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Comment l’ecstasy est arrivé dans les raves européennes en 1988

Un moment palpitant pour la jeunesse

  • Mike Power | Illustrations : Lawrence Abbot
  • 7 August 2019

C’est la question Banco du jeu des 1 000€ dans un K-hole : qu’est ce qui unit un chimiste hippie, Margaret Thatcher, un culte de l’amour libre en Oregon, le foot européen et les Happy Mondays ? La réponse est l’ecstasy.

Voici pourquoi. Au Royaume-Uni début 1987, dans la plupart des villes les clubs étaient de sombres repaires de violence, de harcèlement sexuel et de musique horrible. Une époque où Hofmeister s’en sortait en vendant des cannettes de bière dégueulasse à 3%. À tous niveaux, les temps étaient désespérés.

Pourtant, un à deux ans plus tard, des dizaines de milliers de jeunes Britons anciennement coincés – même ces hooligans de footeux hétéros – étaient en extase, en train de se sauter dans les bras en dansant jusqu’à l’aube sur de la house dans des champs, des carrières, des warehouses, des clubs et des caves.

Alors qu’est ce qui a provoqué un tel changement ?

La réponse, bien sûr, se trouve dans l’afflux d’une nouvelle drogue : l’ecstasy, et une nouvelle contre-culture, l’acid house. Mais d’où venaient ces drogues ? Quelle étrange coïncidence les ont portées des laboratoires d’une boîte pharmaceutique en 1912, où elles ont été synthétisées pour la première fois comme agent coagulant, aux recoins sombres de l’Hacienda en 1988, ou aux mythiques soirées Shoom de Danny Rampling dans un club de gym près de London Bridge en l’espace d’une année ?

Tout dépend jusqu’où vous voulez remonter, mais il semblerait qu’un bar de Wasco County, Oregon vers 1984, soit un point de départ valable. Un chef de secte, Osho – Bhagwan Shree Rajneesh, qui a fait l’objet d’un documentaire Netflix ‘Wild Wild Country’ – dirigeait alors un groupe de disciples autour d’un culte de l’amour libre nommé les Sanyassin, qui vivaient dans un ranch sur les collines, vêtu·e·s de robes oranges. Amour, chant, danses frénétiques et croyances délirantes étaient de mise.

La MDMA avait été utilisée aux États-Unis par les psychiatres progressifs dans les années 70 et 80, dans le cadre des thérapies de couple. Elle avait été re-synthétisée par le chimiste pionnier des psychédéliques, Alexandre Shulgin à la fin des années 60. La drogue s’est échappée du sofas des psys pour se retrouver sur les dancefloors du club Strack de Dallas, où elle était vendu légalement au bar en 1984. Elle est ensuite passée du Starck à la commune d’Osho après avoir déclarée illégale aux Etats-Unis en 1984, et a ensuite déménagé à Ibiza avec les Sanyassin, racontent les initiés.

Car les membres du culte ont fui leur commune suite à une attaque sanitaire : la même année, ils ont contaminé plusieurs buffets de salade de l’état avec de la salmonelle, dans une folle tentative de faire baisser la participation aux élections locale et faire remporter davantage de vote à leurs candidats.

Le hasard fait bien les choses : au milieu des années 1980, de nombreux jeunes – en particulier celles et ceux issu·e·s des centres urbains paupérisés de Manchester et Liverpool à l’époque Thatcher, voyageaient en Europe pour se faire un peu d’argent, assister aux matchs de la coupe d’Europe, et échapper à la morosité ambiante.

« À l’époque tu pouvais avoir un prêt d’urgence des services sociaux pour acheter une cuisinière, un lit ou des chaussures, un costume pour un entretien d’embauche », se souvient un de ces anciens voyageurs. « On encaissait juste les chèques pour se faire la malle à Ibiza », il rigole.

À l’époque, Ibiza offrait encore la perspective de verres pas chers, de loyers abordables et d’une vie facile pour ceux qui étaient plutôt habitués à vendre du hash dans les mauvais quartiers de Manchester.

« J’étais à Amnesia et je regardais Alfredo jouer, complètement défoncé à l’E en 1988 », se souvient un ancien raver. « Tout ce que je voulais, c’était faire essayer ça à tous les gens que je connaissais. Je dois avouer que je me suis un peu embarqué. Je pensais que ça allait changer le monde. Rendre les choses plus justes. Tous nous rassembler un peu. »

Les Sanyassin ont rapidement créé des chaines de distribution, des labos des chimistes hollandais vers Ibiza, Londres, Liverpool et Manchester.

C’est là que la piste doit délibérément rester un peu vague, pas seulement parce qu’elle implique des activités criminelles, mais aussi parce qu’au moins trois différents groupes de personnes revendiquent avoir amené l’ecstasy au Royaume-Uni pour la première fois.

En septembre 1987, quatre DJs des clubs et radios-pirate de Londres – Nicky Holloway, Paul Oakenfold, Danny Rampling et Johnny Walker – prenaient de l’ecstasy pour la première fois avant de retourner à Londres pour organiser des soirées, d’abord Shoom puis Heaven (cela-dit, ces organisateurs et DJs n’étaient pas impliqués dans le trafic de drogue).

Les drogues étaient vendues au grand jour dans les deux clubs par plusieurs équipes qui disent avoir acheté les cachets à des criminels hollandais et les avoir ramenées en Grande-Bretagne par ferry – c’était bien entendu une ère lointaine, avant l’arrivée des caméras de sécurité.

« On passait par Calais en voiture avec 10 000 cachets dans le coffre, dissimulés dans des bouteilles de vitamines. Personne ne savait rien de l’ecstasy. La police n’avait aucune idée. De toute façon on s’en foutait », m’a raconté un dealer. « Une fois que les grosses raves du périph’ ont commencé, mais on a dû arrêter quand les gangsters old-school de Londres ont repris le dessus ».

Un groupe proche des Happy Mondays ont fait passer une cargaison de plus de 15 000 cachets au Royaume-Uni depuis Amsterdam fin 1987, et ces derniers ont alimenté l’explosion de l’acid house au Nord du pays, selon une source proche du groupe qui a pris part à l’opération. Ces amis des Mondays ont commencé à les vendre dans une alcove près des enceintes de l’Hacienda qu’on nommait le “E corner” (« coin ecsta »).

Un troisième groupe d’utilisateurs-consommateurs de Manchester m’a raconté avoir ramené 200 cachets des États-Unis en 1987. Ils disent que les cachets ont été distribués comme l’eucharistie dans un club gay de Manchester, Stuffed Olives.

Beaucoup réclament ainsi la couronne de l’ecstasy, mais il est peut-être plus romantique de laisser le mythe originel de la culture rave entouré de son aura de mystère.

Pendant ce temps dans les clubs, les coupes de cheveux courtes ont rapidement été remplacées par des mèches hippy et des vêtements larges, des pyjamas de soie ont même été repérés dans les recoins les plus étranges de la vie nocturne mancunienne. La bande-son de toute cette effervescence était toute aussi bizarre et radicale : l’acid house.

« Il y avait tellement de trucs nouveaux géniaux qui arrivaient de Chicago et Détroit toutes les semaines », se souvient DJ Graeme Park, qui mixait cet été-là à l’Hacienda avec Mike Pickering.

« On passait des disques parfois sans savoir l’effet qu’ils allaient avoir. Ça pouvait être un roulement de batterie, ou un riff acid, et le club explosait. C’était dément. Puis on se regardait en pensant: ‘Mais qu’est ce que c’est que ce truc? On savait que quelque chose d’incroyable était en train de se passer. C’était le début d’une ère nouvelle. On sentait qu’on faisait partie de l’audience. On était une part du même tout », dit Park.

Aujourd’hui, on vend de l’ecstasy sur les marchés du darknet à des clients par le biais des crypto monnaies, du wi-fi et du cryptage. Rien de tout ça n’existait dans l’Angleterre de Thatcher en 1987.

Mais tout comme la technologie, la musique et la culture peuvent évoluer, la drogue qui se trouve derrière change aussi : l’ecstasy est plus fort, moins cher et plus populaire qu’il ne l’a été en 30 ans d’histoire en ces contrées hédonistes, inégalitaires et divisées qui sont les nôtres.


Mike Power est l’auteur de Drugs 2.0 et un contributeur régulier à Mixmag. Suivez-le sur Twitter.
Initialement paru sur Mixmag.net. Adapté de l’Anglais par @MarieDapoigny



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