
Interview – Zaatar dévoile The Sound of Z et met sa voix au cœur du club
Zaatar fusionne sa voix et les genres dans un nouvel EP hybride
Il y a des artistes qui suivent une voie toute tracée et puis il y a Zaatar, productrice et artiste belgo-marocaine basée à Lille, qui s'affirme par ses choix artistiques audacieux. Nourrie par ses voyages, ses origines marocaines, belges et suisses, elle revient aujourd’hui avec un nouvel EP ‘The Sound of Z’.
Avec ce nouveau projet, Zaatar franchit un cap dans sa carrière et se jette dans l’arène sans label, sans filet, mais avec la ferme intention de révéler sa vision singulière de la musique.
L’EP est une balade à la fois nostalgique et sombre à travers des titres ou la rugosité de l’EBM, le spleen du post-punk et la vitalité de la New Beat s’entrechoquent dans un équilibre magnétique. Comme le suggère son titre, Zaatar nous ouvre son univers par sa voix : cris, spoken word, textures abrasives, elle revendique une ambiance brute et pénétrante.
Deux collaborations viennent renforcer l’intensité de l’EP. VBK, co-fondatrice avec Zaatar du collectif FLINTA Laisse tomber les filles et figure de la techno mentale, déploie ses textures hypnotiques sur le titre ‘Magdalena Sauvage’. De son côté, Kalyug Citizen, ancien chanteur de metal, injecte toute sa puissance vocale dans le morceau ‘We Tried’. En somme, The Sound of Z est une véritable déclaration artistique et cathartique : un cri de rage.
Suivons l’artiste dans les coulisses de son EP, où elle nous révèle comment elle mêle ses influences post-punk, sa voix et son authenticité dans ce nouveau projet.
J’ai mis du temps à comprendre que mon univers n’était ni house, ni techno
Qu’est-ce que tu veux affirmer à travers cet EP The Sound of Z ?
The Sound of Z, c’est une manière d’affirmer que je refuse d’entrer dans les carcans de la musique de club. J’ai mis du temps à comprendre que mon univers n’était ni house, ni techno, même si ces genres dominent la scène. Pour moi, ils sont une base, un socle, sur lequel j’ajoute mes propres touches : electro clash, new beat, EBM… Ce mélange me permet de créer un espace hybride qui a sa propre identité.
Comme le montre le titre de ton EP, tu utilises ta propre voix… Pourquoi était-ce important ?
La voix est le cœur de mon projet. Si ce n’est pas la mienne, ce sont des samples que j’enregistre moi-même. Je trouve que les banques de samples sont souvent trop lisses, trop génériques. Dans les années 90, il y avait plus de chaleur, plus de grain dans les voix. En utilisant la mienne, je cherche justement ça : une texture roots, imparfaite, mais personnelle, qui donne à chaque morceau sa propre identité.
Tu mélanges EBM, post-punk et musiques de club. Comment trouves-tu l’équilibre ?
Ce n’est pas toujours facile, mais j’ai une chance : je suis DJ et je peux tester mes morceaux directement en club. Assez vite, je sais si un track a ce qu’il faut pour fonctionner : un kick-basse solide, des percussions qui groovent, et souvent un drop puissant. Mais dans cet EP, certains morceaux s’éloignent volontairement du dancefloor, comme “We Tried” centré sur la voix, ou “Times with T”, qui agit plus comme une parenthèse nostalgique qu’un banger de club. J’aime justement osciller entre efficacité et émotion.
Tu as collaboré avec VBK et Kalyug Citizen. Comment ça s’est déroulé ?
Avec Kalyug Citizen, c’était la première fois. On a travaillé à distance : je lui ai envoyé une prod assez simple, il a improvisé des vocaux en yaourt, et on a tout de suite senti un potentiel. Ensuite, on a construit le thème de “We Tried”, cette relation qui échoue mais qui mène à une forme d’acceptation.
Avec VBK, c’était totalement différent : on a produit ensemble en studio, le soir du nouvel an. Elle a pris en charge les percussions et les FX, pendant que je travaillais les synthés et les voix. Chacun avait son rôle, et c’est cette complémentarité naturelle qui a fait la force du morceau “Magdalena Sauvage”.

Le rôle de l’artiste, c’est de faire danser, mais aussi de provoquer quelque chose de plus profond.
Dans la scène électronique actuelle, penses-tu qu’il reste de l’espace pour surprendre ?
Oui, mais il faut le faire avec subtilité. C’est un peu ma ligne directrice : surprendre sans perdre le public. Mes sets et mes prods ne sont jamais lisses, j’essaie toujours d’apporter une aspérité, une émotion inattendue. Le rôle de l’artiste, c’est de faire danser, mais aussi de provoquer quelque chose de plus profond. Si je faisais uniquement du concert, je pousserais l’expérimentation encore plus loin. Mais en club, mon défi, c’est de maintenir le groove tout en créant des zones de surprise.
Quelle est ta relation à la nostalgie ?
Je croyais être nostalgique, mais en réalité pas tant que ça. Je n’ai pas grandi dans l’âge d’or de l’EBM : j’étais trop jeune et au Maroc, ce n’était pas ce qu’on entendait à la radio. Si j’étais vraiment nostalgique, ce serait plutôt pour la house 90s, que j’ai connue de près. Mais ce que je cherche, ce n’est pas le passé : c’est l’authenticité. Dans certains tracks des années 90, il y a un vrai caractère, une rugosité que je retrouve rarement dans les productions actuelles trop lissées. C’est ce grain que je vais chercher.

Une musique joyeuse, c’est agréable et c’est léger ; une musique sombre, c’est profond, et ça reste en mémoire.
Ta musique peut être perçue comme sombre, mais reflète-t-elle réellement ta personnalité ?
Pas directement. Mes parents ont été surpris quand ils ont entendu mes morceaux, parce qu’ils ne reflètent pas la personne qu’ils connaissent. Je ne suis pas forcément dark en apparence. Mais pour moi, la noirceur est plus porteuse d’émotion que la joie. Une musique joyeuse, c’est agréable et c’est léger ; une musique sombre, c’est profond, et ça reste en mémoire. Je préfère cette profondeur.
Quand tu fais de la musique, tu penses d’abord à toi ou au public ?
Les deux, forcément. Le fait de tourner tous les week-ends fait que le public est toujours présent dans mes pensées. Je réfléchis beaucoup à l’impact que ça va avoir sur eux. Mais pour cet EP, j’ai vraiment voulu me faire plaisir avant tout, aller chercher des influences qui me parlent, et ensuite seulement les traduire pour le public. C’est un équilibre fragile, mais essentiel.
Avec The Sound of Z tu as passé une étape, à quoi ressemblera la suite ?
Cet EP a marqué un tournant : je l’ai sorti sans label. J’ai dû me jeter à l’eau et me faire confiance, et ça a été décisif. Maintenant, je veux pousser encore plus loin l’hybridation : continuer ce mouvement de pendule entre le club et le concert, entre la danse et l’émotion. Je ne cherche pas un équilibre parfait, mais la surprise. C’est ça qui m’anime.
Crédits photo : SAMUEL NOGUES