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Reportage

Positive Education: Manifeste pour un festival qui rayonne de l’intérieur

La ravolution Positive

  • M. Dapoigny | Photos : © Hortense Giraud
  • 15 January 2020

Qu’on se le dise, Saint-Étienne n’a pas besoin de vos paillettes à la con pour rayonner. Et au sortir d’une saison festivalière éreintante, période où les journalistes musicaux perdent en moyenne 5 ans d’espérance de vie par mois, il fait bon de revenir un peu à l’essentiel de ce qui fait l’intérêt d’une bonne grosse fête techno des familles : “PEF”, manifeste pour un festival qui rayonne de l’intérieur.

En sortant de la gare de Chateaucreux un vendredi soir pluvieux de novembre, devant le sombre parvis qu’éclaire faiblement l’enseigne d’un McDo dépeuplé, on est facilement envahi·e d’un sentiment de vide et d’angoisse imminente.

Il faut dire que de la grandeur industrielle passée de la ville qu’on – enfin surtout les Lyonnais – considère encore comme le parent pauvre de la région Rhône-Alpes, subsistent les silhouettes sinistres de bâtiments en quête de reconversion. Comme un air de décroissance. Mais tout comme nos premières arrivées en free party face au barrage de mecs en kaki titubant sous la boue n’étaient pas nécessairement des plus sexy, il ne faut pas se fier aux apparences. On n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise. Aventurier·ère·s de l’ombre, n’ayez crainte.

Parce que trois jours plus tard, c’est à reculons et avec des papillons dans le ventre, ceux des jeunes amours innocentes, qu’on se traîne jusqu’aux quais de la gare, l’âme creuse comme un bassin houiller et pris·e dans un tourbillon de souvenirs confus, avec l’étrange trouble dissociatif si familier des insomniaques et amateurs de kétamine.

En dépit du sérieux coup porté à nos facultés intellectuelles par le manque de sommeil, du genre dont on met une semaine à se remettre, on se retrouve alors frappé·e d’une évidence : on s’est quand même sacrément bien amusé. Davantage que dans la plupart des festivals français estampillés “techno”. Même les rosbifs de chez Resident Advisor le disent. Mais alors pourquoi le Positive Education a-t-il compris la rave mieux que les autres ?

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Pour un festival de fêtes sans fin

Parce que la techno s’écoute jusqu’à l’aube, jusqu’à midi et au-delà, à repousser les limites du jour dans une dimension où seules subsistent les créatures de l’ombre, les chouettes, les chauve-souris et autres bestioles particulièrement coriaces pour qui un after mène souvent à un autre.

Regroupez ces enfants-pas-sages-qui-ont-toujours-refusé-d’aller-se-coucher-et-n’ont-jamais-grandi dans trois vieux hangars face à une sélection de DJ sets digne des bons clubs de connaisseurs européens comme Salon des Amateurs, vous voilà face à un mélange qui vaut le détour – et peut-être trois nuits blanches. Des back to backs comme on en verra peu dans une vie, à commencer par celui de Bambounou et Batu, une des meilleures performances qu’il nous a été donnée de voir en 2019.

Une expérience d’un niveau qui vous fait oublier les signaux de fatigue extrême, quand votre corps tente de vous rappeler quand même que bordel, vous n’avez plus vingt ans. Mais ça vaut le coup de vieillir quand même.

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De l’importance de la teuf en hiver

Parce qu’il a fait bien froid (1C) en cette fin d’automne, mais ce que Positive Education a manqué en rayons de soleil et en niveaux de mercure, il l’a rattrapé, et largement dépassé en chaleur humaine.

On connaît les murs qui suintent. Ceux des entrepôts de la Cité du Design transpirent la passion pour l’underground de ses organisateurs, Antoine Hernandez et Charles Di Falco, les quatre mains du duo de DJs Les Fils de Jacob. Car ce sont eux qui dégoulinent, distillant autour d’eux des gouttes de sueur positive et une fureur de vivre qu’ont peut-être oublié une bonne partie des gros promoteurs français, hypothétiquement ternis par le passage de plusieurs générations de stagiaires sortis d’HEC (à vérifier, ndlr).

C’est en tout cas cette même passion qui attire année après année les artistes, dont on retrouve bon nombre présent·e·s sur le dancefloor. Et pas n’importe qui – des figures connues pour leur engagement et leur vision particulière de la scène – Manu le Malin, Myako, AZF entre autres – le festival irradie la scène française d’une grosse claque de chaleur du feu de Dieu.

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Remballez vos putain de paillettes

Parce qu’à la décoration de surface qui pollue nos océans et l'horizon des festivals de France et de Navarre avec leur stands maquillage et leur photobooths à Instagramers·euses, option fausse moustache et perruques bouclées qui grattent, on préfère les vrais sourires des Stéphanois·es, ceux qui remontent jusqu’aux pattes d’oie non botoxées, les photographes qui se roulent par terre et font des kicks aériens devant le set dément de Heap (merci Jacob).

Alors osez donc avoir la grâce d’un pisto, enfilez vos vieux manteaux dégueulasses, et venez faire la fête, la vraie. Celle où on ne vient pas que pour exhiber son dernier mini-short à licornes, mais partager quelque chose d’un peu spécial avec d’autres êtres humains qui sont là pour les mêmes raisons.

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Rendez les afters obligatoires

Parce que c’est lors de ses afters que le PEF prend tout son sens. C’est d’ailleurs dans cette troisième salle plus intimiste, dans ce festival après le festival que la fureur du public se réveille, devant des DJ sets de selectors de classe mondiale, connu·e·s ou moins connu·e·s, et c’est là que la direction artistique du festival dévoile vraiment ce qu'elle a sous le capot, avec de véritable pépites comme Heap ou Lil Ronin, qui a pour sa part envoyé valdinguer dans l’hyperespace une troupe de plusieurs centaines de joyeux lurons, un samedi à 7h30 du matin.

Faire durer la fête jusqu’à midi est un pari risqué pour un festival, mais ô combien payant. La diversité musicale qu’on a trouvée lors de ces afters officielles était sans pareille, avec pléthore de sets teintés de jungle, de breaks et autres trésors sortis des coffres secrets d’Outre-Manche (merci Theo Muller), laissant place à une nouvelle génération d’artistes nourrie à la scène rave des 90’s et particulièrement prompte à jouer avec les genres.

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Vers la rave totale

Positive Education fait honneur à une vision à l’ancienne de la rave. Celle des débuts, qui offrait des expériences multi-genres à son public, quand une génération pas-si-désabusée croyait encore que la fête avait le pouvoir de rassembler des gens d’horizons sociaux, de génération et de goûts variés.

On peut ainsi, chose rare pour un petit festival, se laisser errer d’un set techno déjanté de Karenn pour arriver devant la drum’n’bass aux accents deep et liquid de dBridge, avant de s’abandonner aux mains expertes d’une Wilikens en pleine forme. Le tout en l’espace de 10 minutes, entouré d’un public remarquablement varié, en âge comme en origines géographiques.

Et c’est bien parce que ses organisateurs, issus de cette génération de promoters trentenaires dédiés à une vision pleinement consciente, totalisante de la rave, ont à cœur de défendre les meilleurs aspects de l’histoire du mouvement, tournés à la fois vers le passé et l’avenir d’une nouvelle scène dont ils se font les porte-étendards.

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Saint-Étienne, écrin industriel de choix pour l’expérience techno

Remballez vos hangars à moquette infâme, vos scènes “underground” au milieu des hippodromes occupés par 17 générations de bourgeoisie parisienne, vos clubs de mafieux et vos studios télé où plane encore la crasse débile d’Endemol.

C’est d’abord dans les friches, les bars et sous-sols de Saint-Étienne que le jeune collectif Positive Education a pris racine, avant de se faire dépasser par son succès. Et que ça fait du bien de les voir désormais faire vriller leur public venu de toute la France (et au-delà, merci RA) dans les gigantesques hangars du quartier Manufacture-Plaine-Achille, en plein cœur du Forez, dans une ville de tradition prolo – et fière de l’être. De quoi rafraîchir les âmes les plus grises des sales Parigots que nous sommes.

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Soyez humains et imparfaits

Si PEF a bien conscience de son succès médiatique, il reste un jeune festival conscient de ses faiblesses comme de son potentiel. Sa différence : il est porté par un noyau dur d’artistes et de professionnels, des vétérans de la fête qui pour une bonne partie ne fermeront pas l’œil pendant 72 heures.

L’esprit PEF, c’est François X qui saute dans le dernier TGV pour Sainté sans poser de questions pour remplacer Jeff Mills au pied levé, annulé à la dernière minute suite à un couac avec son agence de booking.

C’est un chef de la sécu légendaire, Mehdi – qui déroule le tapis rouge pour vous et soigne son public aux petits oignons – les petits détails qui font d’un festival un lieu à taille humaine où on se sent comme chez soi.

Ce sont aussi quelques faiblesses – un niveau de son qui pêche un peu dans les plus grandes salles, quelques agents de sécurité un peu en retard sur les questions de genre et la culture queer, pourtant fermement attachée à la scène techno.

Et surtout la fragilité économique qui va avec l’organisation d’événement underground pointus et un rapport aux autorités parfois complexe – autant d’éléments qui font de cette aventure une parenthèse si délicate et essentielle en France.

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Assumez votre grain de folie

Il est 9h30 lundi matin. Vous avez la classe d’un pigeon mixomateux, vous voyez un peu double et votre bras-droit est tout aussi foutraque, avachi contre un flycase mais refuse de rentrer parce que merde, on était quand même là pour voir ce closing, c’est important pour le report.

Et là, vous réalisez que vous êtes sans doute le dernier journaliste de métier présent, que toutes les âmes sensées et prêtes à faire face à leurs responsabilités de la semaine sont allées se coucher il y a plusieurs heures – en particulier celles et ceux qui vont sortir leur report dès ce soir, ces fayots. Pire encore, vous avez raté les 3/4 du set d’Helena Hauff. La boulette.

Et alors comme en terminale il y a plus de 10 ans, vous leur pissez à la raie, à tous ces wannabe premier·ère·s de la classe. Il faut se rendre à l’évidence : vous faites n’importe quoi. Mais à plus de 30 ans, ce serait quand même triste de ne pas assumer d’avoir sans doute raté sa vie : non vous ne serez pas président·e, mais au moins, vous aurez des choses à raconter.

À commencer par le sourire tendre mais un peu triste d’Aladdin du Peripate, la fureur démentielle du set des deux loustics Fusion Mes Couilles, les pas de danse de Manu le Malin au milieu de la foule, sa légendaire bouteille de Corona à la main. Les yeux effarés de Myako quand vous n’avez pas pu vous empêcher de balancer une blague vaseuse d’extrême droite sur les chômeurs. La fois où vous avez fait un barrage digne d’une armée de CRS à une file de quinze mecs aux toilettes pour faire passer une Lena Willikens en situation d’urgence. Le regard confus de l’agent de sécurité à qui vous avez tenté d’expliquer la non-binarité en vociférant les poings en l’air, et puis l’œil hagard de toutes les personnes à qui vous avez déblatéré un flot ininterrompu d’inepties toute la soirée, porté·e par un enthousiasme hors du commun, vous, d’ordinaire si discret·e.

Et tant pis pour tous les sets que vous n’avez pas vus parce que vous étiez happé·e·s dans une discussion avec Peev, vieille connaissance de Lyon que vous n’aviez pas revue depuis 10 ans. Tant pis pour ces artistes devant lesquel·le·s vous êtes passé·e·s en coup de vent (sorry, not sorry Helena) parce qu’ils vous ont un peu déçu·e·s.

L’expérience PEF, c’est comme un grand dîner annuel avec la famille qu’on s’est choisie. On festoie autant autour des beats, de notre passion pour les beats que pour le simple plaisir d’être tous ensemble ; une joyeuse de bande de cassos qui a finalement pu trouver un sens (contresens ?) à sa vie.

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Et donnez-nous un peu d’espoir, bon sang

Parce que Positive Education nous redonne de l’espoir quand ce qu’on appelle désormais la “business techno” a fait son lit.

À l’heure où la surenchère sur les cachets d'artistes mettent de sérieux bâtons dans les roues aux quelques producteurs qui prennent encore des risques, ce petit noyau d’irréductibles nous prouve qu’envers et contre tout, avec un grain de folie festive, une passion dévorante pour la musique et de l’humanité à revendre, on peut encore monter un festival qui a du cœur, et quand même une sacrée gueule.

Et ça, ça vaut toutes les performances de Jeff Mills du monde. Bouh Jeff, tu sais pas ce que t'as raté. Alors merci les gars, on se dit à l’année prochaine. PEF ; on reviendra.

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