Nous y dansions : Nicolas Jaar live au Trianon
Exactement un mois après la sortie de son second album Sirens - et le lendemain d’une date surprise pour contenter ses fans qui n’avaient pas pu obtenir de billet, Nicolas Jaar nous faisait re-découvrir son album en live lors d’une date parisienne qui affichait donc complet depuis bien longtemps.
Il est pile 20.30 lorsque toutes les lumières du Trianon déclinent, annonçant ainsi le début du concert. Le public, impatient mais ravi que le show commence à l’heure, exulte. Toutes les lumières finissent par s’éteindre pour plonger la salle dans le noir le plus complet. Et avec se fait le silence. Un silence expectatif savamment provoqué pour créer le contraste avec ce qui est à venir. Comme un canva vierge indispensable pour débuter la performance. Commence alors une longue et lente introduction dans l’univers mystérieux de Nicolas Jaar. Crépitements, bruits de froissement, ruissellement d’eau, bruissement de vent puis nappes de synthé. Tandis que nos yeux s’habituent à l’obscurité et cessent de chercher à voir l’artiste à tout prix pour se focaliser sur les sons, notre ouïe apprivoise les sublimes expérimentations sonores de l’artiste. Enfin un sample de voix familier se fait entendre, un sample que l’on entend dans Être, le premier morceau de son premier album Space Is Only Noise (2011). “Look, it’s a body, a body of land” répété en boucle au milieu de ces bruits intrigants.. Puis comme une constatation de l’artiste face à l’actualité dans laquelle le monde est aujourd’hui plongé, une autre voix répète qu’ “il n’y a plus de système”, autre sample utilisé dans Être.
L’unique spot qui éclaire le dos de l’artiste confère à ce dernier une aura mystique en ne nous laissant voir qu’une ombre mystérieuse qui s’affaire seule derrière ses claviers et autres instruments.
Après vingt minutes de magnifiques explorations sonores en guise d’introduction, les premières basses retentissent enfin et font vibrer le public. Nicolas Jaar prend ensuite son micro et chante de sa voix pitchée dans les graves, cette voix chaude qui nous envoûte depuis si longtemps. Puis l’on distingue son ombre qui attrape un saxophone pour le faire résonner dans le même micro et en sortir un son modifié; surprenant, captivant. La lumière diffractée de trois diodes sur la scène renvoie des faisceaux de lumière dont les scintillements se reflètent sur les sculptures des balcons du Trianon. Le spectacle est magnifique. Couplée avec de la fumée, la lumière change ensuite pour créer des raies qui nous donnent l’impression d’être sous l’eau. Nous voilà alors transportés dans un ailleurs, une sorte d’au-delà mystique dont seul Jaar a le contrôle. Et il nous le prouve en alternant moments lents et expérimentaux, et sessions plus énergiques avec rythme et basse presque techno. C’est lui qui maîtrise l’espace-temps ; c’est lui qui contrôle nos émotions ; c’est lui qui a le pouvoir d’étirer le temps à sa guise grâce à sa musique et l’on s’y abandonne sans retenue.
Aux termes de deux transitions électrisantes, Jaar poursuit avec les deux morceaux phares de Sirens.
Ya dijimos no [Nous avons déjà dit non]
Pero el si esta en todo [Mais le oui est en toutes choses]
No hay que ver el futuro [Pas besoin de voir le futur]
Para saber lo que va a pasar [Pour savoir ce qu’il va se passer]
D’abord le sublime No aux paroles d’une force évocatrice rare et aux rythmes latino réminiscents des racines du chilien. Puis la puissante Three Sides of Nazareth dans une ambiance plus grave. Les lumières de la scène virent au rouge et Jaar nous fait profiter d’un solo de synthé avant de lancer un rythme de basse très techno. C’est puissant, vibrant. Le public saute, danse et applaudit. Et lorsque le calme revient, la prochaine transition nous fait nous demander ce que nous prépare encore l’artiste. En a-t-il fini avec Sirens ? Aurons-nous droit à une session techno plus étendue ? Jouera-t-il quelques morceaux de son album précédent ? Et c’est précisément avec le morceau Space Is Only Noise qu’il poursuit pour le plus grand bonheur de ses anciens fans qui murmurent du bout des lèvres les paroles en même temps que l’artiste.
La musique finit par s’arrêter et tout le monde comprend que c’est la fin. Nicolas Jaar quitte la scène. Le public, bien décidé à ne pas partir sans un rappel, éclate en un véritable tonnerre d’applaudissement. Jaar ne se fait pas prier et regagne très vite la scène le temps de deux morceaux. Il revisite en effet Colomb et la mythique Time for Us avec de sublimes variations de rythme et de tonalité, nous projetant ainsi presque 5 ans en arrière lorsque nous découvrions son premier album.
Mais ça ne s’arrête pas là puisque nous aurons droit à un second rappel; 15 minutes d’une session plus rythmée aux accents disco où nous nous serions crus dans un club au beau milieu de la nuit. Les basses martèlent la foule et la foule martèle le sol de ses pieds, à tel point que l’on peut sentir le plancher vibrer. Une jolie parenthèse qui clôturera la soirée.
Il est 22.30 lorsque le concert se termine. Nicolas Jaar nous aura donc offert près de 2 heures de prestation. Un show poussé, subtile et captivant où l’artiste ce sera mis en retrait - nous n’aurons aperçu que son ombre de toute la soirée - au profit de son oeuvre. Une succession de moments tantôt lents, tantôt rythmés, tantôt électriques, tantôt ambiants, tantôts sensuels, tantôt violents, tantôt nostalgiques, tantôt festifs, mais tous bien assemblés selon l’esthétique complexe mais infaillible et originale de Nicolas Jaar.