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Miley Serious : un souffle de poésie punk sur la scène électronique

Une amoureuse de rave culture

  • Texte : Camille-Léonor Darthout | Photos : Marie Dapoigny
  • 8 August 2018

Depuis son installation à Paris, Miley Serious a mûri un projet tentaculaire. Patronne du label 99cts, résidente sur les ondes radiophoniques web spécialisées feu-Piiaf et Rinse France, DJ fédératrice d’un mouvement techno ancré dans une scène underground : à 29 ans, la Toulousaine s'investit corps et âme dans la scène française. Si la musique est une passion — ponctuée par d'heures de digging, de rencontres, de gigs et bientôt de direction artistique le jeudi soir à la Java - c’est aussi un sujet de réflexion sociologique et un moteur de recherche pour Aurore Dexmier.

Plus de 10 ans après avoir effleuré ses premiers potards dans la ville rose, Miley Serious s’intéresse au versant méconnu de la culture rave - celui de la sociologie du club. Retour sur un parcours atypique et une sensibilité artistique singulière qui confèrent à cette selector une assise méritée sur la scène hexagonale.

« Désolée pour l'obscurité, j’essaie de garder l’appartement frais ». Le petit ventilateur posé au sol à côté d’un tabouret tam tam transparent rempli de figurines Tortues Ninja diffuse un vent de fraîcheur timide. Son chat Junior est affalé sur le canapé et occupe la moitié de l’espace. Aurore s'assoit à côté de lui. La jeune femme est pétillante et tout sourire. Ses deux bras sont tatoués à l’effigie de personnages de dessins animés issus d’une génération d'avant internet. Dans un décor chargé des murs aux étagères, rempli de bui-bui colorés chinés dans les magasins 99cts américains et au Japon, Miley Serious offre un cadre si singulier qu’on se croirait dans un film. Celui de sa vie.

TOULOUSE

Aurore grandit à Montauban, dans une famille nombreuse avec deux grands frères et une soeur adoptive coréenne. Très tôt, elle découvre la musique au sein de sa fratrie. Elle joue dans des groupes de punk et de garage incitée par son frère aîné, puis la musique électronique et la culture rave par le benjamin de la famille, qui l'initie à la drum'n'bass. À l’obtention de son bac à 16 ans, Aurore part vivre à Toulouse pour suivre des études de stylisme desquelles elle se détourne rapidement. Avec son ami O.xander, elle s'intéresse de plus près à la musique électronique et ensemble, ils apprennent à mixer sur vinyles avec un crew de locaux. Passionnée par les fripes, elle accepte un poste de vendeuse et se consacre pleinement à ses deux nouvelles passions loin de l’école.

« J’aurais été une très mauvaise artiste, que ce soit pour la création de vêtements ou pour la peinture. J’ai besoin de comprendre l’art. Mon but, c’est de développer une partie sociologique de l’art. »

Pour se faire un peu d’argent, Aurore mixe dans des clubs de garage et de punk. Nous sommes en 2005 et l’eurodance fait rage sur les dancefloors. Un temps marqué par la découverte du titre ‘Show me love’ de Robin-S, inscrit à l’aiguille au dessus du poignet gauche de la toulousaine.

« What I really Need, Is somebody that really cares - I really need a lover - A lover that wants to be there »

«’Show me Love’ a toujours été ma musique préférée. Les paroles sont hypers belles et elles montrent exactement le romantisme qu’il y a sur le dancefloor. Elles racontent quelque chose qu’on aimerait tous vivre.»

Le Korg M1 du morceau aurait pu être l’instrument fétiche d’une productrice. Si la jeune femme avait décidé de se lancer sur cette voie. Mais par choix, Dexmier veut diffuser de la musique et non pas la créer - le seul album qu’elle ai produit, il était pour son chat Junior et c’était juste pour s’en amuser. C’est la découverte musicale, le véritable moteur de cette passion. Le punk à laissé naturellement et progressivement place à la musique électronique.

« Je n’ai pas commencé à écouter de la techno. La musique électronique s’est insérée dans ma vie à une époque donnée. Les gens qui faisaient du garage et du punk se mettaient parfois à produire de l’électro. Pour moi, ça a commencé avec Le Tigre, c’était pas de la techno, mais c’était électro ».

Le Tigre, c’est un groupe fondé en 1998 par la chanteuse Kathleen Hanna, connue grâce à son projet solo et de label The Julie Ruin et modèle girl de Aurore. Un groupe d’« electroclash » qui découle du mouvement musical Riot Grrrl, apparu dans le début des années 90 aux Etats-Unis. Entre le punk rock et le rock alternatif, ce genre est singulier par sa politisation féministe qui traite des violences conjugales, du viol, du sexisme, du racisme et surtout - de la montée en puissance des femmes. Et voilà comment l’électronique s’est installée dans l'univers punk - et dans les oreilles de toute une génération.

À l’Ambassade, un ancien club underground à l’aspect grunge de Toulouse, Miley Serious côtoie des artistes de la scène parisienne alors qu’elle chauffe la salle, en warm up avec O.Xander. Dans cet établissement, c’est un véritable « squat à rave party » : une population mixte et décomplexée où les graffeurs côtoient des fêtards plus âgés. Tout le monde rentrait. La fermeture de la salle, devenue aujourd’hui un restaurant, marque la fin d’une époque. Si la scène underground locale est aujourd’hui portée par des collectifs pointus et avant-gardistes comme Folklore, Toulouse a perdu son fief d’antan.

NEW-YORK

Après 10 ans dans cette « ville-village » du Sud, Aurore tourne en rond. Elle veut partir seule, et rêve de New-York. Et puis, il y a aussi cette idée de mûrir un projet musical. Miley Serious est en route. La jeune femme le concède, l’herbe paraît toujours plus verte ailleurs.

« Ce n’est pas de partir le plus compliqué. C’est la solitude et l’éloignement avec ses proches. Le plus difficile quand tu te retrouves dans un autre pays et sans attache, c’est le rapport que tu as avec toi-même, c’est une grosse remise en question. New-York, je l’aime comme je l’a déteste. J’ai aimé cette expérience à fond, mais je ne veux plus y vivre. »

Le visa d’Aurore est prolongé sur un coup de bol : des orages violents éclatent alors qu’elle doit booker son retour en France. Son autorisation de résidence est prolongée, à défaut de moyens de transport disponibles. En 5 mois, elle grandit. Des moments de doute, sans travail ni attache, à ressasser dans le parc de Brooklyn Bridge avec vue imprenable sur Manhattan - jusqu’à la découverte d’une mouvance culturelle effervescente, un petit royaume du DIY. Un rêve éveillé.

Son QG, c’est le Bossa Nova Civic Club, une institution alternative de Brooklyn dans lequel des artistes comme Volvox, Patricia ou encore J Albert se font discrètement un nom avant d’exploser. Un décor à la David Lynch, damiers au sol, lumière tamisée et dancefloor embrumé, le club est pour Aurore un nouvel El Dorado musical.

« J’avais qu’une envie, c’était d’y être tout le temps. C’était de voir tous les gens que je diggais sur soundcloud en vrai et d’accéder à une scène dont je rêvais. »

Marquée par le set de Patricia ou celui de DJ Spider sur le rooftop estival de l’Output au coucher du soleil, Aurore revient avec des souvenirs plein la tête et les valises. Trois bagages dans lequel elle entasse fringues chinées et bibelots achetés dans les shop « tout à 1€ » américain, les 99cts. Comme un parfum de ce qui viendra quelques mois plus tard, à Paris.

PARIS

Le retour en France est difficile. Elle s’était jurée de ne jamais vivre à Paris. Pourtant, c’est bien devant la porte de sa nouvelle collocation dans la capitale française qu’elle se trouve accompagnée d'un monticule empaqueté de souvenirs de New-York. En essayant d’ouvrir la porte, les clés tombent dans un trou sans fond. Heureusement, un colocataire lui ouvre la porte. Dans sa nouvelle chambre vide, seul un matelas occupe l’espace, elle s’effondre. Et voilà, le rêve s’est bel et bien évaporé et la réalité émerge. Penser à New-York est douloureux, et il lui faut une bonne semaine pour se remettre sur pied.

« Je ne me sentais pas de recommencer quelque chose ».

Paris est un choix, alors elle s’y accroche. Elle travaille pour un studio photo et entame une troisième vie. Ses rencontres lui offrent de nouvelles perspectives. Dj ouai, rencontrée à New-York alors qu’elle était en voyage avec sa famille, lui présente son groupe d’amies composé de Klou et Carin Kelly. Ensemble, elles deviennent TGAF. Une aventure aujourd’hui conclue, mais une expérience inoubliable.

« On a fait tellement de choses ensemble que je n’aurais pas pu imaginer, je n’ai aucun regret. Mais on ne savait pas trop ce que les gens attendaient de nous. Parfois on se posait des questions, d’être autant mises sur un piedestal, alors que ça venait de commencer »

Toujours soudée en temps qu’amies, TGAF se sépare pour se consacrer à des projets personnels. Miley Serious est devenue de son côté une figure emblématique et immanquable de la scène électronique parisienne. Résidente Rinse France, DJ techno appréciée et fédératrice, elle crée son label 99cts, clin d’oeil à son vécu new-yorkais.

« Il fallait un aboutissant à ce que je fais toute la journée, digger. Avoir mon propre label pour sortir ce que j’aime. Je sais que c’est une goutte d’eau dans un océan de labels. Mais avec le fanzine, je pouvais apporter quelque chose d’autre ».

Le fanzine, c’est un hobby de longue date, entre l’époque punk et le DIY venu de New-York. Une revue créée et réalisée par des amateurs passionnés pour d'autres passionnés. Un discours souvent politisé, et un petit objet de collection. Un plaisir personnel, devenu finalement le noyau de la proposition de 99cts. Le label se veut une porte ouverte dans un monde musical difficile d’accès pour les jeunes artistes indépendants - qui se retrouvent souvent face à un mur. Les producteurs que Miley Serious signe sont étrangers. La fondatrice du projet veut amener la musique qu’elle adule sur le territoire français. Qu’importe le risque, c’est de la passion.

Un procédé artistique honorable qu'elle constate de plus en plus fréquemment sur la scène parisienne. Ses amis de Renascence prennent des risques sur leurs line-ups, pour donner de la visibilité à une scène alternative, comme avec la soirée dédiée au sous-label de Lobster Theremin, Mörk, ou ce samedi avec l’artiste australienne Roza Terenzi à La Machine du Moulin Rouge. Pour Miley Serious, des organismes comme celui-ci font toute la force de la scène parisienne.

« Ceux qui font des soirées à Paris en ce moment sont ultra-forts et ouverts d’esprit. Il y a un mood incroyable. Que ce soit pour les raves avec Subtyl ou Péripate ou en club avec Jeudi OK et House Of Moda ».

À la rentrée, Miley Serious entame une résidence le jeudi soir à la Java, en tant que directrice artistique. Une première pour elle, un challenge qu’elle compte bien relever avec la même mentalité. Inviter des passionnés qui n’ont parfois jamais mixé, mais qui ont un univers musical intéressant. Tracer une voie, créer quelque chose et qu’importe le risque.

Progressivement, Miley Serious laisse la place à la relève, sur une scène qui se mord parfois la queue et où les line-ups affichent souvent les mêmes noms. Elle en est consciente, bien qu’en en faisant partie : voir toujours les mêmes artistes n’est pas suffisant pour un public averti.

En parallèle, elle aimerait se pencher de plus près sur la sociologie du club. Au fil des années, elle a pu constater à quel point l’étude de la scène rave et underground est enrichissante, en dehors de l’aspect musical. « Parfois j’aimerais répondre que je ne joue pas un style de musique, mais une ville. C’est cette scène qui m’intéresse. J’ai envie de parler du club, de l’architecture, de l’élévation d’une ville autour d’une scène, des collectionneurs de musique, du fanatisme et de l’école visuelle dans la musique électronique ».

Un discours passionnant, encore peu exploité. Dave Haslam en a déjà abordé le sujet dans ses ouvrages comme Life After Dark: A History of British Nightclubs & Music Venues dans lequel il explore la montée en puissance de clubs sur la scène anglaise. Ce qui se passe la nuit va bien au delà du simple moment musical : il y a les rictus de DJs lorsqu’ils envoient des kicks, le comportement du public propre à chaque ville et même les tenues vestimentaires liées à un mouvement musical.

Le Cherry Moon, l’Haçienda, le Space Ibiza ou encore le Omen : ces clubs ne sont pas entrés dans la légende par hasard - et même s’ils ont vu passé des résidences emblématiques et des soirées d’anthologie - l’explication n’est peut-être pas simplement musicale. Miley Serious ouvre les portes à la réflexion, et compte bien lancer un magazine sur culture rave dédié à cette vision polarisée. La musique électronique et la « raveolution » célèbrent leur trente ans, et la portée du mouvement n’a pourtant jamais été aussi large.

Miley Serious se produira le vendredi 31 août sur la scène Woodsfloor du festival lyonnais Woodstower. Plus d'informations par ici.

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