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​Vinyle mania : Discogs, un succès au goût de spéculation

"Discogs est-il vraiment tombé dans les bras de la spéculation ?"

  • Nora Djaouat
  • 9 February 2017

Si vous cherchez la date de sortie d’un disque ou encore le nom du label méconnu qui a sorti cet EP d’italo disco entendu en soirée, Discogs est sans aucun doute le premier endroit auquel vous penserez. Et pour cause : la plateforme créée en 2000 par Kevin Lewandowski est LA référence pour les mélomanes, mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la musique. Mais cette base de donnée qualitative est souvent critiquée à cause du comportement de certains utilisateurs, avec en tête ceux qui font gonfler les prix. Alors, Discogs est-il vraiment tombé dans les bras de la spéculation ?

Le temple de la galette

Le rapport annuel State Of Discogs 2016 n’est pas encore sorti, mais les chiffres devraient être plutôt bons compte tenu de la tendance actuelle. Aujourd’hui, la plateforme recense pas moins de 330 000 contributeurs et, si certains annoncent que la croissance de l’industrie du vinyle devrait commencer à s’essouffler au cours des prochaines années, Discogs affirme que sa communauté est encore plus active qu’auparavant. En janvier 2017, Ron Rich, Directeur Marketing de Discogs, annonçait : « On a atteint les 5 millions de références en 2015. C’est fou de penser qu’aujourd’hui, deux ans après, on a divisé par deux la distance jusqu’aux 10 millions. Comme les collections de la communauté augmentent, notre base de données suit le mouvement. »

Le top 10 des meilleurs contributeurs

« C’est devenu un point de passage obligé : si je découvre un nouveau groupe ou artiste, cela ne me prend que trois clics pour découvrir l’intégralité de sa discographie sur Discogs (et même de voir ses apparitions sur d’autres disques, ses crédits en tant que producteur, les remixes, etc.). Et dans la majorité des cas, d’écouter directement grâce à l’intégration Youtube. On peut s’y perdre des heures ! », nous confie Benjamin, un habitué de la plateforme qui avoue cependant ne pas y acheter beaucoup de disques.

Des reviews en veux-tu en voilà !

En plus de fournir des informations discographiques souvent introuvables ailleurs et de fixer la cote des disques via un système d’historiques qui permet d’éviter de payer un disque plus cher que son prix réel sur le marché, Discogs permet à tout un chacun de donner son avis sur un disque via un système de « reviews ». Certains prennent l’exercice plus à cœur que d’autres, mais ce n’est pas le plus important. En effet, Discogs peut se targuer d’avoir une communauté active qui enrichit ses bases de données et n’hésite pas à avertir les acheteurs potentiels si la qualité du pressage n’est pas des meilleures : « Elles sont bien pratiques pour repérer les mauvais pressages - ça arrive souvent, même pour de gros artistes. Si un trop grand nombre de commentaires mentionnent que le son de telle ou telle version d’un disque est naze, je passe mon chemin et j’attends mieux. » , commente Benjamin.

Exemple de review

Parfois, il arrive que certains reviewers prennent un peu le melon. Fabrice Desprez, - le fondateur de l’agence de relations presse Phunk Promotion et autrefois membre actif avec pas moins de 600 reviews à son actif- est bien placé pour nous en parler : « J’ai créé le groupe Best reviewers of Discogs pour recenser les mecs qui s’y connaissent et qui écrivent sur des trucs intéressants. Parmi eux vous trouverez spa5tik0lonz. C’est un anglais qui bosse un peu comme acheteur pour un disquaire de Brighton. Il réceptionne les stocks, il les trie, et il s’en met 2/3 de coté à chaque fois donc il a une belle collection. Rien qu’avec ses reviews, il pouvait faire exploser la cote d’un disque - il était aussi influent qu’un DJ finalement.»

Le royaume des « sharks »

Si les chiffres sont très bons et donc encourageants pour l’avenir de « la plus grande discothèque au monde », tout n’est pas rose pour autant. Le problème majeur de Discogs tient en un seul mot : spéculation.

« Il y a différentes pratiques spéculatives sur Discogs. D’abord, il y a ceux qui vont se créer plein de faux comptes. Ils multiplient les pseudos pour s’acheter hors de prix et à soi-même des disques pour faire grimper l’historique. Il y a aussi des mecs qui annoncent qu’ils font 200 copies numérotées d’une release, mais en réalité ils en font 300 et les 100 autres ils les vendent au compte-gouttes sur Discogs, sous un compte anonyme. Puis, tu as tous ceux qui font des reviews élogieuses, ou alors qui mettent dans les commentaires que ça a été joué par untel. Toutes ces pratiques font monter la cote artificiellement », déclare Fabrice.

Exemple de spéculation sur un morceau joué par Nicolas Lutz. Après son mix, la valeur du disque est multipliée par trois. conf. lien Discogs.

Le problème est connu des habitués du site, si bien que les spéculateurs sont communément appelés les « sharks ». Fabrice nous explique : « Les sharks ce sont des mecs rivés au track ID, que ce soit sur les forums Discogs, sur Mixes DB, ou sur minimal.nl. Ils vont également sur YouTube et sur des plateformes comme SoundCloud et Mixcloud. Quand il y a un mix d’un mec un peu suivi comme Nicolas Lutz qui est posté sur une de ces plateformes, ils surveillent les ID. Il y a souvent des gens généreux qui donnent les titres. La plupart du temps, ce sont des vieux trucs qui sont à 2 euros sur Discogs, les mecs rafflent le stock et les revendent ensuite un par un ».

Heureusement, certains ont décidé de ne pas laisser les sharks faire la loi sur Discogs : on les appelle les « anti sharks ». Fabrice nous apprend que ce sont des « passionnés qui se revendent entre eux des disques à bas prix pour casser les cotes. Dans les techniques connues, il y a celle qui consiste à mettre des notes basses aux disques pas encore grillés par les sharks afin de ne pas les rendre trop désirables. Aussi, ils s’échangent les IDs des tracks joués en podcast ou en clubs uniquement par messages privés et à des gars de confiance. Ils estiment que ce n’est pas dans l’esprit de la techno de devenir élitiste et de n’avoir que des références hors de prix, et que tout le monde a le droit de jouer ces disques. Il y a une espèce de truc un peu militant assez cool. »

Vers une cote maximale du vinyle ?

Et si la solution à la spéculation était finalement de fixer une cote maximale sur Discogs, en prenant en compte les fluctuations de l’historique et la rareté des disques sur le marché? À cette question, Fabrice nous répond : « Ça ne les intéresse pas de le faire. Chez Discogs, ils sont ultras libéraux et ultras spéculations. Ils l’encouragent car ils prennent 8% par vente. Sur une vente à 100 euros, ils vont se faire 8 euros. Forcément ils préfèrent qu’un disque se vende plus cher, et donc ils ferment les yeux sur la spéculation. »

Fabrice pointe également du doigt un autre problème. Selon lui, les jeunes ne s’étonnent pas des prix du vinyle et ils n‘hésitent pas à payer au prix fort leurs derniers coups de cœur : « La jeune génération n’a pas vraiment eu l’apprentissage du digging à galérer des après-midi à fouiller dans des bacs dégueulasses. Ils identifient un truc mortel et ils le veulent tout de suite. Ils savent qu’en mettant un peu le prix ils vont le trouver sur Discogs. À notre époque, c’était impensable de mettre autant que ce qu’ils peuvent mettre dans des disques aujourd’hui.»

Finalement, comme nous l’affirme Benjamin, « la spéculation est un jeu, mais rien n’oblige les gens à le jouer. Et ça marche dans les deux sens : du côté des vendeurs, on peut se brûler aussi, en faisant main basse sur plein d’exemplaires de tel disque dès sa sortie, pour finir par se rendre compte que sa valeur n’augmente pas. Comme disait Coluche : ‘’Il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas !’’

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