Pete Dale : « C’est la musique que les enfants peuvent identifier comme leur culture »
A la rencontre du prof d'université qui défend l'apprentissage de la culture électronique à l'école
Vous jouiez quoi, en classe, avant ça ?
J’essayais d’avoir un panel aussi large que possible. Des percus africaines, du jazz, du rock, beaucoup de pop, de la musique classique aussi. Je ne préconise pas de seulement introduire l’EDM en cours, mais je pense qu’il faut présenter ça comme un style musical légitime parmi d’autres. Les jeunes avaient après ça plus de respect pour des styles musicaux plus conventionnels, une fois qu’on montrait du respect pour leur musique.
La majorité des professeurs de musique au Royaume Uni continue-t-elle réellement à se focaliser sur l’enseignement de la musique classique ?
Oui. Le classique. La pop mainstream et du rock traditionnel. Même moi, je leur jouais du Mozart. Je pense que le problème est que la plupart des professeurs de musique ont étudié la musique classique. Ou le jazz. Ou même peut-être un cursus en musique populaire. Ça ne donne pas de connaissance au niveau de l’EDM. Mais ce n’est pas une excuse ! Je n’y connaissais rien moi même. Comme professeur, tu n’as pas à être expert dans tous les genres de musique. Tu peux apprendre des élèves.
Tous les exams au GCSE autorisent le human beat-box, le MCing, le DJing. Donc le système éducatif autorise tout ça. C’est les professeurs de musique qui freinent encore.
Tous les professeurs de l’école soutenaient votre approche ? Où certains étaient-ils réticents ?
Certains professeurs étaient forcément un peu surpris. Ils passaient à côté de ma classe et entendait « DUH ! DUH ! DUH ! » (Il mime un gros beat). Mais la plupart du temps, ils soutenaient l’idée. J’invitais le professeur principal qui pouvait voir que des gosses qui allaient être exclus de l’école, des gamins difficiles, qui montraient à d’autres comment mixer. Quand j’ai commencé mes recherches en 2012, j’ai contacté autant d’écoles possible : presque aucune n’avait de platines. Tu en as dans des centres pour jeunes délinquants. Eux, autorisent le MCing. Pareil dans certaines prisons. Ça existe partout en dehors des écoles mainstream. Je préconise d’en ajouter dans les écoles normales. Peut-être qu’avec ça, on évitera que des gamins se retrouvent en maison de correction ou en prison.
Certains des enfants n’aimaient peut-être pas cette musique.
Oui, c’est arrivé. C’était facile à gérer. Parfois un gamin disait : « je déteste cette musique, c’est trop fort ». Comme pour une leçon sur l’EDM, par exemple. Alors je voulais qu’ils participent un peu, tout de même. Mais si c’était 20 minutes d’un gamin en train de mixer et l’autre en train de faire le MC par dessus, je les laissais aller dans une salle à côté. S’ils avaient mal à la tête. Mais c’était une minorité. Je me souviens d’une jeune fille qui était une excellente violoniste. Elle écoutait un garçon MCing et au bout d’une minute elle m’a dit : « je n’aime pas trop cette musique. Mais il le fait très bien. » Ce respect mutuel, c’est formidable.
Leur faire écouter de la Makina, de l’EDM, c’est aussi pour amener à des musiques électroniques plus raffinées ?
Je pense que ça se produit parfois naturellement. C’est génial. C’est bon pour les gens de s’ouvrir à différents genres de musique. Mais j’essaie d’éviter de dire « la Makina, c’est ok, mais essayons ça, qui est de la meilleure musique. »
Pas forcément en disant que c’est meilleur…
Je l’ai peut-être plus ou moins fait. Mais je préfère quand c’est naturel. Je me souviens d’un gamin qui adorait la Makina et qui m’a un jour dit : « tu connais Led Zeppelin ? » Et il mimait l’air de Kashmir. Il me disait qu’il aimait beaucoup cette chanson. Ils découvrent les break, les kick-off et commencent à penser à la musique. Donc ils peuvent se mettre à s’intéresser à autre chose. Mais si ce n’est pas le cas, qu’ils aiment seulement la Makina, ça ne me pose pas de problème.
Certains parents vous ont-ils remercié pour votre travail ?
Pour mon travail global, pas spécifiquement là-dessus. À Cambridge, j’ai fait un séminaire pour parler de tout ça. Pour pouvoir les filmer, j’avais besoin d’autorisations parentales. Les autres professeurs n’en revenaient pas que les gamins aient pris un formulaire, l’aient amené à la maison et l’aient fait signé. C’est rare. Dans ces familles, il n’y a pas un stylo à la maison. Certains des parents sont illettrés. Ils ont parfois eux mêmes une attitude très hostile envers l’école en tant qu’institution. C’est un antagonisme ancien. Mais les tous les gamins ont fait signer leurs papiers. Parce qu’ils voulaient passer la matinée derrière les platines.
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Propos recueillis par Thomas Andrei.
Crédit photo: © AP, DR