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Humeur

Les bienfaits méconnus de la sieste disco | Opinion

De Berlin à Buenos Aires, la sieste s’est bien inscrite dans les coutumes des fêtards

  • Andrew Kemp | Illustration : Ellis Van Des Does
  • 5 September 2018

La fête est finie. Magic FM passe sur la radio grésillante du taxi, ses mélodies sucrées te sortent de ta torpeur juste assez longtemps pour laisser le regret s’installer. Dans le club, les choses ne font que commencer. Les meilleurs sélections s’enchaînent, mais te voilà sur le chemin du retour, la mort dans l’âme. Une autre soirée mémorable sacrifiée sur l’autel de ta douleur aux genoux et ta détermination défaillante. Il n’y a pas de retour en arrière possible.

« Quelle importance ? », tu te demandes peut-être. « Est-ce que je ne me suis pas déjà bien amusé ? ». Bien sûr, mais, le remord est tenace. Tu aimerais avoir pu assister à la fin jubilatoire des festivités. Ce sont toujours les heures les plus avancées de la nuit qu’on apprécie le plus, et tu manques le clou de la soirée.

Heureusement pour toi, ce n’est pas inéluctable. Il existe une fée méconnue de la musique électronique, dont on parle rarement mais qui est toujours là quand on l’appelle. Sous-estimée, et peu utilisée, cette héroïne détient la clef de l’endurance des soirées marathon. Mais qui est cette modeste championne ? Permettez-moi de vous présenter : la sieste disco.

On la connaît sous trois formes distinctes : d’abord l’Entracte, lancée par les marathonien·es du Berghain. Elle implique généralement de sortir du club vers 11h le dimanche matin, avant de revenir le soir vers 18h pour rester jusqu’à l’aube le lundi. C’est une opération furtive et sans doute plus qu’aucune autre espèce de fêtards, les Berlinois connaissent bien la valeur du tampon qui permet de re-rentrer dans le club. Puis il y a la ‘Hide & Sleep’ qui implique de trouver un coin tranquille dans le club (il est même recommandé de se camoufler dans une pile de manteaux) et de fermer les yeux jusqu’à ce que les gens commencent à prendre des photos de toi pour les poster sur les réseaux sociaux. Enfin, il y a la Préventive, où on saute l’apéro pour une petite siesta tactique d’une heure ou deux avant la soirée.

Dormir, c’est tricher, disent certains… Mais il en va de même pour ceux qui se poudrent le nez comme une héroïne de film d’époque ; parfois, mieux vaut contourner un peu les règles. Tu veux danser jusqu’au bout de la nuit ? Alors il est temps d’adopter le somme de pré-soirée. Même les ravers les plus énergiques ont besoin d’une dose de sommeil réparateur dans le weekend, et ce dernier peut faire toute la différence entre danser les bras en l’air à 6h sur un closing set euphorique ou se faire réveiller brutalement par un chauffeur de taxi grognon à 3h du matin.

La vraie tragédie de l’histoire, c’est qu’en toute franchise les clubs ne sont pas terribles avant les heures les plus déraisonnables de la nuit. Après 4h du matin, quand ceux qui sont venus pour les gros bangers en ont eu tout leur soûl et s’étouffent avec leurs frites sur le chemin du retour. Il y a plus d’espace sur le dancefloor, la musique devient plus étrange, l’atmosphère plus sauvage. Alors qu’on dépasse l’heure de pointe, il en va de même pour les règles ; la musique peut aller partout. Les attentes ont disparu, la pression aussi et les selectors peuvent enfin montrer leurs plus belles couleurs. Ceux qui sont venus pour se lâcher restent loyalement au premier rang, bière chaude à la main et cette étincelle de sauvagerie dans les yeux, reconnaissable entre mille.

Il ne fait plus trop chaud, on a de la place pour danser et le DJ passe des titres qui sonnent de plus en plus comme s’ils avaient été composés à l’envers, ou même sous l’eau. La techno est distordue, la house sensuelle et les échappées disco sont plus Arthur Russel que Sister Sledge. C’est l’heure des fous, et ne sont-ils pas beaux ? C’est la raison d’être du clubbing.

Bien entendu, certaines villes sont faites pour ces gens. À Berlin le dimanche matin, l'U-bahn regorge de ces tribus migratoires, qui lévitent chez elles pour une petite sieste et une banane, avant de repartir avec un nouveau souffle pour quelques heures de chaos. À Buenos Aires, les clubs n’ouvrent pas avant 2h du matin. Mais allez du côté de Paris ou n’importe quelle métropole française et quelles sont vos chances de pouvoir faire ça ? À part Concrete et ses fameux Samedimanche, les opportunités pour une session clubbing ponctuée d’une sieste réparatrice sont plutôt rares.

Peut-être nous faudrait-il des salles ambient dans les clubs, des coins chill-out où on peut se reposer un moment pour se délasser un peu les jambes, plutôt que de s’effondrer sur un tabouret de bar. Mais avant que cela n'arrive, pourquoi ne pas passer les heures du warm-up à se reposer ? Il ne s’agit pas de sortir toute la nuit et de se réveiller pour une session de ‘dancercise’ huppée destinée à la France qui se lève tôt ; mais de se réveiller à 3h du matin pour se rendre en club et profiter pleinement des heures déglinguées. Vous remercierez votre bonne marraine la Fée de la sieste disco pendant l’after.

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