Astropolis ‘19: 25 ans de fête à échelle humaine célébrés dignement
Sets d’exception dans un cadre magique, sublimé par une météo exceptionnelle
Cette année, le doyen français des festivals électroniques a célébré ses noces d’argent. Loin de la folie des grandeurs, Astropolis nous rappelle l’importance de la fête à échelle humaine. À l’ère des festivals XXL en quête de scénographies toujours plus massives et de têtes d’affiche aussi convoitées que redondantes, le rassemblement annuel d’initiés sur la pointe bretonne reste fidèle à l’esprit des origines et se pose en digne gardien de la fête libre comme on l’apprécie : chaleureuse et avec le petit grain de folie des évènements dont on se souvient longtemps.
En s’enfonçant dans le bois de Keroual, on ressent une sorte de magie inexplicable. Les rayons du soleil percent les arbres centenaires au feuillage luxuriant et font scintiller l’herbe dans un bain de lumière douce. Respect pour le lieu : le manoir a vu naître et grandir Louise Renée de Penancoët de Keroual, connue pour avoir avoir été la maîtresse du roi d’Angleterre Charles II, espionne envoyée en Angleterre par Louis XIV.
C’est de nos jours une histoire bien différente qui se déroule devant ses vieilles pierres. L’aristocratie a laissé place à la liesse populaire. Et pas n’importe laquelle ; celle du « peuple ki danse ». C’est lorsque la lumière naturelle tombe et laisse place à celle colorée et artificielle des spots, que la fête bat son plein. La tombée de la nuit libère l’esprit de la teuf, qui se réveille à mesure que le soleil se couche.
Alors, la scénographie se révèle peu à peu, éclairant et habillant de manière subtile le cadre pittoresque aux couleurs de la fête. « Rave Up ! » peut-on lire, projeté sur ces arbres qui recevaient il y a quelques heures les rayons du soleil. Le ton est donné.
Parti d’une bonne intention – celle de pouvoir profiter pour la première fois d’un vendredi soir à ciel ouvert plongés dans la féérie de Keroual – le Wild Palace propose une mise en bouche au goût toutefois un peu fade. On relèvera quand même la prestation de Max Cooper, prenante et cristalline teintée d’ambient, house et de trance. L’a succédé sur la scène de l’Astrofloor Arnaud Rebotini, dont le live de la B.O. oscarisée de 120 Battements par Minute a n’a pas tellement brillé. Statique derrière ses rangées de synthés, celui que la presse surnomme le « colosse » a présenté un live un peu pantouflard, illustré d’extraits du film projetés en fond visuel. Le petit plus qui a su quand même faire la différence : un accompagnement de cordes, dont une harpe et un violoncelle, qui a permis d’injecter plus de corps à la performance.
À renfort de voix criarde et bande-son digne d’un teen movie, Kap Bambino a clôturé cette première soirée sur le site du Keroual avec un cocktail discordant de Sexy Sushi et Crystal Castle – groupe que certains connaissent pour son apparition dans la BO de Skins.
De l’obscurité du bois, on passe le lendemain à la chaleur d’un après-midi sous un soleil cuisant ; le climat brestois peut parfois réserver de bonnes surprises. Face à la mer azur, au contact de son air doux et iodé, le Beau Rivage – en collaboration avec les Québécois du Piknic Electronik – nous a offert une mise en jambe ensoleillée, bon enfant, sur la pelouse du charmant jardin du Château de la Marine.
Un fort médiéval à droite et une mosaïque de conteneurs sur le port industriel à gauche, ce petit coin à l’ombre des pins réserve un paysage typiquement brestois. Une belle carte postale qui prend vie avec un rassemblement chaleureux aux allures de pique-nique dominical. Le tout sonorisé d’ambient/dub techno avec le live atmosphérique de Marl K, et en mode camp de vacances électronique en bord de mer, au rythme de l’afro house solaire et disco énergique du duo Bre.tone.
« Ça, c’est les vacances ! » peut-on entendre de la bouche de festivalier·ère·s ravi·e·s posé·e·s dans l’herbe. Mais ça ne vaut pas la folie qui nous attendait à Keroual une fois la nuit tombée.
Alors que le duo féminin explosif Oktober Lieber faisait trembler le chapiteau de la scène Mekanik à coup de techno EBMesque, légèreté et douceur aérienne régnaient du côté de l’Astrofloor avec le live instrumental surprenant d’Apparat. Envolées vocales et guitare autour du dos, la moitié de Moderat livre une prestation aux influences pop, à l’image de son dernier album sorti au printemps dernier.
En rupture avec son prédécesseur, le talentueux Skee Mask a impressionné avec son identité musicale croisant IDM expérimental, techno sombre et house mélodieuse entrecoupée de breaks jungle frénétiques. Le jeune producteur a témoigné de son talent d’innovateur tout en prouvant qu’un voyage sonore introspectif peut être tout aussi dansant et festif. La nouvelle vague underground dans toute sa beauté.
La belle surprise du festival reste le voyage sur Saturne orchestré par les grands pionniers de la techno que sont Jeff Mills et Mike Banks, a.k.a X-102, alias que reconnaîtront les fans d’Underground Resistance. Dissimulés derrière un grand écran où défilent les images de la planète aux 62 lunes, les deux maîtres du genre ont transporté le public avec un live aussi complexe que prenant, d’une finesse rarement égalée.
En déambulant dans ce village déluré, on a eu l’occasion de retrouver la double identité du public breton, habitué de l’atmosphère des free parties. Sa folie, parfois sa désinvolture, mais avant tout son énergie et son respect. Les festivalier·ère·s – même les plus amoché·e·s – vous disent « pardon » lorsqu’ils vous bousculent et vous ouvrent volontiers le chemin vers le devant du dancefloor.
On ne pourra malheureusement pas en dire autant de certains membres du public présent à La Suite, petit club situé sur le port de commerce de Brest où se déroule l’after du premier soir, dont le comportement se teinte parfois de relents homophobes autour de nous. Marquant son engagement à faire évoluer les mentalités et lutter contre les dérives, le festival s’est associé cette année à différents acteurs associatifs : Consentis (prévention des agressions sexistes et sexuelles), Difenn (stages d’auto-défense féministes), Fête Le Debout et Emmaüs.
Astropolis a invité son public à être responsable, autant vis à vis des autres que de l’environnement. Les organisateurs ont su répondre aux deux principaux fléaux écologiques en festival : les déchets et les mégots. En plus des écocups et toilettes sèches disponibles sur le site de Keroual, une sympathique brigade verte avait pour mission de distribuer des sacs poubelle et cendriers de poches au Beau Rivage.
Dans une interview livrée au quotidien régional Ouest-France, Gildas Rioualen – co-fondateurs du festival – a fait part de sa volonté de reconquérir le public d’origine qui a assisté aux premières éditions, ces « festivalier·ère·s de la première heure, qui ne se sentent plus trop en phase avec le côté hyperfestif du public des dernières années ». C’est chose faite. Mais pas que. Tout en se voulant pointu, il règne malgré tout sur ce village festif au cœur du bois enchanté de Keroual un esprit d’ouverture, de partage et d’accueil tout à fait propre. Là où une population est façonnée par son environnement, à Astropolis c’est avant tout les habitants qui font l’événement. Sur les flyers du festival, on pouvait lire comme mantra « La fête dépend aussi de vous ». Message reçu.
Bois de Keroual, Astropolis 2019 © David Boschet
Une atmosphère garantie non seulement par son public déluré, mais aussi par sa ribambelle d’artistes soudés comme les maillons d’une chaîne par le pacte d’Astropolis. Si certains ont regretté une affiche redondante, celle-ci rassemble des DJs et producteurs différents qui vibrent et se retrouvent chaque année en juillet pour célébrer une idée commune de la fête. Et c’est pourquoi sur le village éphémère d’Astropolis règne l’ambiance conviviale d’un grand rassemblement de famille.
En grande prêtresse de la messe annuelle, Elisa Do Brasil a cette année partagé la scène Mekanik aux côtés du vétéran de la jungle, J Majik. Un passage annuel obligé pour la résidente des soirées Massive au Rex et Forever DNB, qui lui permet d’honorer le festival et les organisateurs qui lui ont attribué son nom de scène et l’ont accompagnée dans sa carrière depuis ses débuts. Et pour marquer le coup du côté de l’Astrofloor, les papas du festival – rassemblés sous le nom du Sonic Crew composé des doux « raveurs » Grolex, Dralbant et Da’Gil – se sont laissé la tâche du closing de la soirée, un dernier set mélodique et puissant parfait pour parachever les avancées techno indus de Paula Temple.
Mais avant tout, il s’agissait surtout de rappeler les motivations à l’origine de l’événement : « Faire la teuf librement » s’exclame Christian Roux, un des pères spirituels d’Astropolis que nous avons rencontré au petit matin pour une discussion informelle mais très informative. Présent depuis les débuts, il est le celui qui a « sécurisé » le projet sorti de la tête des deux acolytes de teuf Gildas Rioualen et Matthieu Guerre-Berthelot en 1995, à l’aube d’une répression anti-rave sans précédent qui touche alors la France. Du haut de ses 66 ans, ce personnage haut en couleur à la chevelure volumineuse a de la bouteille : « Pour ma part, ça a d’abord commencé avec les festivals rock et punk dans les années 70-80. Puis progressivement, on est devenus des mordus de rave house et techno. On avait toujours eu l’envie de faire notre propre festival pour rassembler sur une même affiche les artistes qu’on aime et qu’on veut soutenir. »
Dans son livre Electrochoc, Laurent Garnier relevait l’esprit de proximité qui fait d’Astropolis cette joyeuse sauterie en famille où l’on se sent comme chez soi. Pour ses noces d’argent, l’aîné des festivals techno français a su confirmer son statut, en offrant à nouveau un lieu magique de célébration et d’expression du savoir-faire de la fête à la bretonne, tout en montrant – avec ses quelques 21 000 festivalier·ère·s cumulés – qu’il était toujours possible de préserver l’authenticité qui lui donne cette aura si spéciale.
Celle-là même qui finit en explosion de joie, quand son compagnon de route Manu Le Malin termine un closing extraordinaire le lundi au petit matin sur la scène du Cabaret Vauban, sous un tonnerre d’applaudissements. Un de ces moments rares d’extase collective que seuls les festivals de légende savent offrir.
Photo en une : Julia Allio