Au Maroc, Atlas Electronic tisse un lien entre patrimoine millénaire et musique du futur
Une introspection culturelle du panafricanisme et de son avenir
Dans la chaleur de la nuit marocaine, aux alentours de 22h, la navette s’arrête aux portes de la Villa Janna. Une fois à l'intérieur, on découvre avec émerveillement un décor somptueux, digne d'un conte des Mille et une Nuit.
Il y résonne déjà les chants de “Houriyat", composition de cinq femmes spécialistes des chant houaris. Cette musique traditionnelle, qu’on entend habituellement dans les mariages, aborde ici des thèmes souvent proscrits, avec des paroles osées qui parlent du quotidien des femmes au Maroc. Chanter le houari est un devoir pour elles, et leurs yeux brillent de fierté lorsqu’elles évoquent le passage de témoin de génération en génération que représente leur musique. Les tissus ocres et indigos de leurs tenues volent au gré du vent, les ondes sonores parfois joyeuses, souvent mélancoliques, s’élèvent dans l’air et élèvent l'esprit et le corps des danseurs haut dans le ciel.
Plus d'une centaine d'artistes sont au programme. Et d’année en année, on remarque que l’Atlas Electronic Festival réaffirme sa volonté de promouvoir la musique locale et de favoriser les synergies entre artistes traditionnels marocains et artistes étrangers de tout bord musical. C'est vrai pour le public qui jouit d'une programmation diversifiée et exaltante, mais aussi pour les artistes eux-mêmes, prompt à l'échange, ce qui donne parfois naissance à des projets hybrides communs. On pense par exemple au singulier “Three Live Takes”, fruit de la collaboration entre le célèbre James Holden et le descendant gnaoua Maalem Houssam Guinia, qui mélange la musique nord-américaine d'origine berbère aux nappes électroniques de l’Anglais. propriétaire du label “Border Community”.
Outre des performances qui savent rendre honneur aux legs du passé, l’Atlas réserve son lot de surprise, et les musiciens de Tarwa N-Tiniri prennent désormais place d’un pas timide sur l’estrade réservée aux artistes. Ce groupe de jeunes berbères nous régale d’un “blues du désert” psychédélique sans pareil, à la croisée des mondes entre Afrique du nord et Woodstock. L’amphithéâtre aux reflets ocres et indigos bouillonne. Pur bijou du Sahara, les mélomanes aux oreilles aguerries seront tombés sous le charme du groupe, à tel point que vous pourriez bientôt trouver une sortie officielle de ce dernier sur le label portugais Mar & Sol l’année prochaine.
Kamaal Williams - crédit photo : Alexandre Gilles
Non loin du massif de l’Atlas et de ses 2 500 kilomètres d’étendues rocheuses, les centaines de festivaliers ont également eu le privilège d’assister à une représentation historique de Kamaal Williams, qu’on ne présente plus. Le prodige britannique du Jazz-fusion est venu cette fois-ci accompagné d’amis musiciens et offre un florilège de ses meilleurs titres ainsi que plusieurs improvisations endiablées. Les danseurs nocturnes jubilent, et les protagonistes poussent jusqu'au bout de la nuit.
Et la house n’est pas en reste. Après 2 heures d'ambiance jazz, deep et broken beat e sans-faute du fameux K15, Joaquin Claussell, dont les racines portoricaines et le vécu de Brooklyn ont contribué à façonner la musique de Chicago telle qu’on la connaît aujourd’hui, prend la foule à bras le corps et fait rugir les enceintes Funktion One. Le propriétaire des labels Spiritual Life Music et Sacred Rhythm offre un DJ set tonitruant sans concession qui ravit les fans de la première heure et fait gronder l’amphithéâtre.
En plus de la célébration musicale, Karim Mrabti, fondateur du festival, nous explique qu’il souhaite aller plus loin que l’organisation d’un simple événement axé sur le divertissement : « Nous souhaitons porter un véritable projet humain en mettant à disposition une plateforme qui permet aux marocains et à leurs homologues étrangers de partager et mettre en réflexion l’avenir du Maroc et plus largement du continent Africain à travers les thématiques de l'identité culturelle, de l’avenir de l’immigration et des nouvelles technologies. »
On peut effectivement contempler des œuvres exposées, visionner et assister à des conférences. Les salons marocains montés à ciel ouvert se remplissent au fur et à mesure que la nuit avance, et nous y croisons notamment Olfa Ben Ali, artiste visuelle et toulousaine d’origine tunisienne basée à Amsterdam exposant à l’Atlas avec son film “Under the clouds of Desert dreams”. Son travail s’articule principalement autour des médiums et de leurs manières de représenter les périodes du temps. Elle a par exemple pu collaborer avec Ai Weiwei lors de la création de son projet RE FUSE magazine, qui a vocation à détourner les codes du monde de la mode afin de les amener autour des problématiques sociétales du monde moderne.
Klara Rava, artiste olfactive espagnole basée à Berlin, d'habitude présente le plus souvent dans les galeries berlinoises (lors d'une récente collaboration avec Donna Huanca), propose ici aux visiteurs de passage de créer leurs propres senteurs en suivant des recettes créées pour l'occasion, autour de thématique liées à celles du festival : "equality, freedom, unity". Une initiative louable, quoiqu’on regrette un peu que les œuvres et les débats ne soient pas plus mis en valeur au niveau de l'environnement du festival.
Otim Alpha - © Vooruit
Une surprise de taille nous attend ensuite sur l’auditorium de pierre. Là, Otim Alpha et Leo P nous proposent une performance qui repose sur l’acholitronix: mélange d'acholi traditionnelle, habituellement réservé aux célébrations de mariage en Ouganda, et de musique électronique composée de boucles sonores à base de kicks lourds et de hihats déchaînés . La frénésie s'empare des festivaliers qui vont même jusqu’à investir la scène, mêlant le chanteur Otim à la foule, pas impressionné pour autant et qui continue de faire le show, agitant son costume de feuilles multicolores qui scintillent à la lumière des stroboscopes. Une part de l’avenir de la musique africaine se joue devant nos yeux, et nos oreilles. Prochaine étape de ce duo : le Nyege Nyege Festival en Ouganda en septembre prochain, à suivre de près.
Sur le toit de la Villa Janna, la performance de l’énergique Dollypran, trap locale, se termine. Boiler Room TV accueille désormais Hadj Sameer pour un set vinyl only. Français d’origine algéro-turque et ingénieur biomédical au CNRS de l’inserm, ce digger d’exception partage sa vie entre l'hôpital et les platines. Il nous offre une sélection à la fois intime et groovy, empreinte de ses influences UK mais aussi des plus grosses bombes de la deep house qui saura mettre tout le monde d’accord. Une fois la performance terminée, on est peu surpris d’apprendre que ce dernier jouera pour la première fois au mythique Trésor à Berlin fin octobre lors de la House of Waxx. Viens ensuite le tour de Polyswitch, marocain de Casablanca qui reste sur la même trajectoire proposant des sonorités house, deep-house et lo-fi.
Hadj Sameer - Boiler Room TV - © Alexandre Gilles
Enfin, le DJ set de Sebastián, responsable du label Mar & Sol et passionné de la culture musicale Palop, qui rassemble les musiques des anciennes colonies portugaises, nous enthousiasme par son amour du vinyle, ses connaissances sur le sujet et une track-selection de connaisseur. Musique capverdienne, angolaise, guinéenne, l'ambiance chauffe sur le dancefloor et les corps s'enlacent, plein d'amour.
Sebastiao Mar & Sol Records - © Alexandre Gilles
Si les artistes se produisent parfois avec du retard sur les scènes et que subsiste parfois un certain, déséquilibre entre les prestations, l'ambiance intimiste et singulière du festival rappellerait presque une grande fête de famille. Ce dernier propose un format unique qui bout de potentiel et ne demande qu'à grandir et se développer, moyennant un investissement soutenu et collectif de la part des différents acteurs.
Alors que les nuages formés par les vapeurs de narguilé gonflent le ventre des tentes à ciel ouvert, l'aube se lève sur l'Atlas Electronic Festival : l'événement touche à sa fin, comme si un rêve venait de s’achever sans que l'on ne soit plus certains de distinguer la magie du réel.
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Photo en une : Tarwa N Tiniri - © Photo Sandra Zegarra