Meadows in the Mountain : un festival à faire une fois dans sa vie
Le meilleur festival dont personne n’a entendu parler
La Bulgarie n’est pas la première destination qui vient à l’esprit à l’approche de la saison festivalière ; pourtant, elle abrite plus d’un trésor caché dans ses montagnes prisées des skieurs russes en hiver. Avec son cadre sauvage extraordinaire et préservé à 5 heures de route de Sofia, au cœur de la ceinture alpine des Rhodopes, Meadows est certainement l’un d’eux. On y a découvert une des belles surprises humaines et musicales de l’été.
La route qui mène du petit aéroport de Sofia au cœur du piedmont Macédonien dévoile plus d’une cicatrice de ce pays de l’ex-URSS qu’est la Bulgarie. Au bord de la route, les panneaux d’affichage publicitaire vides et couverts de rouille trahissent une économie encore balbutiante. En altitude, les mélèzes côtoient les usines abandonnés, stigmates des rêves de grandeur industrielle du régime passé. Des immeubles béants à l’architecture hasardeuse laissés à l’abandon surmontent des habitations montagnardes traditionnelles – quelques bribes de modernité abrupte au milieu des vieilles pierres et des scieries qui alimentent l’économie locale.
Photo : © Pasco Photography
À un tournant, plusieurs affiches d’un goût douteux annoncent la présence d’un nightclub de campagne – pensez esthétique Macumba des années 90 et leur flair inné pour le marketing à grand renfort de nibards. Les autres panneaux annoncent les stations de ski environnantes. Aucune signalisation n’indique la direction du festival.
Après 2 heures de lacets et la perte de quelques degrés salvateurs – non sans nous être faits doubler par un semi-remorque à pleine vitesse au détour d’un ravin et avoir évité de justesse une collision avec une charrette tirée par une mule – nous arrivons finalement à destination, dans un petit village d’une centaine d’habitants, pour presque autant de chevaux ; quelques maisons éparses à flanc de montagne entourent une grande bâtisse blanche qui ressemble à une mairie, le sol couvert de gravas ; notre box office de fortune pour le week-end.
Photo : © Aron Klein, Meadows 2016
Ici, les autochtones ont les joues rougies par le soleil et le sourire facile. S’ils ont accueilli la première édition de Meadows d’un œil circonspect, ils ont tout de suite saisi l’opportunité d’une activité nouvelle, si inédite soit-elle. Dans un pays où le salaire minimum avoisine les 260 euros, cet arrivage de touristes d’Europe occidentale en saison estivale est une aubaine pour le village.
Le terrain sur lequel se tient Meadows chaque année a été acheté par un couple de Britanniques à la retraite, tombés amoureux de sa vue magnifique sur les massifs environnants. Les fondateurs du festival sont leurs fils, deux frères qui eux aussi, sont immédiatement tombés sous le charme du site. Dès la première année, ils décident d’y organiser une rave privée de 200 personnes pour faire profiter de ce lever de soleil unique baigné de nuages à leurs amis.
Sept ans plus tard, cette petite rave privée est devenue un mini-Woodstock d’initiés, qui rassemble chaque année près de 3 500 personnes. Les deux organisateurs se sont joints à un Bulgare qui leur permet de travailler étroitement avec la communauté locale. Le terrain s’est agrandi petit à petit et ils y ont construit de nouvelles statues de bois, du premier cheval de Troie qui accueille les visiteurs à l’entrée au dragon cracheur de flammes pyrotechniques en passant par le Hibou totemisé ; toutes ces structures ornent les pâturages le reste de l’année.
Meadows travaille main dans la main avec les habitants pour permettre au plus grand nombre de profiter des retombées du projet. Le site du festival est construit à la main par les locaux et les employés du festival. Les familles du coin y tiennent leurs buvettes et leurs food trucks. Certains jeunes du village, qui ont parfois rejoint Sofia pour y étudier et trouver du travail, reviennent passer la semaine pour mettre la main à la pâte, conduire les Jeep et les taxis qui acheminent les festivaliers en haut du site.
Les scènes, les buvettes, les toilettes - tout est construit à la main à partir du bois de la forêt environnante. Le souci du détail dans la décoration est impressionnante ; chaque cabane est pensée, chaque escalier en bois taillé, les gravures, des poupées et des guirlandes apportent ce supplément d'âme si précieux – une qualité assez unique dans les rangs des festivals européens qui privilégient souvent les structures temporaires de plastique et d’acier escamotables, pratiques mais qui laissent peu de place à la créativité.
Nous avons la chance de pouvoir profiter d’une des chambres mises à disposition par les habitants du village aux festivaliers et aux artistes. Au mur, la photo d’un couple d’enfants en noir et blanc sur un calendrier - année 1984. Le temps semble s’être arrêté depuis. Derrière les rideaux de dentelle surannée, les derniers rayons du soleil caressent les trottoirs recouverts d’herbes folles qui bordent un précipice – sans barrière. Il est temps de rejoindre les fêtards en haut de la montagne, au bout du chemin bordé de loupiotes. Le son des basses résonne déjà depuis quelques heures dans la vallée.
Photo : © Pasco Photography
Le seul accès au site se fait par un chemin accidenté. Mieux vaut emprunter un des 4x4 mis à disposition des festivaliers - l'organisation déconseille l’utilisation, pourtant beaucoup plus ludique, des charrettes parfois offertes par les locaux.
On ne peut s’empêcher de ressentir le contraste entre les coutumes et le quotidien des autochtones et celles des festivaliers, un public majoritairement constitué de Britanniques – toujours friands d’un bon « destination festival » à l’arrivée des beaux jours. Mais malgré la barrière du language et de la culture, chaque partie semble faire un réel effort pour respecter la présence de l’autre. Ce qui n’est pas forcément le cas de plusieurs évènements qui se sont récemment implantés en Croatie, invitant un public parfois très irrespectueux des plages et du littoral. Ici la culture bulgare est célébrée, les anciens en tenue traditionnelle se joignent aux festivaliers pour des sessions d'accordéon et de danse folklorique entre deux cours de méditation face au massif.
Photos : © Aron Klein.
À Meadows cette année, on ne verra pas de déchets : la politique « leave no trace » est respectée et le recyclage est de mise. Les verres en plastiques sont proscris sur le site, remplacés par des gobelets en métal individuels distribués aux utilisateurs ; à la mode du jour, il est porté à la ceinture à l’aide d’un petit mousqueton en aluminium. Les toilettes sont sèches, à sciure de bois – on aurait peut-être souhaité que les stocks de sciure soient renfloués plus régulièrement.
Alors que de (trop) nombreux festivals français et européens rivalisent de pauvreté en ce qui concerne l’originalité des line-ups, Meadows ne s’embarrasse pas de têtes d’affiche racoleuses vues dans 95% des événements de l’été. Artistes locaux et internationaux s’y côtoient allègrement, l’heure est à la découverte et à l’ouverture d’esprit : RAMZi live, Nick The Record, Gwenan en tête d’affiche. Le français DoubtingThomas, désormais basé à Toulouse, nous offrira par ailleurs un excellent set live progressif. Chaque jour, le son évolue des groupes indie electro, reggae, hip hop et afrobeat la journée, aux DJ sets disco, soul, funk et jungle le soir, jusqu’à midi le lendemain.
Le point d’orgue du week-end reste certainement le lever de soleil sur la bien judicieusement nommée « Sunset Stage ». On y retrouvera un Commix en pleine forme le dimanche matin à 7 heures, pour un lever d’astre magnifique sur la vallée couverte d’une mer de brouillard, prolongé par la présence opportune de nuages. Du pur bonheur.
Là où certains festivals peinent à construire un lien durable avec leur environnement, Meadows semble avoir réussi le pari de s’intégrer dans une communauté âgée et soucieuse de ses traditions. Si la présence des hippies du dimanche peut déplaire à certains, il reste un événement sans pareil sur le circuit festivalier européen qui met en valeur le communautarisme et le respect de la nature. Secret bien gardé des connaisseurs, il tient à rester intimiste et humain. Et rien que pour ça, il vaut bien le détour.
Photo en une : © Aron Klein
Texte : M. Dapoigny