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Humeur

“Dans tes dents, le purisme techno“: Le retour du gabber

Le genre le plus hard de la musique club est en pleine renaissance. Voilà pourquoi.

  • Michelangelo Matos | Photo: Ewen Spencer, ‘The Hardcore Soul Book’ | Mixtape : Gabbereleganza.com
  • 18 July 2019

En juillet 2013, j’étais à Tomorrowland à Boom, en Belgique. Je rédigeais un article rétrospectif sur la musique électronique et je voulais interviewer Marc Acardipane. Considéré par certains comme le premier artiste techno hardcore – son track signé sur Mescalinium Unités ‘We Have Arrived’ a eu l’effet d’une bombe H en 1991 – Acardipane et consœurs (son propre label PCP, d’autres comme Mokum et Rotterdam Records) avaient une influence particulièrement importante sur la scène du Midwest dans laquelle j’avais grandi.

Au final, sa performance n’a été que d’une demi-heure sur une toute petite scène à l’écart du reste, à la fin de la dernière soirée – un peu comme booker Belleville Three pour jouer dans la baraque à frites du festival. J’ai continué à demander à lui parler, alors que les intermédiaires souriants faisaient semblant de ne pas entendre. Trois mois plus tard, ID&T, la société de production derrière Tomorrowland – ainsi que les organisateurs de soirées hardcore hollandaises Thunderdome – se vendaient à un gros conglomérat américain sans cervelle, à qui il faudrait moins de trois ans pour sombrer (elle est désormais entre les mains plus sûres des frères belges Manu et Michiel Beers).

Aujourd’hui, l’« EDM » survit principalement dans l’esprit désemparé des cols blancs de l’industrie musicale américaine, qui après toutes ces années,le couteau sous la gorge n’arriveraient toujours pas à faire la différence entre happy hardcore et deep house, alors que le hardcore hollandais connaît un nouvel âge d’or. Le gabber s’est fait supplanter par une forêt d’alternatives dont on trouve un aperçu à Thunderdome, ces soirées fondées en 1992, qui ont fait faillite juste avant la vente d’ID&T, relancées ensuite par des fans de la première heure (l’édition 2019 prend place le 26 octobre à Utrecht). La présence du hardcore n’avait pas été aussi proéminente sur la scène club depuis les années 90.

Ah, les années 90. Ce qu’on reprochait alors au gabber, c’était son côté répétitif et la difficulté de l’écouter sur de longues périodes. Mais une poignée d’enregistrements cassettes de l’époque, somme toute assez difficiles à écouter, sont du moins très révélatrices. Lenny Dee de Brooklyn a fondé Industrial Strength, un des labels fondateurs du gabber. Son ‘Live at Universe, Big Love’ sorti en août 1993 est une démonstration de verve qui condense 31 tracks en 45 minutes de set, avec les pauses pour le MC. Le point culminant est bien son track ‘Fuckin’ Hostile’. Son ‘Live At Open, Frankfurt’ (janvier 1994) est peut-être encore plus dingue ; comme l’indique la tracklist de Dee, « Gabber up your ass (your ass, your ass, your ass !) ».

L’homologue de Dee sur la côte Ouest est Ron D Core, dont le ‘Angel Of Death’ (1995) – la moitié d’une mixtape partagée avec Dan Efex – incluait une version frapadingue du thème de Dating Game de Herb Alpert. Le message était clair : prends ça, le purisme techno.

C’est à l’été 95 qu’à la surprise générale, le gabber est brièvement devenu un phénomène pop : ‘I Wanna Be a Hippy’ de Technohead caracole alors trois semaines au sommet des charts en Hollande et le fondateur de Rotterdam Records Paul Elstak passe sur le plateau de Top Of The Pops. Mais alors que le set d’une demie-heure d’Elstak, ‘Rezerection: Nightmare’ (juillet 1995), la soirée qui a amené le gabber à Londres, verse en effet dans le happy hardcore, celui-là même qui a progressivement façonné l’identité du label, il est plus étourdissant qu’écœurant : de méchants tracks saupoudrés de samples de Public Enemy pour la génération Ren & Stimpy.

C’est une atmosphère différente qui semble alimenter la soudaine renaissance du gabber et du hardcore. Même le milieu club est désormais dans un état d’esprit apocalyptique et avec l’apparition de l’EBM, de l’indus, du dark wave, du goth et du noise dans les DJ sets du monde entier dernièrement, ce n’était qu’une question de temps avant que l’équivalent techno du heavy metal ne rejoigne la mêlée.

En février 2018, Resident Advisor a publié une histoire de Thunderdome accompagnée d’un podcast de 3 heures concocté par The Outside Agency. En juin de la même année, le DJ berlinois, auteur et archiviste Alberto Guerrini alias Gabber Eleganza a lancé son show mensuel sur Rinse FM. Et en janvier cette année, Boiler Room a lancé sa série hard dance : le set de FKOFF1963, de São Paulo au Brésil, fait l’effet d’une tondeuse à gazon qui vous parcourt le crâne.

Ce regain de visibilité vaut aussi pour Acardipane. Son retour avec l’album produit sous l’alias techno The Mover, Undetected Act From The Gloom Chamber, tombé en mars 2018. De nombreux DJs internationaux, de Blawan (Essential Mix, mai 2018) à Helena Hauff (Flow Festival, Helsinki, août 2018) en passant par Veronica Vasicka (RA.663, février 2019) et Ben Klock (Time Warp, avril 2019) ont playlisté ses morceaux.

Mais pour entendre Marc au top de sa forme, il suffit d'aller écouter son set Boiler Room ‘Hard Dance NYC: Spinoff Gabber’ enregistré en avril dernier. Le track d’intro, ‘9 mm Is A Classic’ (signé Ace The Space, un autre alias d’Acardipane) mixé avec ‘We Have Arrived’, est comme le gros câlin dégoulinant d’un vieux pote aux yeux fous, et un peu plus tard dans le mix il salue ses pairs avec une séquence complètement décomplexée – Aphex Twin - ‘Come To Daddy’ > ‘Slaves To The Rave’ d’Inferno Bros. C’est absolument énorme. Et on se rend compte qu’il ne plaisantait pas : hardcore will never die.


Michelangelo Matos est contributeur régulier à Mixmag, suivez-le sur Twitter.

Initialement publié sur mixmag.net. Traduit de l'anglais par @MarieDapoigny



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