac porte haut les couleurs de la scène marseillaise

Les programmateurs racontent la 21e édition du festival

  • Marie Dapoigny
  • 28 May 2019

Depuis sa première édition en 1999, le bien-nommé Marsatac s'est attaché à défendre l’identité culturelle et musicale de la cité phocéenne. Des valeurs fortes qui lui ont permis de gagner le cœur des Marseillais et de conserver leur soutien, 20 ans durant. En 2019, l’histoire continue du 14 au 16 juin au Parc de Chanot et à la plage du Petit Roucas. Avant le coup d’envoi, nous avons rencontré Alexandre Stevens et Mathieu Fonsny, les deux programmateurs d'un festival belge entré dans la légende : Dour. Nouvelles armes secrètes d'un festival phocéen qui a su rester authentique, ils ont repris le flambeau de la programmation depuis 2018. Les deux Belges nous expliquent les tenants et aboutissants de cette passation et comment leur programmation s'inscrit dans la continuité de l’histoire du festival électronique qui fait rayonner le Sud.

Comment avez-vous repris le flambeau de la programmation de Marsatac ?

Alexandre Stevens : On est arrivés l’an passé en tant que programmateurs de Marsatac alors que le programmateur historique - Dro Kilndjian - avait décidé de faire une année sabbatique. On avait déjà proposé à Marsatac de faire une scène sur Dour, et c’est un peu comme ça qu’on s’est retrouvés. Il fallait des gens qui étaient directement opérationnels, qui s’y connaissent bien en musique électronique, en hip hop et qui connaissent bien l’ADN de Marsatac. Nous on savait ceux qui étaient déjà en train de tourner, donc on pouvait déjà envoyer des offres pour faire le programme de l’an passé. On s’est super bien entendus avec l’équipe, on revient tous les mois à Marseille. Et puis finalement Dro a décidé de changer de carrière et nous a proposé de continuer.

Ça fait une grosse pression de reprendre un festival qui existe depuis tant de temps dans une ville comme Marseille, qui est une ville particulière. C’est un beau challenge et on est honorés de pouvoir faire ça maintenant.

Est-ce que vous ramenez de votre expérience de Dour sur Marsatac, ou vous avez été briefés sur une manière particulière de monter cette programmation ?

Alex : Effectivement la partie électronique et hip hop est assez importante sur Marsatac, comme sur Dour. C’était un peu dans le cahier des charges de garder cet équilibre musical et en même temps on le fait naturellement. Avoir aussi ce côté international 50/50 entre Français et artistes internationaux, tout en gardant cette balance entre hip hop et électronique. C’est ça l’ADN Marsatac, comme on le voit et c’est celui qu’on veut faire perdurer.

Mathieu : Après notre truc à Dour c’est de défricher, de trouver les nouveaux courants ou les contre-cultures - ce que Dro faisait déjà. Donc quelque part le brief était assez simple, parce qu’ils nous ont dit “faites comme vous faites” finalement.

Mais par contre à côté de ça, on aime bien aussi aller se nourrir de ce que les gens à Marseille peuvent nous donner comme infos, comme goûts ou comme découvertes. Et avec ce qu’on a à Dour on peut nourrir Marseille, avec ce qu’on a à Marseille on peut nourrir Dour et aussi nous personnellement. Ce n’est pas du tout un cercle fermé. Ensemble, on va aussi réfléchir à beaucoup plus largement que de choisir des groupes, comme à l’ambiance, la déco ; c’est un ensemble.

Marseille dans les années 1990 était un des bastions du hip hop français et Marsatac a toujours eu une relation spéciale avec le hip hop. Comment en venant de Belgique, vous vous êtes inscrits dans cette histoire locale ?

Mathieu : Pour ma part, j’ai bien suivi le hip hop marseillais. Dans les années 1990 on achetait Groove, Rap magazine, on se nourrissait de tout ça. Évidemment de Fonky Family, IAM, 3e Œil aussi tout ce qui avait sur Radio Grenouille. Ça c’est une chose, mais on vit aussi avec notre temps. On est arrivés avec ce qu’on connaissait et avec ce qu’on pouvait apporter. En faisant l’état des lieux, l’année dernière on a fait les 20 ans du Micro d’argent et cette année on invite Caballero et JeanJass. C’est une manière de croiser les générations et peut-être aussi de croiser nos deux régions.

On essaye aussi de se documenter sur ce qui se passe en ce moment et de faire la part belle aux locaux. Cette année on ouvre une 4ème scène, "Unexplored Places" avec le collectif La Frappe pour donner l’opportunité aux jeunes rappeurs marseillais de faire un peu de scène, en freestyle ou semi-impro. Ça aussi c’est une manière de mettre à l’honneur toute cette génération de Marseille qui a connu le rap des années 1990.

Alex : Avec cette scène, Marsatac veut rester acteur sur le terrain marseillais avec des jeunes artistes en développement qui n’ont pour certains jamais fait de scène. Il y a un vrai accompagnement pour que ça ait de la gueule et pour que le coup soit marqué. Et puis c’est une rencontre, il y a une émulation. Marsatac continue d’écrire l’histoire avec le hip hop local, et il y a plein de choses à faire.

Marseille est une ville avec beaucoup de mixité – ethnique, culturelle – et peut-être que la programmation aurait pu davantage représenter cette identité cosmopolite...

Mathieu : Du bassin méditerranéen ; je pense à Deena Abdelwahed qui est Tunisienne, Zamdane qui est Marocain et vit à Marseille. D’Afrique, il y a aussi Sho Madjozi, Kampire. À côté de ça, on a essayé de trouver une bonne balance avec Orelsan qui va ramener des gens qui vont aussi pouvoir découvrir Deena Abdelwahed ou Lion’s Drums qui est local. Effectivement nous on n’est pas Marseillais, donc on a essayé de s’imprégner de la ville comme on le pouvait ; en y allant tous les mois et en écoutant ce qu’on nous conseille.

Alex : Après c’est pas évident sur trente spots d’être exhaustif. Entre l’équilibre électronique/hip-hop, les petits et les grands, les Français les internationaux, la présence des femmes et des locaux sur l’affiche. On essaye d’atteindre un équilibre, mais ça dépend aussi des disponibilités des artistes et de leur actualité. C’est une volonté de faire un festival qui représente une certaine mixité.

Quel était le plus gros challenge pour vous dans la programmation d’un festival pour un public français que vous ne connaissez pas forcément ?

Mathieu : Le défi c’est d’appréhender la ville et l’envie de son public, tout en faisant quand même un événement d’envergure - c’est quand même une capacité de 15 000 personnes par soir. Les 20 ans du Micro d’argent et Orelsan, ce sont des trucs qui rassurent. Et de ça tu dois être juste dans tes choix et essayer d’amener les gens à découvrir.

Alex : Avec des artistes émergents, des grands artistes, des plus petits, des hommes, des femmes, des Marseillais, des Français, des étrangers, du hip hop, de l’électro, de la world, des choses expérimentales, une programmation sur la plage, une autre dans le parc des expositions... Pour moi le plus gros challenge, c’était de faire un puzzle avec toutes ces pièces.

Maintenant que les line-ups de Dour et Marsatac sont bouclés, qu’est-ce qui les différencie fondamentalement ?

Alex : Ce qui est plus difficile à Marsatac c’est qu’on a moins de budget et de spots, donc on doit aller plus à l’essentiel et faire les bons choix à chaque fois. Une fois qu’on a décidé quelque chose, on ne peut pas revenir en arrière. D’un côté on peut prendre moins de risque, de l’autre on peut retomber sur nos pattes. Sinon c’est la même chose : envoyer des mails, convaincre les agents pour que les artistes viennent (rire).

Est-ce qu’il y a un vrai parti pris artistique que vous vouliez absolument sur le line-up ?

Alex : Moi je penserais à HAAi, c’est un vrai choix de programmation. Sinon Deena Abdelwahed, Denis Sulta sur la plage...

Mathieu : AZF en clôture c’en est une. AZF c’est un nom, mais là on lui donne la place de Nina Kraviz l’année dernière et on la fait jouer dans un grand hall de 7 000 à 9 000 personnes. Ca semble évident de la mettre sur le line-up, mais pas forcément en fermeture du festival.

Alex : Enfin pour nous ça l’est !.. Sho Madjozi en ouverture du festival c’est aussi une prise de risque. C’est une artiste pas connue.

Cette année vous avez programmé des curateurs à Dour, notamment Bonobo. Est-ce que vous avez envisagé d’avoir une approche similaire pour Marsatac ?

Mathieu : On l’a avec le collectif La Frappe, une scène curatée par quatre collectifs - la Stud, Twerkistan, Synergie Family et Only Pro - qui ont défriché et proposé des MCs à un groupe de vote composé de journalistes, d’autres programmateurs et personnes du milieu. Sur les autres scènes c’est assez compliqué parce qu’il y a trop peu de spots. Pour nous la curation à Marsatac c’est plutôt le b2b de Bambounou et Carl Craig. C’est proposer quelque chose d’atypique, mais sur une case, pas sur toute une nuit ou toute une après-midi.

En 2017, Marsatac travaillait avec Live Nation. Est-ce que vous avez prolongé cette collaboration ?

Alex : Oui, le festival est en collaboration avec Live Nation. Quand tu organises un festival, tu as besoin de financement, mais aussi de gens qui travaillent sur le terrain, s’occupent des équipes et amènent des idées. La collaboration avec Live Nation c’est un peu comme ça. Ils arrivent avec des propositions artistiques aussi - ils font partie du comité de programmation - mais on doit tous être d’accord pour lancer un projet.

Quel est votre secret pour continuer à s’émerveiller et à découvrir des artistes lorsqu’on ne peut pas forcément passer ses étés en festival ?

Mathieu : Le plus important c’est de rester enthousiaste, curieux, de discuter toujours avec les gens. Mais c’est aussi écouter un disque avec des amis ou chez soi. En fait il n’y a pas grand chose qui a changé dans notre façon d’aimer les choses, sauf qu’on a peut-être élargi nos goûts. Je ne parle même pas d’affiner car ce n’est pas ça c’est plutôt les élargir. Et surtout ne pas devenir aigri. Si tu n’as plus la passion, ça devient quand même un peu chiant. [...] Moi ce que j’aime c’est aussi essayer de retrouver des gens qui me redonnent de la fraîcheur. Et puis je vieillis - avant je rentrais à 10h du mat, maintenant je rentre plutôt à 4/5h, du coup j’ai besoin de quelqu’un qui reste jusqu’à 10h et qui me dise ce qu’il s’est passé entre 5 et 10 (rires). Le plus important c’est savoir être à l’écoute de ce qui se fait et pouvoir s’entourer, avoir toujours envie d’aller vers les autres, parce que sinon tu t’enfermes et souvent tu deviens con à ce moment-là.

Alex : Après il y a beaucoup de choses qu’on n’a pas explorées, il faut sortir de sa zone de confort tout simplement. On est allés au Maroc faire un festival là-bas ; on connaissait personne, zéro pros, zéro festivalier·ère·s, on a payé notre ticket à l’ancienne et on a passé l’un des meilleurs week-ends depuis longtemps. On a rencontré plein de gens, partagé l’apéro. On est également allés à Séoul alors qu’on connaissait pas du tout l’Asie voir ce qui se fait là-bas parce qu’il y a des artistes incroyables. Sur Marsatac on n’a pas réussi mais pour Dour on a programmé une artiste sud-coréenne. Mais oui il y a encore plein de choses à explorer. Tout le temps il y a des trucs nouveaux qui sortent, et c’est là qu’il faut aller gratter quand tu es un peu lassé de ce qui est classique et commun.

Mathieu : Pour moi rien n'a changé depuis que j’ai 20 ans. Bon, c’est il n’y a pas très longtemps (rires).

Dans vos récents voyages ou d’une autre manière, est-ce qu’il y a un pays ou une ville dans le monde qui vous a frappé et vous vous êtes dits “il se passe quelque chose là-bas d’unique, de nouveau, de rafraîchissant” ?

Mathieu : Oui, il y a le Nyege Nyege, le jazz à Londres. La house coréenne aussi : quand on voit Park Hye Jin ou même Peggy Gou qui sont les grands noms. Et puis le rap belge ; en dehors de Damso, Roméo Elvis et Caballero et JeanJass, il y en a 1 000 autres. Pas besoin de découvrir un gros lingot. Parfois il suffit de découvrir une petite pépite.

Est-ce qu’il y a justement un artiste pépite que vous vouliez programmer au Marsatac et que vous avez pas réussi à placer ?

Alex : Pour ma part, je voyais vraiment bien Johan Papaconstantino, du fait de son histoire avec la ville. Il a grandi à Marseille et sa musique a un côté très pop et en même temps hybride. Mais il était en tournée en Chine sur cette période-là.

Mathieu : Moi je suis content d’HAAi ou Denis Sulta qui sont plus mon truc. Sinon des artistes que je regrette de ne pas avoir eu, il doit y en avoir.

Alex : À force, on développe une capacité à passer au prochain lorsqu’un artiste est perdu. Tu tires au goal, tu rates, et puis tu retires jusqu’à ce que le ballon rentre. C’est tellement d’énergie pour essayer d’avoir un groupe ou un artiste qu’il faut vraiment oublier ceux que tu rates sinon ça te pompe ton énergie, et on en rate beaucoup.


Marsatac aura lieu du 14 au 16 juin au Parc de Chanot et à la plage du Petit Roucas à Marseille. Infos et billetterie ici.


Photo en une : © Florian Gallène
Photos : © Virgile Gesbert

Propos rapportés par @MarieDapoigny


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