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Raving Iran : les organisateurs qui risquent leurs vies pour faire la fête

Blade et Beard ravent dans l’un des endroits les plus dangereux au monde

  • Andy Buchan
  • 30 August 2017

La plupart des organisateurs ont leurs problèmes de tous les jours. Quels DJs mettre au line-up, comment s’attirer les faveurs des propriétaires de salles, ou quelles factures ils peuvent éviter de payer sans trop s'attirer d'ennuis. En Iran, les organisateurs font face à de tout autres soucis… Comme s’ils pourraient survivre à la sentence en vigueur si on les surprend à lancer une soirée, ou s’ils ont versé suffisamment de pots de vins pour leur permettre de dancer jusqu’à l’aube dans le désert Iranien. L’Iran est un pays où récemment, six fans de musique ont été condamnés à 91 coups de fouet pour avoir commis le crime de chanter ‘Happy’, le single Pharrell Williams.

« C’est très dangereux, et bien sûr c'est illégal. Nous ne sommes pas rentrés en Iran depuis », expliquent Beard et Blade - ou Annoosh et Arash, comme les autorités les ont désormais identifiés. L’an dernier, ils sont apparus dans un documentaire retraçant leurs expériences d’organisateurs en Iran, et ils parcourent désormais l’Europe comme DJs - et ont même fait une apparition remarquée à TomorrowLand.

« Les soirées en extérieur dans le désert ou la montagne sont hyper secrètes et cachées très loin, au milieu de nulle part », confirme Susanne Regina Meures, la réalisatrice du film. « Il faut louer l’équipement, trouver un bus avec un conducteur qui puisse éviter tous les postes de police, arroser les élus locaux et les autorités et surtout, trouver des amis assez téméraires pour faire la fête dans de telles conditions. Ce n’est pas chose facile. »

En bref, il n’y a pas de scène électronique en Iran. Musique, pièces de théâtre, films,romans - pratiquement tout ce qui touche au domaine de l’art - doit d’abord recevoir l’autorisation et l’approbation du Ministère de la Culture et de la Guidance Islamique. Les producteurs comme Mehdi et Hossein Rajabian ont récemment été condamnés à six ans de prison pour « propagande contre l’Etat » - simplement pour avoir composé de la musique entre amis. Et il y a le rapper Amir Tataloo avec ses 3,5 millions de followers sur Instagram, condamné à cinq ans et 71 coups de fouet pour avoir « colporté l’immoralité Occidentale ». Et ces étudiants surpris par la police en pleine house party, condamnés à 99 coups de fouet.

« Il n’y a pas de scène rave en Iran », acquiescent Beard et Blade ; mais le pays conserve un héritage culturel bien ancré, dit Mehdi Ansari, expat’ iranien à l’origine de la prestigieuse soirée Analog Room de Dubai. « La culture iranienne est liée à l’art et à la musique depuis plusieurs millénaires et aucun pouvoir ne saurait stopper ce mouvement. C’est une scène hyper souterraine, des gens qui font la fête chez eux et à l’extérieur, dans les jardins, les usines et dans la nature, les forêts et les déserts. C’est là que tout se passe. Tout le monde fait la fête, et personne n’en parle. »

Jusqu’à maintenant. Tourné à Téhéran en dix-huit mois, le film Raving Iran documente les raves organisées par Bear et Blade, qui prennent place dans le désert du crépuscule jusqu’à l’aube. Une caméra cachée a été utilisée pour filmer les scènes au Ministère de la Culture et de l'Orientation Islamique.

« Anoosh et Arash représentent un large groupe de jeunes qui se retrouvent coincés, et ce à bien des égards », raconte la réalisatrice. « Déchirés entre l’Orient et l’Occident, éduqués mais incapables de trouver un travail qui paie suffisamment, sans la possibilité de voyager et faire l’expérience du monde, jamais reconnus pour leur musique. Et ce n’est que le début d’une longue liste. »

Quand les raves se déroulent, elles sont autant de moments beaux et uniques. Meures les décrit avec tendresse : « ces enfants bariolés, extatiques dans le désert persan, dansant dans leur petite bulle d’utopie au nez et à la barbe d’un des systèmes politiques les plus répressifs du monde » - et le documentaire témoigne de cette dichotomie dansante.

Peut-être que les vrais gagnants, ce sont ceux qui peuvent partir, comme l'ont fait Beard et Blade. Après avoir passé plusieurs années à organiser des soirées et vendre des copies de leurs productions sous le manteau, ils ont été invités à jouer à la Street Parade de Zurich en 2014. Instantanément captivés par l’ouverture de la scène et du public, ils ont déposé une demande d’asile en Suisse, laissant derrière eux leurs familles et leurs amis. Une décision lourde de conséquences, motivée par l’ouverture de la communauté électronique. Avec des dates de tournée en Europe cet été, un nouvel EP à sortir sur Futurist, leur futur semble prometteur. Bien plus que celui de la scène éparse et éclatée qui subsiste en Iran.

« Depuis la Révolution, certaines choses ont évolué du meilleur au pire et vice et versa », ils racontent. « Mais avant que nous puissions commencer à raver en Iran, il y a d’autres règles et lois qui doivent changer. »

Un sentiment dont la réalisatrice se fait l'écho : « Je n’avais nullement l’intention de faire un film politique, mais en donnant une voix à ces jeunes, on leur donne du pouvoir - un acte fondamentalement politique. La visibilité est une étape dans le bon sens, mais il faudra beaucoup plus que ça pour faire changer les choses. Et en effet, l’Iran doit changer. »

@AndyBuchan

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