En bref
Goldie B décortique les couleurs de la nuit
‘Who Says the Night’s for Sleeping’ un EP hommage à la scène 90’s breakbeat
D'après Bonnie aka Goldie B, la musique qu’elle compose plane au-delà des clubs. Si ses drums paraissent ciselés pour le dancefloor, ses accords lumineux évoquent ces matins mauves où l’on reste suspendu à l’euphorie de la veille. Son dernier EP intitulé ‘Who Says the Night's for Sleeping ?’ et paru chez Pont Neuf Records, a été imaginé comme la BO d’un rêve lucide, une suite morcelée de rushs tantôt doux, tantôt cinglants. L’ensemble nous plonge avec nostalgie dans le 90’s breakbeat, une époque que l’artiste a inlassablement diggée.
"(...) j’ai besoin que ce soit à la fois lyrique et jazzy, beau et cinématographique ”
Harmonie lubie
Pianiste classique et jazz de formation, Bonnie Mbala prétend qu’elle ne sait pas faire de dance music. Pourtant ses breaks fins et pêchus disent le contraire, mais l’envie de poser des harmoniques dans ses tracks l’obsède, nous confie-t-elle. “Dès que je mets sur un piano, je ne peux pas m’empêcher de jouer des progressions d’accords, d’ajouter des septièmes, des sixtes, des neuvièmes, des accords diminués… j’ai besoin que ce soit à la fois lyrique et jazzy, beau et cinématographique.”
Productrice, DJ et cofondatrice du label marseillais Omakase, Goldie B a d’abord pris goût à la MAO en triturant des synthétiseurs. Avant ça, c’était sa mère, grande férue du trip hop, qui l’a nourrie de Tricky, Kid Loco et Radiohead toute son enfance. Elle garde de cette époque le goût pour les grandes nappes et les basses ronronnantes. En témoigne la track d’ouverture de l’EP 'The Space Between' qui convoque aussi bien les paysages éthérés de LTJ Bukem que de Moby. Aussi mordue soit-elle de samples bien taillés et de kicks qui cavalent, Bonnie ne jure que par son synthétiseur Nord Stage, son “meilleur pote.”
Elle raconte volontiers les yeux rieurs comment cet été encore, alors que des incendies ravagaient son quartier de l’Estaque à Marseille, l’approche des flammes l’avait poussé dans ses retranchements. “Je crois que ça a été la plus grande crise d’angoisse de ma vie. Je me suis demandé: qu’est ce qu’il faut que je prenne? Là, il faut évacuer. Je me suis mise à chialer et je suis allée chercher mon Nord Stage et mes chats. ” Sa maison restera indemne, son sens des priorités aussi.
"J’ai un attachement aux couleurs qui est très ancré"
Colorimétrie
Bien plus qu’un torrent de breaks, Bonnie s'est vouée à rendre son EP chromatiquement vivant. Dans son morceau 'Purple FX', à la basse grasse et dégringolante, on imagine volontiers une déferlante de gyrophares rouges et bleus. “J’ai un attachement aux couleurs qui est très ancré. Le violet par exemple, c’est la couleur de la nuit, du rêve, du mystique. ”
'Snakes Waves', la track suivante, offre une bassline sinusoïdale et des legatos lumineux “à la Leon Vynehall ”. Certains y verraient du rose bonbon, d’autres la couleur or. C’est tout le jeu de la chroméstésie, ce phénomène que l’artiste adore, qui consiste à associer librement une couleur à un son.
Lors du processus de création, il arrive souvent à Bonnie de muter ses drums pour mieux visualiser ce qu’elle produit. Une fois les marqueurs rythmiques retirés, il reste une narration limpide, souvent plus émotive. Elle appuie ses propos sur l'édition drumless du mythique 'Random Access Memories' des Daft Punk.
“Sans la section rythmique, les morceaux racontent complètement autre chose, et c’est tellement beau! ”
Un film hommage
Pour Goldie B, “ il n’y a pas besoin d’un kick droit pour danser ”, mais pour une productrice hyperactive de son calibre, au débit de parole environnant le 160 bpm, il fallait une fondation solide pour tenir la cadence. L’esthétique rave UK lui est apparue comme une évidence.
Depuis deux ans, elle sillonne les tréfonds de discogs, notamment du label Marine Parade, soucieuse de produire un EP qui serait “un film hommage” aux artistes originaux de la scène breakbeat. À ses yeux, la composition demeure indissociable d’un certain devoir de mémoire, et d'humilité aussi. “Aujourd’hui, c’est facile de produire un track, ça ne nécessite plus d’avoir autant de connaissances. A l’époque on enregistrait et montait les sons sur bande magnétique (jusqu’au début des années 1990). Rien que ça ! Je pense que c’est important de ne pas oublier ce taf incroyable, et de le raconter. C’est édifiant.”
Propos recueillis par Iona Bermon
Crédits photos : MBKONG NAIRI / TITUS LACOSTE
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