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Culture

À l'apogée du disco, Casablanca Records était le centre débauché de l’univers

Larry Harris raconte les heures de gloire du légendaire label californien

  • Larry Harris
  • 11 October 2017

Pour résumer le statut de Casablanca Records en 1977, voici un passage choisi de l’Encyclopedia Britannica : « Même dans le contexte des bacchanales du Los Angeles des années 1970, les excès de drogues et de promotion de Casablanca Records se détachaient du lot. À une période où l’usage de la cocaïne atteignait son apogée dans l’industrie musicale, Casablanca donnait le ton… »

8255 Sunset Blvd. Décembre 1977 à mon bureau de Los Angeles en Californie. Casablanca Records. Je tenais une réunion de lancement avec une nouvelle firme récemment acquise par le label, Provocative Promotions. Une agence de promotion et de marketing spécialisée dans le disco, qui comptait trois personnes : son président Marc Paul Simon, Ken Friedman le directeur des promotions et la directrice marketing Michelle Hart. C’était un gros coup pour la société, nous avions énormément de succès avec le nouveau genre musical du jour : le disco. Casablanca et son président Neil Bogart commençaient à faire confiance au format et il nous fallait engager des gens qui savaient comment tirer leur épingle du jeu avec les clubs et comment se mettre dans la poche les DJs qui choisissaient et passaient les titres – en particulier dans les clubs gays qui fleurissaient partout dans les métropoles du pays. Étant tous les deux gays, Marc et Ken comprenaient le lifestyle des DJs. Provocative Promotions avait la position idéale pour remplir cette fonction qui manquait à notre label.

Casablanca avait déjà un succès énorme dans le rock progressif FM, le Top 40 et les tubes r’n’b. Le mec qui s’occupait du Top 40 était Buck Rheingold, le beau-frère de notre président Neil Bogart, du type plutôt agressif. Il ne s’intéressait pas vraiment à la musique elle-même – le genre de mec qui aurait tout aussi bien pu vendre des chaussures ; il s’y serait pris de la même façon. Notre directeur r’n’b, Cecil Holmes, avait travaillé avec Neil dans plusieurs autres labels et était d'une manière ou d'une autre responsable du succès de Curtis Mayfield, Bill Withers, Gladys Knight and the Pips, les Isley Brothers et plein d’autres stars r’n’b de l’époque. Et il y avait moi, le cousin de Neil (renvoyé deux fois), superfan de tous les genres musicaux. J’ai aidé à présenter Genesis et Monty Python au public américain, ai travaillé avec Charlie Daniels, Shanana et tout particulièrement KISS, le tout premier groupe de rock signé par le label et plus gros vendeur de disque de l’époque.


"À une période où l’usage de la cocaïne atteignait son apogée dans l’industrie musicale, Casablanca donnait le ton’’


Pendant la réunion, on fumait de la marijuana de qualité. J’avais rapporté des projets disco à paraître sur les prochains mois, dont le LP I Remember Yesterday de Donna Summer avec le hit ‘I Feel Love’ et un nouvel artiste disco que nous venions de signer, nommé Paul Jabara. Quelques minutes après avoir mentionné le nom de Paul, il s’est pointé à l’improviste dans mon bureau et a commencé à chanter et danser sur la musique de ‘Yankee Doodle Dandy’. Tout le monde en a pris plein les mirettes et même Neil (dont le bureau était connecté au mien par une porte commune) est venu écouter, et avec lui tous les gens aux alentours. Quand Paul a fini, tout le monde a applaudi.

Début 1977, Casablanca était en pleine explosion. Non seulement Donna Summer et Parliament vendaient des millions de disques, mais on commençait à établir la présence de nouveaux artistes : Angel dans le monde du rock et Cameo dans l’univers r’n’b. Giorgio Moroder, le producteur de Donna, sortait son premier album, ‘Munich Machine’, le premier album de Paul Jabara ‘Shut Out’ allait faire surface et KISS était sur le devant de la scène avec ‘Love Gun’. La plus grande surprise pour nous était la signature d’un groupe très différent et hyper controversé. Tous ceux avec un peu de flair savaient qu'il allait placer le lifestyle gay sous l’œil du grand public (et ce bien que le public n’allait pas mordre pendant un bout de temps) : Village People. On a su tout de suite qu’on tenait là un groupe avec la capacité de captiver l’imagination du monde. Le producteur était Jacques Morali, un Français très maniéré qui criait et s’excitait dès que les choses n’allaient pas dans son sens. Son partenaire de production Henri Bello était le seul, mis à part Neil, qui pouvait le contrôler.

‘Macho Man’ et ‘YMCA’ ont tout de suite fait un carton. Tout ce succès remplissait les poches de Neil – et Dieu sait qu’il savait le dépenser. Tous les groupes d'appartenance disco venaient vers nous, et on les signait presque tous. On devait grandir, donc on essayait de débaucher les meilleurs chargés de promotions, des ventes, attachés de presse du pays chez d’autres labels.

Vers la fin de l’année, Neil a décidé d’approcher son ami Pete Guber, l’ancien Chef des Acquisitions de Columbia Pictures, et Casablanca a fusionné avec la société de Peter, Filmworks, pour produire des bandes-originales et des effets sonores de films. Peter était d'abord assez nerveux face à l’offre de Neil, mais il a finalement cédé. Il ne rentrait pas vraiment dans le moule de la boîte, il était hétéro, mais sa connaissance de l’industrie du film était spectaculaire - complètement différente du savoir nécessaire dans l'industrie musicale. Neil était ce showman fini qui croyait que si tu pouvais étaler ton succès à la face des gens, tu deviendrais bien quelqu'un un jour, et dépenser des mille et des cents pour y parvenir faisait partie du jeu. Mais Peter était très conservateur, au point où il refusait même de d'offrir des bonus de Noël aux employés de son département.

Grâce à l’acquisition de cette société du production, Casablanca jouait désormais dans la cour des grands. Dans le milieu du divertissement, le film était roi, la musique en bas de l’échelle, et le rêve de Neil se réalisait. Il n’était plus simplement un grand nom de l’industrie musicale, mais un vrai magnat d’Hollywood. Le premier film qui devait porter les logos de Casablanca Records et Filmworks était déjà en route : c’était le blockbuster The Deep. Le second, Midnight Express, a gagné un Academy Award pour la bande-originale de Giorgio Moroder. J'avais pour tâche de convaincre Giorgio de regarder le premier montage et de produire la bande-son; Il n’avait jamais travaillé sur une bande-originale avant et l’idée le rendait un peu nerveux. Quand nous nous sommes retrouvés dans une salle de projection vide, il n’a pas dit un mot pendant tout le film. Une fois la projection finie, il s’est tourné vers moi et m’a dit que le film l’avait tellement touché qu’il voulait bien le faire.

Alors grâce au succès de la division cinéma, Neil a décidé qu’il utiliserait la société de production pour pousser les carrières de Donna Summer et Paul Jabara. Casablanca allait commencer le développement de Thank God It’s Friday, Neil à la production. Le film s’est retrouvé face à face avec la sortie de Saturday Night Fever la même semaine et n’a pas bien marché au box office, mais Paul Jabara a gagné un Grammy pour le titre ‘Last Dance’, avec Donna. Il a aussi remporté un Golden Globe pour Meilleur Chanson Originale.

Le temps était à la célébration. Neil a emmené toute la société au fameux restaurant Palm, où on a partagé un très bon repas, suivi d’un dessert de Quāāludes [une marque de methaqualone, un sédatif puissant populaire dans les années 70 et 80, ndlr]. Ça ne semblait pas manger de pain – et ça nous a même bien servi quand moi et le mec du rock ont signé le groupe Santa Esmeralda pour juste 35,000 dollars. Leur album comportait une version disco du hit de The Animals - ‘Don’t Let Me Be Misunderstood.’ Un tube instantané, le plus gros chiffre d’affaire de l’histoire du label avec plus de 2 millions vendus les quatre premiers mois.

Casablanca était alors le seul label capable de capturer l’imagination des fans de disco. Les disquaires nous disaient que les consommateurs venaient leur demander ’tout ce qui est nouveau sur Casablanca’, sans même mentionner d’artiste ou de chanson. La réputation du label était de vendre des disques, ce qui profitait énormément à nos artistes disco plus petits.

Beaucoup de critiques ont ensuite dit que le disco s’est éteint d’une mort rapide et hideuse. C’est complètement faux. Après la soit-disant mort du disco, des artistes comme Donna Summer se sont épanouis; et aujourd’hui le genre musical le plus en vogue est la musique électronique, qui remplit des salles et des festivals de plusieurs milliers de personnes. Un DJ peut se faire des millions en passant cette musique. Les gens auront toujours soif de danse et d’apprécier cette expérience et je suis fier d’avoir fait partie de ce mouvement à ses premières heures.


Crédits

Cet article est paru dans le numéro Mixmag de juillet 2017.
Traduit de l’Anglais par M.C Dapoigny

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