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Fête

Château Perché, un festival hors des sentiers battus

On s'est pris une perche à Chateau Chep'

  • Reportage : Camille Darthout | Photo : © Romain Guédé
  • 6 August 2019

Au cœur d'un village du Nord de la région Auvergne-Rhône-Alpes s'est tenue la sixième édition du Château Perché, du 25 au 28 juillet 2019. Installé dans le splendide Arboretum de Balaine de Villeneuve-Sur-Allier, le collectif Perchépolis a renouvelé ses vœux de fête libre, iconoclaste et décloisonnée. Une capacité d'accueil sur site décuplée, un jour de plus au calendrier, 11 scènes et l’Amérique latine en invitée : nombreux étaient les challenges confiés à cette nouvelle saison.

Depuis son lancement en 2015, Château Perché creuse son sillon dans le paysage des festivals français et s’impose d’année en année comme un détour estival obligatoire. Curateur d’un conte pour adultes, Perchépolis fonde un concept qui mêle patrimoine historique et labels indépendants. Un succès né comme un petit miracle en ces temps de crise pour l’événementiel en France, confronté à la frigidité des préfectures, la surenchère des cachets d'artistes et aux normes difficiles à satisfaire. Un pied de nez au conservatisme, aux idées reçues et à la chasse aux fêtes menées sur le territoire français pour défaire bon nombre d’initiatives.

La curiosité serait un vilain défaut. Pourtant, on ne regrette pas le moins du monde d’avoir mis le nez dans l’expérience “Château Chép”.

Photo : Chateau Perché 2019, © Théo Petrignet

JOUR 1. 21h54

Le train est à quai, avec plus de 50 minutes de retard. La gare de Moulins ferme ses portes. Dans la nuit, des festivaliers chargés de leur tente et de leur sac de randonnée se regroupent sur le parking. Débute les échos de franches camaraderies, dans l’attente de navettes prévues pour faire la transition vers le festival. Elles n’arriveront jamais, bloquées dans un embouteillage à l’entrée. Il faudra avoir recours à des taxis.

La voiture est chargée. Serge tourne la clé dans le contact tandis que sa radio crache les positions et commentaires de ses collègues, agités. Ce soir, il y a du travail. En général, le coin est plutôt calme, c’était sans compter les nombreux événements musicaux qui prolifèrent dans la région.

« Je connais bien le Château Perché. L’an dernier, c’était au Château d’Avrilly. Vous savez dans la région, on ne manque pas de festivals. Moi je viens du Vercors, on a eu l’Hadra pendant un sacré bout de temps. Cet événement, je l’ai vu naître et partir. »



Serge n’est pas festivalier. Mais il est ravi que des événements d’une telle envergure prennent place dans sa région. Ils mettent en valeur le patrimoine et égayent des villages fuient par la jeunesse. Il est catégorique : Château Perché est un événement bienveillant et respectueux.

« Vous savez, dans la région, tous les propriétaires de châteaux se connaissent. Ce n’est pas un hasard si les organisateurs ont réussi à s’implanter dans l’un des plus beaux parcs botaniques de France cette année. De Chabanne, le propriétaire d’Avrilly, était très satisfait de l’édition de l’an dernier. On pourrait presque dire qu’ils ont rendu le site plus propre qu’il ne l’était à leur arrivée. »

Au fil de la conversation, les routes s’assombrissent. Dans un slalom de terre, au détour de champs, brillent les premiers phares. Une file de véhicules, qui n’en finit plus.

« C’est par là que je vais vous déposer. Vous avez de la chance, il y a moins de queue qu’il y a 1 heure. Vous rejoindrez rapidement le festival, peut-être en 30 minutes de marche. »

Les sacs sont lourds. Mais il vaut mieux être à pied. Des regards désespérés sont jetés par les fenêtres de voitures immobiles. « On attend depuis trois heures », lance un conducteur. Que s’est-il passé ? Des problèmes avec la commission de sécurité, qui délaye l’ouverture du camping et du parking. La sécurité est franchie. Plus rien n’importe. Place à la fête.

Découvrir un environnement de nuit à quelque chose de magique : chaque détail compte pour prendre ses repères. Un petit sentier ouvre sur l’arboretum. Deux scènes surplombent une grande prairie. La Plaine est une cabane en bois nichée sous un arbre duquel pendent tigres en peluches et guirlandes lucioles. Dans la foule, les costumes d’insectes, de mages, de princesses et autres créatures imaginaires brouillent les frontières du réel. Comme si, juste après avoir franchi cette entrée, un nouvel univers de possibles s’était ouvert.

La deep house de La Plaine met un coup de fouet. Mais l'appel de la forêt se fait sentir. Au détour de sentiers se cachent encore 10 scènes. Techno indus, trance, EBM, tech house, glitch, drum’n’bass : les genres y sont largement représentés. Il est important de souligner qu’au Château Perché, l’absence absolue de temporalité et d’obligations est immédiate et inévitable. En règle général, on peut éplucher la timetable minute par minute pour déterminer un planning de performances à ne pas manquer. Mais ici, le circuit est alambiqué, pensé pour la découverte et l’exploration. Flâner permet de débusquer une nouvelle scène ou simplement d’apprécier la multitude d’installations lumineuses et autres illusions d’optiques. Une baleine volante, un monstre des marécages, une mygale géante, des arches de LEDs à couleurs tournantes (et modulable par les visiteurs). Un seul objectif prévaut : se laisser porter par l’instant.

« J’ai dansé devant la scène trance pendant deux heures. En règle générale, je n’apprécie pas ce genre de musique. Mais ici, c’est l’instant présent, on tombe sur cette magnifique scène et on se laisse porter. Ça nous donne envie de vivre chaque moment au maximum, de découvrir tout ce que l’on peut. » explique Léo, qui assiste à sa seconde édition.

Pas d’a priori, pas de jugements. Pas d’heure non plus. Les scènes ferment de 13 heures à 17 heures. Quand la nuit s’arrête, la fête continue. Le sommeil n’existe plus.

JOUR 2. 11h46

Certains s’éveillent, d’autres prennent une douche. D'autres rentrent se coucher.

Le sentier a changé, il fait jour désormais. Là s’impose toute la magnificence du lieu. L’Arboretum de Balaine est un parc botanique et floral de plus de 20 hectares, créé en 1804. Classé monument historique, il est le plus ancien arboretum privé de France. Et l’un des plus fournis. 3 500 espèces et variétés de plantes y cohabitent.

Comment préserver un tel espace ? Le constat est agréable. Si l’organisation et les différents prestataires font un sans faute, c’est le public le plus surprenant. Serge, le taxi, avait vu juste. C’est un public respectueux. Il est midi, presque 16 heures que la musique tourne sans interruption. Inévitablement, des déchets jonchent le sol. Mais il y en a peu, comparé aux nombres d’heures qui ont vu piétiner les festivaliers. L’utilisation du cendrier de poche est une évidence. Peu de plastique importé, hormis quelques bouteilles d’eau vendues au bar. Sonnent 13 heures : les festivaliers se joignent aux bénévoles pour nettoyer. L’action est solidaire.

« J’adore être bénévole en festival, raconte Pia. Dans la vie, tu as toujours un petit coup de mou, alors ça me permet de me relancer et de rencontrer de nouvelles personnes. Il y a une très bonne ambiance entre les bénévoles au Château Perché, les effectifs sont nombreux et il y a beaucoup de soutien.»

La jeune femme décrypte le travail cornélien que représente la mise en place du festival. Château Perché met un point d’honneur à transporter les festivaliers dans un univers magique, hors du temps et de la réalité. Il faut 15 jours d’installation et quasiment autant pour le démontage.

Sous les bois, sans un bruit. Certains se blottissent dans des canapés anciens disposés de part et d’autres des chemins. D’autres sont affalés sur des tapis berbères à l’ombre des feuillages. Le vent fait écho à leur respiration apaisée, c’est le temps du repos.

Près du Dôme Blanc, un espace communautaire se compose de tipis, d’espaces bars et de tentes d’activités. Des dessins à regarder avec des lunettes 3D tapissent les murs étoilés d’une hutte. En face, dans une autre tente, se dresse un repère mystique. On y tire les cartes, s’y fait masser ou boit du thé. Idéal pour ceux qui ne veulent pas rentrer.

Le ciel se couvre, la soirée sera pluvieuse. Tandis que certains profitent d’une galette bretonne sur la plaine, d’autres prennent l’apéritif au camping. La musique s’arrête, la faute à la pluie. Personne ne sait à quelle heure les scènes seront rouvertes.

La nuit est tombée, les intempéries se calment. Les affaires reprennent. Peu d’artistes sont annulés ce soir là. Les sets sont écourtés ou transposés d’une scène à l’autre. Une organisation de dernière minute gérée individuellement par les collectifs invités sur chaque scène.

Anthony est ingénieur visuel de La Ronde Arborée. « On a dû reprogrammer le mapping au dernier moment après la pose de bâche pour protéger la scène. La pluie nous a mis des bâtons dans les roues, mais on s’en est plutôt bien sortis. On s’adapte. »

Des éclats lumineux psychédéliques et télescopés encadrent un immense insecte qui domine la scène. Rien ne laisse penser qu’Anthony et ses collègues de Ræve Lucide et One One Six ont dû gérer une situation de crise. Le public tape du pied dans les flaques, jusqu’au bout de la nuit. Près du château de l’arboretum, un coq fait écho aux beats techno indus du collectif Underdogs.

JOUR 3 - 14h28

Le camping. Près de la cabane aux falafels “Jungle food”, deux files d’attente s’entremêlent. D’un côté les affamés, de l’autre, les enchantés. Ces derniers viennent profiter des talents des deux maquilleuses qui ont installé leur tente entre deux food trucks. Masques celtes ou marques ethniques, les couleurs et les paillettes pigmentent les visages. Ici, les festivaliers s’abritent de la bruine constante en profitant de la musique.

Rouge et noire, sulfureux et érotique, l’espace confié au collectif berlinois Nacked Jacket offre un spectacle original et inattendu. Harnais, café coquin, salle de torture, un cocktail digne des dark rooms allemandes, auxquels s’ajoute une sélection musicale décadente et agressive. Techno. Un groupe de danseurs se lance dans un battle bon enfant. Ils laissent place à la troupe d’interprètes germaniques de Hungry Money, une pièce de danse charnelle et effrayante. Dans la brume, la techno repart.

De nombreuses scènes ne peuvent pas ouvrir à cause des intempéries. Le Lavoir D’antan, scène du collectif allemand Wuza (invité pour la troisième année consécutive) est bondée. La lune est pleine, la pluie est forte. L’énergie du public, la puissance du set melodic techno de Raphael Hofman n’y font rien. Sous des torrents d’eau, le public découragé part s’abriter. La nature aura raison de ce samedi soir.

Il est 4 heures. La pluie s’est arrêtée, le camping s’agite. Sortent des tentes les plus aguerris. Le site est atrophié. L’équipe de l’organisation brave les intempéries. Château Perché évite de peu une évacuation d’urgence. Les festivaliers peuvent désormais rattraper le temps perdu sur le dancefloor.

JOUR 4 - 10h12

Gueule de bois générale. La boue est partout. Les corps sont sales, les vêtements usés. Le soleil est revenu, la chaleur vient progressivement mordre les visages. Comme une revanche sur cette nuit apocalyptique, le site se rempli et les festivaliers frustrés puisent dans leurs dernières ressources d’énergie.

Une fanfare s’installe sur La Plaine. C’est Technobrass, une curieuse bande qui mêle le chant des cuivres aux beats techno. Leurs mélodies apaisent, puis la nostalgie s’installe. Dans un ultime souffle, le public glisse un regard mélancolique sur l’Arboretum de Balaine.

« C’était donc ça, l’expérience du Château Perché. » Un festival encore jeune, mais une équipe qui va au bout des choses et parfois même à la limite du possible. Un festival construit autour d’un rêve, un rêve construit en équipe. Un événement où règne un respect et une convivialité à toute épreuve. Une diversité musicale qui puise dans des genres niches et méconnus. Une énergie d’acier. Un décor époustouflant. Un public qui respecte les lieux et les codes, qui contribue à mettre en avant le travail artistique remarquable des équipes. Il y a eu des journées très longues, et des nuits trop courtes. Il y a eu des erreurs, il y a eu de la malchance.

Au delà des conventions, Château Perché s’est imposé par sa vision. Une vision qui met l’expérience du festivalier, le moment vécu, avant tout le reste. Espérons même, avant sa propre ambition.


@Camille_Darthout



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