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Reportage

À Marrakech, Oasis fait briller la scène marocaine de mille feux

Voyage en 1ère classe au royaume de la fête chaleureuse et hédoniste à l'orientale

  • Sarah Pince | Photos : © Benhale, © Sarah Pince, © Khris Cowley
  • 8 October 2019

Aux pieds de l’Atlas et aux portes du Sahara se loge un véritable jardin d’Eden en bordure de la palmeraie de Marrakech. Un oasis qui charme chaque année quelques milliers de visiteur·euse·s assoiffés de basses et en carence de vitamines D.

Cette année, pas moins de 6000 festivalier·ère·s sont venu·e·s savourer les festivités chaleureuses façon marocaine. Une jeunesse d’ici et d’ailleurs, attirée par un line up cinq étoiles agrémenté de la crème internationale et locale. Voyage en première classe au royaume de la fête hédoniste et haut standing à la Marrakchi.

Photo: © Sarah Pince

Le Maroc : un oasis touristique... et désormais électronique

Le Maroc. Cette nouvelle destination de rêve qui fait fantasmer bon nombre de fêtards en mal d’exotisme l’after ultra-relaxant au hammam y est aussi pour quelque chose. Un fantasme légitime car le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ici, on sait faire la fête autant qu'on sait accueillir les étrangers. En parallèle du tourisme de luxe, le pays connaît ces dix dernières années un essor exponentiel de son offre culturelle et festivalière, autant à destination des touristes que des locaux. On relève par exemple le festival de la tolérance à Agadir ou l’Atlas Electronic à Marrakech, pour n'en citer que deux. Autant de jeunes événements qui s’ajoutent à la cartographie festive du pays déjà bien fournie avec entre autres le traditionnel festival des gnaouas à quelques kilomètres à l’Ouest de Marrakech, dans la ville d’Essaouira. Pour celles et ceux qui souhaiteraient découvrir le blues touareg, vous devrez braver les dunes du désert de M'Hamid pour vous rendre à Zagora où se tient chaque année en novembre le Taragalte prévoyez des vêtements épais car une fois la nuit tombée, il ne fait pas aussi chaud qu'on peut le croire.

Photo: © Sarah Pince

Au milieu de cette offre florissante et de la concurrence rampante, Oasis a su ramener légèrement à l’Ouest de la palmeraie l’oasis que la reine Zaynab Nefzaouia a laissé derrière elle en quittant les montagnes de Ghmate. Les globe-trotteurs et globe-trotteuses sont de plus en plus nombreux·euse·s à faire le pèlerinage vers « la terre de Dieu » amur akouch en tamazight. En 2018, la ville ocre a d’ailleurs enregistré entre janvier et novembre un nombre record de touristes, avec pas moins de 2,4 millions d’arrivées de visiteur·euse·s venu·e·s observer, goûter et écouter son patrimoine architectural, culinaire et musical fabuleux. Une nouvelle Mecque pour les routard·e·s du monde entier.

Un Éden aux portes du désert

19h14 : La lune est presque pleine. Elle illumine d'une lumière blanche et vive qui paraît presque artificielle cette porte voûtée et imposante devant laquelle la navette nous dépose. « Merhaba ! » « bonjour » ou « bienvenu » en arabe nous dit-on avec un large sourire à chaque pas de porte. Les sonorités gutturales commencent déjà à caresser nos tympans. Une douce mise en condition avant la tornade de décibels qui nous attend...

Le Fellah Hôtel se dresse aux pieds de l’Atlas, à une demi-heure de route de la Médina et à seulement quelques minutes en voiture du désert de cailloux d’Agafay. Nous descendons d’un bus bien trop calme pour une navette de festival. Nous nous pressons aussitôt pour récupérer notre sobre bracelet qui ceci dit, attirera bon nombre de locaux envieux aux yeux pétillants. Une fouille méticuleuse nous attend ensuite, avec portique de sécurité et scanner – on croirait ne jamais avoir quitté l’aéroport. Aussitôt la sécurité bravée, nous nous retrouvons embarqué·e·s en un éclair au cœur d’un Marrakech à taille humaine, catapulté·e·s dans une expérience sonore, visuelle et olfactive... Tout un festival pour nos sens.

Photo: © Khris Cowley

Avec ses jardins qui bordent les quelques villas disparates et leurs bassins, le splendide Fellah Hôtel se transforme en véritable Médina sous l’effervescence ambiante. Dans ce cadre somptueux, l’été ne semble jamais vouloir prendre fin : en bordure de la palmeraie, on se perd au milieu d’une végétation de cactus et d'arbustes exotiques. Mais on finit par s’y faire : le site semble avoir été agencé pour les déambulations nocturnes. Les festivalières et festivaliers, enivré·e·s d’enthousiasme, s’y rencontrent, s’y bousculent, y échangent quelques mots. Le trafic y est presque aussi important que dans les ruelles étroites de la vieille ville – sans les mobylettes et les commerçants.

Des luminaires orientaux et spots disposés sur le sol craquelé par la sècheresse éclairent la végétation et la façade des villas en contre-plongée et les colorent d’une palette aux nuances jaune-orangées, en rappel à celles des bâtiments ocres en terre cuite de la ville. Cependant, ce décor naturel orné et coloré frôle parfois un orientalisme superficiel et stéréotypé. Mais pas suffisamment pour nous empêcher malgré tout d’y plonger volontiers tout·e·s entier·e·s.

Chicha, thé à la menthe et BPM

Reliées par ces petites allées, les quatre scènes se rejoignent en un centre névralgique : le Marrocan Square. Plus on s’approche de cette miniature de la place Jemaâ el-Fna, plus nos sens saturent. On se croirait presque parmi ses étalages d’épices disposés en pyramides, de babouches et de sacs en cuivre dont la forte odeur nous embaume les narines. Ici, confortablement assi·e·s sur des poufs aux motifs de zerbias – tapis traditionnels marocains – on y déguste des tajines de kefta, des cornes de gazelle, des couscous doucement épicés. On y vide les théières de thé à la menthe en prenant quelques bouffées de narguilé à la fraise ou au réglisse sur fond de funk, house et techno. Exaltation des sens garantie pour les moins familier·ère·s à la culture multicolore et pigmentée marocaine.

Photo: © Khris Cowley

Mais les internationaux·ales ne sont pas seulement à la cherche de grosses basses et de paillettes pleins les yeux. En marge de l'événement, les plus curieux·ses d’entre eux·elles en profiteront aussi pour découvrir la richesse culturelle de la ville rouge et du Royaume alaouite, en quête de dépaysement. C’est le cas de Rob, qui a pris l'avion de Grande-Bretagne « pour faire la fête tout en voyant du pays et en refaisant le plein d’ultra violets avant l’arrivée de l’hiver rude d’Angleterre. » Et pas seulement visiblement. Nous le retrouverons le lendemain au Morrocan Square, salivant devant le tajine qu’on lui sert. « Bssaha ! »

Une foule en mosaïque : colorée et cosmopolite

Ces noctambules d’ici et d’ailleurs se fondent parfaitement dans le décor, composant ainsi un tableau harmonieux aux mille et une nuances. Cette foule, aussi belle que libre, colorée et cosmopolite incarne le nouveau visage d’un Maroc moderne, fier d’une identité culturelle riche, de ses traditions et ouverte sur le monde. Keftan, djellaba, gandoura : autant d’habits traditionnels portés avec panache. Toujours dans un registre exotique mais moins oriental, beaucoup ont opté pour la très prisée mais peu originale chemise à fleurs. D’autres surenchérissent de créativité et d’excentricité : nuées de paillettes sur les pommettes, ailes en tissu laqué façon paons aux écailles de poisson psychédéliques, crop top flashy...

Cette large palette de couleurs arborées autant par les festivaliers que par les festivalières enrichit et s’accorde parfaitement à l’arc-en-ciel composé par le décor, et tout particulièrement par le Marrocan Square, élément indispensable et à part entière de la scénographie. Orné·e·s de leurs plus beaux apparats, les femmes et les hommes métamorphosé·e·s en chimères à la tombée de la nuit font sagement la queue pour se prendre en photo chacun·e·s leur tour devant les lettres capitales « O-A-S-I-S » disposées à l’entrée telle une enseigne. En arrière plan, une carcasse de voiture des années 1990 ensevelie sous une couche de poussière. Un terrain de jeu privilégié pour les influenceur·ceuse·s.

Photo: © Sarah Pince

Entre deux vrombissements de basse, on peut distinguer des mots d’Arabe et de Français, mais aussi d’Anglais, d’Espagnol, d’Allemand ou de Hollandais. Beaucoup ont survolé la Méditerranée pour faire l’expérience de la fête à l'orientale. Alexandre a fait le voyage depuis Paris spécialement pour l’occasion. Lui-même producteur, cet amateur de micro house avoue avoir passé la quasi-totalité du festival posté à la Bamboo stage. En cause, dit-il, sa programmation axée house et minimale. D’autres n’ont pas eu à faire autant de kilomètres pour assister aux festivités. Youssef, lui, a pris le train de la capitale. « Je loge chez ma sœur près de Marrakech le temps du week-end . J’ai la chance de ne pas avoir à payer mon hébergement une fois sur place ! » il ironise le sourire en coin. Et d’ajouter rapidement : « Non, et puis ça permet de voir la famille par la même occasion ! »

Une programmation aux couleurs du Maroc...

Avec 70 artistes et 55 nationalités différentes au compteur, l’affiche est tout aussi colorée. Parmi cette myriade d’artistes internationaux, on retrouvera derrière les decks quelques uns des meilleurs DJ qui composent la galaxie électronique marocaine. Parmi eux, Amine K, fondateur de Moroko Loko présent depuis la première édition, les habitués Polyswitch, Malik ou la figure montante Monile ainsi que les nouvelles têtes à découvrir que sont Massimo et Nomads. On regrettera cependant ne pas avoir pu les voir mis en lumière à des horaires plus avantageux...

Nous passons la première soirée en compagnie d'OCB, artiste au nom évocateur et figure de proue de cette scène toute fraîche en pleine éclosion. Nous le rencontrons après son excellent set, exténué mais ravi. Casquette vissée sur la tête, démarche chaloupée, regard vif et malicieux, Driss – de son vrai nom – se présente déjà à première vue comme un personnage qui inspire la sympathie. Une première impression qui ne trompe pas puisqu’il ouvre cette discussion parfaitement informelle en nous racontant ses dernières aventures et mésaventures avec dérision. Performance écourtée à l’Atlas Electronic, panne technique à répétition, incident diplomatique lors de son dernier voyage en Géorgie… autant de déboires personnels et professionnels qu’il nous relate avec le sourire. Heureusement pour lui ce soir, rien à signaler, ne serait-ce la folle ambiance qui règne en ce week-end d’été indien.

Il poursuit le récit de ses épopées en nous contant sa sinueux ascension jusqu’au DJ booth. Après une enfance à Casablanca, le jeune adulte emménage en banlieue parisienne et s’inscrit en éco-gestion à la fac de Nanterre « pour faire plaisir à la mama », il précise, un peu amer. Il valide sa première année puis déserte les amphis, désintéressé et avec un tout autre projet en tête : celui de faire de la musique. En parallèle de son activité créative, Driss continue malgré tout ses études, en communication cette fois-ci. Une formation qui s’avère lui être utile tout particulièrement lorsqu’il s’agit de promouvoir son propre label qu’il lance en 2017. Mais le jeune homme reste toujours attaché à ses racines : la gare de sa ville natale, Casa Voyageur, donnera son nom à la jeune maison de disque. « Demain je m'envole direction Berlin pour jouer au About Blank... Le label a connu un succès si rapide ! Je suis tellement reconnaissant. Je ne remercierai jamais assez tous les gens qui ont rendu tout ça possible. » il nous confie, des étincelles pleins les yeux.

La bien nommée Mirage, dont il fait l’ouverture, était en partie orchestrée par ce dernier. Elle a notamment accueilli François X qui a clôturé cette première soirée avec brio sur une performance acid et deep techno enivrante. Dans un registre totalement différent Mall Grab a livré une prestation complètement ahurissante le dimanche matin en balayant d’une tornade electro trash et à coup de ‘Vous êtes des animaux’ le petit bocage de cette scène intimiste lotie au fond du site du Fellah. Un closing vitaminé à souhait !

Au-delà du Sahara

Et parce que l’avenir de la musique de la musique électronique se joue aussi en dehors des frontières du royaume, l’affiche était prévue en conséquence. Brosser large en dressant un beau portrait de l’avant-garde africaine : le défi est largement relevé avec la scène Mbari. Le continent est accueilli tout entier et à bras ouverts : en plus d’une scène à part entière consacrée, le Musée d’art contemporain africain Maaden (MACAAL), Art Comes First (ACF) et Marché Noir ont convergé à Oasis pour présenter un espace d’art collaboratif, accompagné d’une installation spéciale du collectif artistique Squidsoup. Un peu à l’écart, logée sous le préau d’une des dix villas de l’hôtel, la scène Mbari a rayonné d’une énergie sans pareil. Sur le mur qui borde le côté gauche de la petite estrade, un néon dessine d’un bleu vif les pourtours du continent africain. Une belle mise en lumière de ce qui s’y déroule juste en dessous.

Au-delà du Sahara, ce lieu de rencontre électrisant nous embarque dans les townships de Durban au son énergique du gqom, représenté par l’un de ses plus influents ambassadeurs, DJ Lag. On entendra aussi la pop mélodieuse et mélancolique du célèbre Sampha et sa voix envoûtante. Sans oublier le hip hop qui aura aussi sa place. Et pas des moindres, puisqu’un invité très spécial de dernière minute s’est glissé discrètement dans la timetable.

Rebondissement de dernière minute. Le samedi soir, pour le plus grand plaisir des puristes et à leur grande surprise, un remplacement improvisé nous amène un digne représentant du genre. Sous les visages admiratifs des spectateurs, un Mos Def tout sourire et vêtu d’une superbe djellaba fait son entrée fracassante pour une prestation aussi courte qu’intense. Un instant privilégié aux allures de concert privé qui ravira les happy few pour qui le bouche à oreille a bien fonctionné. Un moment plein de magie qu’on ne manquerait pour rien au monde...

Photo: © Benhale

Et de la méditerranée

Autre point d’orgue du week-end : le sans faute remarquable de DJ Bone sur l’éblouissante scène éponyme. La légende de Détroit a su largement honorer son statut à coup de breaks ultra rythmés entre grands classiques et titres contemporains. Après avoir embrasé le dancefloor avec le mythique ‘I feel love’, le selector d’exception balance un remix étonnant mais très habillement calé de ‘This Is America’. Placer Giorgio Moroder et Childish Gambino à seulement quelques titres d’écart, un choix audacieux, mais qui s’est avéré efficace.

Sur la Bamboo stage, Sonja Moonear a elle aussi su ravir les raveurs de la première heure en clôturant brillamment son set sur le monumental ‘Radioactivity’ du célèbre quatuor pionnier Kraftwerk. Du côté de la scène Oasis, on assiste un peu plus tard – et une fois que les esprits sont suffisamment échauffés et désinhibés par l'alcool – à une scène qu'on n'oubliera pas de si tôt : alors que retentissent les premières notes acid sur le sec et iconique kick de ‘Blue Monday’, les ressortissants britanniques se surexcitent aussitôt. Bras dessus, bras dessous, les pintes sens dessus dessous, ils sautillent et reprennent en chœur la main sur le cœur les paroles comme s’ils clamaient leur ‘God Save the Queen’ national. On se croirait dans les gradins d'un match de Premier League. Drolatique !

En revanche, ce sera une tout autre image qui restera dans nos esprits à l'issue de ce week-end de folie. Celle du set rayonnant de Jayda G à la tombée de la nuit, qui a brillé comme à son habitude par son talent de diggeuse soul et disco funk. En détournant le regard de la captivante DJ, on peut contempler sourires extatiques et regards émerveillés. Un beau tableau qui illustre admirablement l’énergie féerique d'Oasis. De quoi résumer parfaitement ces trois jours hors du temps.

Photo : © Sarah Pince

Dans un cadre exceptionnel qui lui donne cette aura si spéciale, Oasis participe à redonner non seulement à Marrakech – celle qu'on appelait autrefois en France « la ville Maroc » – son statut de capitale d’antan, mais parvient également avec brio à sublimer le rayonnement de la capitale culturelle à travers le pays et par-delà le royaume.

A nouveau sur le sol français, le retour à la réalité est rude. Le soleil chauffant et réconfortant de Marrakech a laissé place à la grisaille de Paris. La nuit s’estompe et se fond doucement dans une constellation de beaux souvenirs, encore emprunts d’épices et de jasmin. Un véritable conte où nous étions plongé·e·s trois jours et deux nuits durant, un doux songe dont on aimerait ne jamais s’éveiller…

– Sarah Pince

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