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Culture

Au Cap Vert, le hip hop est devenu une arme contre les problèmes sociaux

Les artistes réinventent le genre qui domine les charts du monde entier

  • Enquête : Yousif Nur | Photo : Christiano Barbosa
  • 5 August 2019

Un petit bus plein à craquer s’arrête devant l’after party aux environs d’une heure, un mardi matin. C’est un des lieux où se tient l’Atlantic Music Expo, un showcase du melting pot unique de cette partie du monde – un local commercial dont l’enseigne lit simplement ‘Warehouse’, situé aux franges de la banlieue de Praia, au Cap Vert. La salle ressemble à une baraque indéfinissable de l’extérieur, mais à l’intérieur c’est une énorme salle qui s’étale devant vous, ses murs blanchis à la chaux pouvant accueillir environ 500 personnes. Des lumières tamisées bleues et oranges viennent agrémenter le hip hop que des DJs locaux jouent sur des enceintes disposées aux quatre coins de la pièce, parsemé de jets de fumée d’une machine cachée près de la scène. La plupart des gens dansent : les autres discutent dehors près d’une fontaine à côté de l’espace fumeur. Aux platines, la figure locale DJ Danny Boy pousse des galettes de Cap vert et d’autres contrées alentour. Les client·e·s sur le dancefloor – certain·e·s en jeans-T-shirt, d’autres en tenues colorées aux motifs ouest-africains – balancent leur corps en hochant de la tête.

Praia est la plus grande ville de Cap Vert, pays constitué de 10 petites îles, à 300 km de la côte du Sénégal. Ce jeune état n’a gagné son indépendance du Portugal qu’en 1975 ; la majorité de sa population a moins de 40 ans. Le hip hop est un phénomène relativement nouveau ici : la jeunesse locale a le regard résolument tourné vers l’Ouest. Mais le Cap Vert a bien sa propre version bien à lui du genre. Pour commencer, plutôt que de parler crime, cul et bling, les artistes cap-verdien·ne·s préfèrent rapper sur les conséquences de l’addiction, leur société et les difficultés de la vie de tous les jours. À la différence du traditionnel set up micro-platine, c’est tout une configuration de groupe qu’on voit le plus souvent sur scène – pensez guitares électriques, basse, batterie et claviers. La scène est née dans les quartiers défavorisé de Praia comme Achada St Antonio, autour d’une éthique DIY : établir son propre studio d’enregistrement, booker ses propres shows, se promouvoir sur les réseaux sociaux.

Un exemple saisissant est celui de Ga Da Lomba, qui a appris l’Anglais en passant du temps aux États-Unis et en écoutant du rap. Le soir suivant, il s’apprête à jouer sur la scène extérieure nommée Santiago Cabo Verde. Il se décrit lui-même comme « un activiste social, artiste et rappeur » : il veut prévenir et sauver les jeunes des dangers de l’addiction en visitant des écoles pour parler de son propre combat avec la drogue, un projet social intitulé Nunca Experimentar.

« J’adore rapper à la première personne et j’utilise la musique comme véhicule pour aider la prochaine personne ou génération à rester loin des drogues », explique Ga Da Lomba. « J’adore rapper sur des choses importantes comme ce qu’il se passe dans la société. Et quand je dis aux gens sur scène que quelque chose ne va pas, ils peuvent essayer d’améliorer les choses en sortant. Je dis toujours que tu ne peux pas parler de toute la merde qui se passe dehors si tu ne fais pas le ménage chez toi d’abord. »

Arpentant la scène, Ga Da Lomba rugit ses lyrics à une audience majoritairement masculine, alors que les visuels de ses travaux caritatifs dans les écoles défilent derrière lui. Malgré le sérieux du sujet, l’atmosphère n’a rien à envier aux moshpits des soirées grime les plus fumeuses – la foule de jeunes hommes aux muscles saillants saute dans tous les sens au rythme frénétique de la batterie.

La foule qu’on retrouve devant l’artiste féminine Nissah Barbosa ne pourrait pas être plus différente. Barbosa – qui frappe depuis six ans et a aussi appris l’anglais en écoutant du rap – veut également raconter les problèmes sociaux de son pays par sa musique. « Non pas que nous avons des problèmes qui diffèrent des autres pays; par exemple, j’ai enregistré des chansons sur le harcèlement scolaire et l’expérience de l’adolescence », elle raconte. « Je pense aussi que j’ai ouvert des portes pour que d’autres rappeuses puissent suivre et émerger sur cette scène – il nous faut plus de filles, le hip hop porte encore beaucoup de discrimination envers les femmes ! C’est un gros challenge, mais je dois faire ma part. » D’une patte vocale similaire à Cardi B, Nissah a déjà tourné en Europe, avec des dates en Suisse, en France, au Luxembourg et au Portugal. Les États-Unis en ligne de mire cet été. Quand le groupe montréalais Qualité Motel nous demande plus tard ce jour-là si nous connaissons de bons MCs locaux, elle est la première recommandation qui nous vient à l’esprit.

Après un soundcheck rapide qui confirme l’alchimie, Nissah rejoint le groupe de cinq musiciens pour leur showcase prévu ce soir-là, pour le plus grand plaisir du jeune public rassemblé devant la scène Rua Pedonal, qui jette ses bras en l’air et hurle de joie quand elle commence à poser ses bars sur son dernier single ‘Pinga’, alors que les samples et l’electronica soutenue de Qualité Motel complémente parfaitement son flow habile. En face de la scène, des enfants s’essaient au break dance alors que des adolescentes hurlent les paroles, et des femmes de la génération précédente applaudissent en rythme derrière plusieurs rangées de jeunes appuyés sur la barrière qui sépare la scène du dancefloor.

« Quand même les enfants chantent en chœur sur mes chansons je me dis Mais quoi ? Comment c’est possible ?” » elle nous confie après le show. Un autre exemple de la passion des cape-verdien·ne·s pour leur vision de ce phénomène global qu’est le hip hop.


Initialement paru sur mixmag.net. Traduit de l'Anglais par @MarieDapoigny



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