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Humeur

Organisateurs, offrez-nous des fêtes, pas des soirées club | Opinion

Consumérisme et communautarisme, le gouffre qui divise la scène électronique

  • Josh Baines
  • 25 February 2019

Si j’ai retenu une chose de toutes mes années de vie nocturne – et par là je veux dire « passer l’essentiel d’une soirée dans un cercle sans fin du bar au coin fumeur en passant par les toilettes, ponctué de l’occasionnel passage où je regarde mon téléphone sur le dancefloor avant de décider que j’ai “vraiment soif”, empli d’un désir soudain et irrépressible de passer les 30 prochaines minutes serré comme une sardine entre deux mecs baraqués à essayer de commander une vodka coca » – c’est la suivante : il y a une différence entre une « fête » et une « soirée club », et cette différence est un gouffre.

Quand David Mancuso gonflait deux ballons et balançait quelques sandwiches sur une table à tréteaux dans un coin de son Loft en 1970, jetant les bases de la trinité ‘platines, obscurité, danse’ et lançant le concept de discothèque – la soirée telle que nous la connaissons a vu le jour. Au cœur de sa formule magique : la manière dont Mancuso offrait aux marginaux et au public alternatif de son quartier une chance de se mélanger et de danser sur de la bonne musique. Ces premières expérimentations étaient puissantes, personnelles et politiques. C’étaient des fêtes.

La ‘soirée club’ est plus récente – si par « récente » on admet le début des années 1990 – quand la rave, ce flambeau anarchique et bariolé d’espoir hédoniste – était, comme la plupart des mouvements de jeunesse de l’histoire, identifiée comme menace au status quo et neutralisée. Au Royaume-Uni, par exemple, l’appareil législatif de la Criminal Justice Bill n’a pas eu pour seul effet de chasser les gens des champs pour les pousser vers des lieux urbains agréés, bien plus faciles à contrôler. En même temps, la rave – et nous avec – a été cooptée et commercialisée. Il y avait de l’argent à se faire, simplement du fait que les jeunes du monde entier ont un goût prononcé pour se défoncer dans des salles obscures.

Ainsi est née la 'soirée club' telle que nous la connaissons. Trop chère, sur-marketée. Une fois sur place, on la reconnaît quand sa présence à une soirée est dominée par ce sentiment que, quelque part, on se fait plumer. La priorité est de vous y attirer, de vous faire raquer et de vous en faire sortir une minute avant la fermeture.

Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas s’amuser dans une ‘soirée club’. En fait, il arrive qu’errer de salle en salle, de bar en bar, est préférable aux conneries édéniques que professent les soit-disants teufeurs de la première heure. Il y a une honnêteté cohérente, si ce n’est tout à fait admirable, à l’expérience club contemporaine. L’organisateur veut faire des profits, et toi et tes potes voulez voir Hunee, Honey Soundsystem et Honey Dijon sur le même line-up. Vous en avez pour votre argent ; il récolte ses billets. Ni lui, ni vous n’avez la moindre chance de retrouver le salut spirituel que chérissait la première vague de DJs et de fêtards, mais franchement, ce n’est pas possible tous les weekends en 2019.

Désormais, la plupart d’entre nous est bien consciente du fait que la vie nocturne tente constamment de recréer cet Âge d’Or des raves du « bon vieux temps », se contorsionnant comme un serpent qui se mord la queue, plus prompt à se vautrer dans les mythes du passé que d’affronter les difficultés du présent. Les gens qui radotent en expliquant comment Ibiza a perdu sa « magie » se plaignent en fait que les ‘soirées club’ ont remplacé la fête. Et nous voilà, accrochés aux mêmes cinq histoires qu’on a entendues sur Larry et François, et Frankie et Alfredo, dans l’espoir qu’en invoquant ces noms et ces soirées suffisamment de fois, on arrivera à oublier la queue, les verres hors de prix et l’idée que peut-être, on ne s’amuse pas autant que ce que suggèrent nos stories Instagram.

Mais le rêve de la fête est toujours en vie, d’une manière ou d’une autre. Des organisateurs perspicaces – ceux qui mettent le public avant les profits – savent encore donner vie à la nuit. Une fête fait de vous la partie d’un tout. Un organisateur qui passe plus de temps à construire une communauté qu’à penser à de nouveaux moyens d’extraire quelques centimes de plus de vos poches gère une fête. Les fêtard·e·s expérimenté·e·s – qui ne sont pas satisfait·e·s des line-ups identiques et de voir la majeure partie de leur compte bancaire aspirée de leur portefeuille en moins de temps qu’il n’en faut à Harvey pour mixer deux tracks – apprennent à chiner davantage les lieux, les organisateurs et les DJs qui connaissent la valeur d’une vraie fête.

Une fête, c’est quand Midland revient trois soirs de suite dans un petit club d’Edimbourg. C’est quand Beatrice Dillon retourne le White Hotel de Salford. C’est quand Beat Herder festival passe des mois à creuser un bar dans le sol du comté de Cumbria juste pour le plaisir ; c’est Nyege Nyege festival en Ouganda qui n’a qu’une seule paire de platines, portée à bout de bras en sprintant d'une scène à l'autre à la fin de chaque DJ set ; c’est quand Nightmares On Wax s'empare du marché hippie d’Ibiza et le remplit d’amis et de proches. C’est quand Houghton prioritise les festivaliers des années précédentes sur les revendeurs de tickets arrivistes et les VIPs, même si ça leur coûte de l’argent.

C’est la nouvelle vague de collectifs qui construisent des nuits et des festivals autour de leurs valeurs, et non autour de leurs profits. Ce sont les clubs et les organisateurs de toute taille et de toutes origines qui mettent le public, qui est là pour danser et s’amuser, au centre de leurs préoccupations. Et si vous les soutenez, vous êtes les héritiers de cette lignée dorée qui remonte jusqu’au fameux Loft de Greenwich Village. Que la fête continue.

@Josh Baines

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