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SUAT : le DJ qui met le club dans la rue

« Le bon moment pour se faire connaître, c’est quand tu es un artiste complet, en live et en studio »

  • Théotime Roux
  • 7 December 2020

Au milieu de l'océan de DJ sets en livestreams qu'a été l'année 2020, un nom est resté au-dessus du lot : SUAT. Lui, c’est dans une galerie d’art, sur un kayak, ou encore dans les rues de Londres qu’il se filme en train de jouer. Un projet né de la frustration du confinement, mais appelé à durer.

Pour Zach, le vrai nom du jeune Anglais, tout commence à l’université. Ou plutôt à la sortie de l’université, qu’il a abandonné en dernière année de master, par détestation d’à peu près tout ce qu’il y croisait. Il se souvient : « A ce moment-là, j’ai 20 ans, et pas le début d’une idée de ce que je veux faire plus tard. Mon pote avait des platines, et sans vraiment le réaliser il m’a appris tout ce qu’il savait, et c’est là que je me suis dit que c’était ce qu’il me fallait, je voulais pouvoir faire danser la foule, faire ressentir des émotions aux gens. » Mais à l’époque, l’ambition est encore assez modeste, partagée entre les anniversaires et les mariages. Et petit à petit, le voilà qui tombe dans les méandres de la house, la deep, la minimale.

Il arrive à se faire une place sur des line-up de choix, aux côtés de Fatboy Slim, Solardo, Danny Howard, ou encore Andrea Oliva. En parallèle, il s’amuse à poser ses platines dans un KFC ou une bibliothèque, pour une heure de mix en live sur Facebook. Mais le concept phare arrive avec l’instauration du confinement au Royaume-Uni : comme en France, le gouvernement britannique autorise les sorties limitées à une heure, au titre de l’exercice sportif quotidien. Alors qu’il joue déjà une heure hebdomadaire en direct sur Facebook, l’idée lui vient de combiner cette heure de mix à son heure de marche.

Pour pouvoir réaliser ce tour de force, il se base sur un vieux souvenir : « Je me suis rappelé de ces ouvreuses qu’il y avait dans les cinémas il y a longtemps, et de leur plateau rempli de sucreries qu’elles tenaient par leur cou. C’est sur cette base que le premier prototype a été conçu, à partir d’un bureau, accroché à mon cou avec des lanières. Mon cou était le seul point d’attache, alors je me retrouvais à marcher avec ce truc absurdement lourd, à m’en briser la nuque, et ce pendant les cinq premiers épisodes ! » ‘Steppin’ With SUAT’ était né.

Les réactions sont assez extatiques, et proviennent de tous horizons : des parents lui relaient l’enthousiasme de leurs petits enfants, des octogénaires lui demandent en message privé plus de détails sur cette musique qu’ils découvrent parfois… Une démarche que SUAT assume complètement : « J’ai un vrai problème avec l’image du DJ juché en haut de sa loge, que personne ne peut atteindre. Mon but avec ces streams est de transmettre l’image inverse, qui inclue tout le monde. Dans la rue, je m’arrête pour danser avec n’importe qui, un SDF comme un millionnaire. La musique que je joue, la house, a été fondée sur ce principe. Mon objectif, c’est vraiment de changer cette image que la plupart des gens ont du DJ. »

Parmi tous les commentaires qui reviennent le plus souvent dans ses streams, l’inévitable question : mais comment ça marche, tout ça ? L’élaboration du dispositif qui permet à SUAT de marcher tout en mixant a été un processus de longue haleine. C’est en effet une question de physique élémentaire : pour rester debout, il lui fallait dix kilos derrière lui, pour compenser les dix kilos de platines devant lui. Il s’amuse : « au début, je n’avais vraiment pas calculé tout ça, j’avais juste une table de bureau devant moi, qui pendait à mon cou ! Vraiment, médicalement, c’était une très mauvaise idée. Mais semaine après semaine, on a retravaillé, amélioré le prototype, on y a mis des contrepoids, on l’a rendu étanche, et maintenant c’est du matériel à toute épreuve. Et comme elle est attachée à mes hanches, j’ai une grande liberté de mouvement, je peux lever mes jambes, je peux même escalader des obstacles ! Non, vraiment, c’est moi qui m’effondrerais avant cette plateforme. »

Mais même sa dernière version ne lui évite pas certains moment très éprouvants : après son dixième ‘Steppin’ With SUAT’, une excursion autour des grands monuments de Londres, il s’est carrément évanoui de fatigue à l’entrée du métro. « Mais maintenant, avec la nouvelle version de ma plateforme, je me sens invincible. Avec celle-là, je peux même courir, descendre sur des terrains parfois très inclinés… Dans mes streams en ville, je peux facilement distancer des gens qui me suivent en courant ! C’en est à un point où maintenant je travaille ma ligne en portant ce truc. », raconte-t-il.

« ​Je me souviens une fois avoir demandé à ma copine : "ça fait combien de temps que je suis en live, j’ai l’impression d’avoir fait ça pendant une demi-heure !", alors que je venais de finir mon stream... J’ai littéralement fait un black-out pendant mon stream ! » ​

L’idée de streamer en ville a rapidement séduit, pour les interactions que le format pouvait offrir. Muni de son micro, il interpelle les passants, plaisante avec eux, et au final s’attire une cohorte de fans : lors de son stream à Bristol, une cinquantaine de personnes l’ont suivi pendant la majeure partie de son live, lequel s’est terminée autour d’un artiste qui peignait son portrait en pleine action. Un parcours d’autant plus plaisant à regarder qu’il ose tout : dans ‘Steppin With Suat’, on rentrait dans des supérettes, et dans la plus récente série ‘Sneakin’ With Suat’, on peut le voir s’infiltrer avec tout son matériel dans des lieux aussi diversifiés que la galerie d’art du Tate Modern ou le musée Madame Tussaud.

Des lives qui se terminent toujours par l’arrivée de la sécurité, qui le reconduit à la sortie, avec une politesse toute britannique. Il faut dire que le DJ sait jouer de son charme : « La police a été appelée quand on s’est installés à Buckingham Palace, et j’ai dû leur expliquer que je savais que je ne faisais rien de mal, que je n’avais pas d’amplificateur avec moi à part mon enceinte portable, et que j’étais au courant des lois en vigueur dans ce contexte. J’ai donné mon @ aux deux agents de police qui me parlaient, je les ai regardés retourner à leur voiture alors que j’étais toujours en live, et je les ai vu lancer mon stream dans leur voiture de police ! J’ai pas pu m’empêcher de lâcher un petit ‘’je connais deux petits poulets qui aimeraient me voir partir !’’, mais en vrai, je fais attention à ne jamais être agressif ou incorrect. Ils voient bien que tout le monde s’éclate, qu’on ne va pas se mettre à commettre des actes violents, donc ça se termine toujours bien. »

Le public suit aussi sur les réseaux sociaux : les petites vidéos best-of, résumés de chaque live, sont vues par des milliers de personnes, avec un pic à trois millions pour son passage dans les rues de Brighton. Ces vidéos, elles sont tournées par sa copine, qui lit au passage les commentaires laissés en live par les spectateurs. Il explique : « Le projet est né alors qu’on vivait ensemble, et c’est devenu une tournée qu’on fait à deux. C’est parfois dur, mais on préfère éviter de solliciter des personnes extérieures pour rester en contrôle du projet. » Son manager confirme : « Du lever au coucher, c’est elle qui s’occupe de tout, il n’y aurait vraiment rien sans elle. »

Au bout de huit mois, le projet est encore frais, mais SUAT compte déjà le porter au niveau supérieur. Son manager l’annonce : l’ambition est européenne. Avec évidemment, Paris dans le viseur, dès la crise sanitaire passée : « L’idée serait d’avoir des events ‘classiques’, en clubs ou en festivals, mais aussi de faire des streams dans les rues, pour les gens qui n’ont pas accès à ces events. On a bon espoir d’attirer pas mal de monde : déjà à Bristol, il y avait une cinquantaine de personnes qui l’ont suivi pendant tout le stream. Et ça c’est pendant une pandémie et un confinement global ! »

En ce qui concerne la production, à part quelques free downloads sur Soundcloud produits sur les trois dernières années, il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent. Le jeune DJ veut prendre son temps : « Je cherche d’abord à faire grandir ma communauté, pour rester dans une position confortable le temps de travailler sur mes propres releases. Je ne sortirais rien si ce n’est pas d’une part sur un label sur lequel j’ai spécifiquement envie de signer, et d’autre part de la musique qui me représente en tant qu’artiste. Après tout, ça ne fait que cinq ans que je fais ça, et je pense que c’est juste le temps qu’il faut pour se définir une identité musicale. Ma vision du marché, c’est que aujourd’hui, il y a beaucoup de producteurs qui se concentrent sur la production, qui enchaînent track après track, ce qui fait que quand bien même il y a beaucoup plus de releases sur le marché, la qualité globale de la musique a baissé. Personnellement, mon objectif est de générer de l’engagement pour que, le jour où je sors quelque chose, ça monte directement n°1. Je veux faire passer le message qu’en tant qu’artiste, il ne faut pas se ruer derrière la moindre once de notoriété, mais plutôt attendre le bon moment pour se faire connaître. Et ce bon moment, c’est quand tu est prêt en tant qu’artiste complet, en live comme en studio. »

Théotime Roux est rédacteur junior pour Mixmag.fr, suivez-le sur Twitter.

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