Mirella Kroes: onde de choc sur la techno hollandaise
Rencontre avec l’étoile montante d’Amsterdam
Discrète mais toujours stupéfiante aux platines, Mirella Kroes est une des figures incontournables de la scène hollandaise. Adepte de rave-parties à l’adolescence, elle s’intéresse à la techno après la découverte d’un set de Jeff Mills. Elle fera ses premiers pas aux platines en 2007, dans le booth du Doornroosje – club mythique de Nimègue, ville hollandaise proche de la frontière allemande. Depuis, la jeune femme mène sa barque avec patience et élégance, aiguisant chaque année sa technique et son talent pour des sélections aussi captivantes qu’innovantes. Observée aujourd’hui plus que jamais, elle est une invitée régulière de l’ADE et retournait cet été la scène principale du festival Awakenings – un souvenir qu’elle garde précieusement en mémoire.
C’est au téléphone que nous nous sommes entretenus avec elle au petit matin, entre une séance matinale d’errances musicales et les derniers préparatifs pour ses prochaines dates. Humble et toujours positive, elle retrace les grandes lignes de sa carrière et en profite pour nous parler de la scène au sein de laquelle elle évolue depuis maintenant douze ans.
Comment la musique électronique est-elle entrée dans ta vie ?
J’ai commencé à sortir à l’âge de 17 ans, dans d’énormes raves indoor qui jouaient de la trance et de la hard-house. Mon frère m’a introduite plus tard à la musique de Jeff Mills. À l’époque, je n’ai pas tout de suite compris : j’avais l’impression de n’entendre qu’une boucle qui se répétait à l’infini. En écoutant plus attentivement, j’ai été entendu les variations subtiles de rythmes et de textures. J’ai tout de suite su que c’était ce que je voulais jouer dans mes sets. En déménageant pour mes études à Nimègue, les choses ont commencé à bouger. J’ai rencontré Darko Esser au Doornroosje, le club pour lequel il travaillait en tant que booker. Je m’en souviens comme si c’était hier : il m’a proposé un slot. C’était en juillet 2007, une date qui a beaucoup signifié pour moi ; ce jour-là, j’ai pris la décision très claire de poursuivre cette voie tout au long de ma vie.
Les choses se sont construites pas à pas, avec des hauts et des bas, mais mon amour pour ce que je fais m’a toujours gardée motivée. Aujourd’hui, ma carrière me semble plus stable et je profite plus que jamais. Je suis plus confiante aux platines ; cela me permet de me concentrer sur la musique et mes émotions.
Jeff Mills a donc été celui qui t’a introduit à la techno. Qu’est-ce que ça fait de partager l’affiche avec lui le 28 décembre prochain ?
Ce n’est pas la première fois que nous partageons l’affiche, mais c’est la première fois que je me retrouve seule à ses côtés. Je suis en charge de son warm-up et, très sincèrement, l’honneur est immense. Il a été ma première rencontre avec la techno, c’est tout un cycle qui se referme. Je suis impatiente et je prévois un set très particulier pour l’occasion.
Tu es connue pour être une pro en matière de digging. Quelles sont tes méthodes aujourd’hui ?
Je trouve la plupart de mes morceaux sur internet aujourd’hui. Je reçois des promos mais je ne peux pas me limiter à ça. Heureusement, car j’apprécie tout ce processus de recherche. Quand je découvre un nouvel artiste, je jette un œil à tout ce qu’il a pu sortir par le passé. Je regarde aussi les labels dans lesquels il a été signé et je fouille tous leurs catalogues. J’utilise de plus en plus bandcamp : il y a certains labels qu’on ne trouve que là-bas… Si tu ouvres mon ordinateur tout de suite, il y a tellement d’onglets ouverts : les promos, SoundCloud, Spotify… Je suis une personne très chaotique, ça se traduit dans la manière dont je cherche de la musique.
Comment reconnais-tu un bon morceau ?
Un morceau qui me plaît déclenche une émotion ou une réaction physique. Je me mets à sourire, mon corps commence à bouger. Parfois, j’imagine comment il sonnerait sur le dancefloor. Après un certain temps, tu parviens mieux à définir tes goûts. Lorsque je joue en warm-up, j’aime commencer avec des morceaux proches de l’ambient. Au climax, je joue plus fort et plus rapide. Quoi qu’il en soit, la techno mécanique n’est pas trop mon truc : je la trouve très masculine. Pour moi, d’une certaine manière, la techno doit avoir un côté sexy.
Que fais-tu lorsque tu n’es pas occupée par ton métier de DJ ?
Je passe du temps avec mes ami·e·s et j’essaie de méditer tous les jours. Le monde de la nuit peut être très intense – tu dors peu, il faut parfois te lever très tôt et te coucher très tard - alors j’essaie de rester en bonne santé mentale et physique. J’occupe aussi un emploi plus classique, en parallèle de mon activité de DJ. J’y tiens énormément car j’apprécie être en compagnie de personnes extérieures à l’industrie musicale, ça m’aide à garder les pieds sur terre. Si la musique était ma seule occupation, j’aurais du mal à faire la part des choses. Prendre un peu de distance me permet de voir les choses sous un autre angle.
Comment te sens-tu derrière les platines ?
Quand tout se passe bien, c’est comme une vague irrépressible. Je pense qu’il ne faut pas trop réfléchir pour que l’énergie circule plus facilement ; il faut savoir se laisser aller. Les émotions du DJ créent celles du public. Lorsque je me sens le truc, je bouge beaucoup dans le booth. Jouer m’apporte tellement de plaisir… J’ai l’impression de ressentir le dancefloor, comme si j’étais moi-même en train de danser avec le public. C’est ça qui est cool avec la techno : c’est une musique très physique.
As-tu l’impression que la scène techno a beaucoup évolué depuis tes débuts ?
Absolument. En 2007, lorsque j’ai commencé à jouer en club, la mode était à la techno old-school, centrée sur les loops. Puis il y a eu la vague minimale et, aujourd’hui, ce sont les influences rave, breaks et IDM qui priment. Je crois que notre scène se porte bien aujourd’hui. Il y a tellement de bonne musique, de couleurs différentes. Pour ma part, je m’intéresse à cette techno plus contemporaine, profonde, mais on trouve de la musique de qualité partout.
Aujourd’hui, il est de plus en plus facile de produire et de distribuer sa musique. À l’époque des vinyles, les risques étaient plus grands pour les labels, ils étaient peut-être plus exigeants. Mais c’est là tout le défi pour moi : de savoir dénicher les bons morceaux. Il y a évidemment des styles qui me plaisent moins mais qui suis-je pour juger ? Tant qu’il y aura un public pour danser dessus, je pense que la diversité est une bonne chose.
As-tu perçu des progrès récemment pour les DJ féminines ?
Je crois qu’il ne s’agit pas seulement de la musique électronique. En vérité, c’est un sujet global qui concerne le monde entier. Le rôle des femmes au sein de la société est en train d’évoluer. Au siècle dernier, les femmes devaient encore se tenir à une place bien spécifique et respecter les règles qui leur étaient imposées. Aujourd’hui, tout a changé. Les femmes s’investissent dans des industries qui n’existaient qu’au-travers des hommes auparavant et, je crois que certains ne voient pas cela d’un bon œil. Ils n’apprécient pas de voir une femme réussir dans le milieu auquel ils appartiennent. Ils ont parfois l’impression que nous leur faisons de l’ombre, comme s’il y avait une compétition. Pour ma part, je pense qu’il y a assez d’espace pour que chacun puisse briller à sa façon
La société doit passer par une phase de reprogrammation ; pas seulement dans la musique électronique mais partout. À vrai dire, il y a beaucoup de mecs dans la scène techno quisoutiennent les femmes et nous perçoivent comme leurs égales, c’est une chance.
Le dernier morceau qui t’a fait vibrer ?
C’est un titre très spécial que j’ai découvert il y a quelques jours : ‘Hard to Say’ par Djrum. J’attends encore le moment parfait pour pouvoir le jouer.
Ton plus beau souvenir de scène ?
Je pense que ce serait le moment où je suis montée sur le Gashouder d’Awakenings en début d’année. Je ne ratais pas une édition de ce festival indoor lorsque j’étais jeune alors le moment où je suis entrée dans le DJ booth était très spécial. Tout le monde était là, mon frère, mon agent aussi… Une soirée que je ne suis pas prête d’oublier.
Propos rapportés par @Themis_Belkhadra