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Humeur

Pourquoi il faut abandonner les notions de musique “world” et “urbaine”

Avec la vague anti-raciste, un secteur en introspection

  • Marie Dapoigny
  • 10 June 2020

Le 8 juin, Republic Records, label de grands noms du hip hop et du r’n’b américain comme Drake, Kid Cudi, Lil Wayne et Nicki Minaj, a annoncé l’abandon immédiat du terme “urbain” dans ses différents départements, titres de postes et dénominations de genres. Une décision historique qui fait écho à une réflexion portée depuis plusieurs années sur l’usage problématique des genres qui désignent la musique noire.

Le label a annoncé sa décision via un post sur son compte Instagram, incitant l’industrie à lui emboîter le pas : « nous encourageons le reste de l’industrie musicale à nous suivre, car il est important de façonner un avenir dont nous pourrons être fiers au lieu d’adhérer aux structures obsolètes du passé ».

La notion de « musique urbaine » est sous le feu des critiques depuis des années, ses détracteurs indiquant que le terme renforce les stéréotypes racistes et marginalise l’impact de genres à l’histoire et aux formes variées, comme le hip-hop, la soul, le r’n’b, le grime, en les regroupant sous une seule et même entité.

L’usage remonte au milieu des années 70, quand le présentateur radio new-yorkais Frankie Cooper emploie le terme « urban contemporary » pour décrire le panel éclectique de styles qu’il joue alors. Réduit depuis à l'étiquette « musique urbaine », c’est désormais un terme générique destiné aux artistes noir·e·s, quelle que soit leurs différences de styles.

En 2018, Sam Taylor, alors vice president de Kobalt Music, confiait à Billboard : « La connotation du mot n’a rien de positif. C’est minimiser l’immense impact individuel du r’n’b, de la soul et du hip-hop sur la musique. Et en tant que décisionnaires noir·e·s, nous avons le pouvoir d’effacer le mot « urbain » – de faire évoluer la description. »

La même année, Semtex expliquait à Music Business UK : « ‘Urbain’ est une généralisation fainéante et imprécise de plusieurs formes d’art culturellement riches. Je méprise ce mot. Je connais des artistes qui font du hip-hop, du grime, ou du rap. Je ne connais personne qui fasse de la musique urbaine. »

Le 9 juin, les organisations de #TheShowMustBePausedUK et Black Music Coalition, ont partagé une lettre ouverte adressée aux grands groupes de l’industrie musicale, les incitant également à abandonner le terme : « L’industrie musicale profite depuis longtemps de la culture riche et variée des personnes noires. [...] elle échoue à reconnaître le racisme structurel et systématique qui affecte cette même communauté noire. [...] Les déclarations de soutien étaient passionnées et ont été appréciées, mais il est temps à présent de mettre en place des changements tangibles afin de donner une réalité à ce soutien de principe. »

À cet effet, les deux organismes ont dressé une liste de cinq actions concrètes à mettre en œuvre, dont la déconstruction des biais inconscients chez les employé·e·s non racisé·e·s, une formation à l’antiracisme et l’abandon définitif de la catégorie “musique urbaine”.

Le terme "world music" a une histoire similaire. Le 24 juillet 2019, Ammar Kalia signait un essai dans le quotidien national anglais The Guardian : « Why the term ‘world music’ is dead ». Le terme né à la fin des années 80 avait été conçu à l’époque comme un outil marketing permettant de mettre en avant toute une génération de groupes Africains émergents auprès des disquaires. Peu à peu, entre sous la dénomination “world” tout ce qui échappe à la tradition occidentale.

Des voix se sont rapidement élevées contre le terme. Déjà en 1999, le leader de Talking Heads David Byrne écrivait une tribune cinglante dans le New York Times, intitulée I Hate World Music. Son argument : au lieu de laisser les sonorités d’autres cultures changer notre vision du monde, “world” met à distance et dans le même sac tout ce qui nous vient d’ailleurs, et nous conforte dans la domination de la pop culture occidentale.

Suite à la journée Blackout Tuesday et #TheShowMustBePaused de la semaine dernière, l’industrie musicale mondiale a interrompu ses activités pour une journée dédiée à la sensibilisation aux luttes du mouvement Black Lives Matter et à la cause anti-raciste. Une introspection qui a visiblement commencé à porter ses fruits et mis à nu quelques unes de ses faiblesses idéologiques et structurelles.

Les initiatives se sont multipliées depuis, chez les labels comme chez les artistes : Mura Masa a annoncé un programme de formation pour impliquer 10 femmes noires dans le secteur du live. Bandcamp a annoncé la mise en place un fond annuel de 30 000$ dédié aux organisations qui défendent la justice raciale. Un document Google répertoriant les artistes noir·e·s et les labels de personnes noires sur Bandcamp a été mis en place ici.

Sony Music a créé un fond d’aide de cent millions de dollars pour soutenir les organisations favorisant l’égalité des droits. Plusieurs artistes afro-américain·e·s ont également versé des sommes importantes aux associations qui luttent pour la justice raciale aux États-Unis, à l’exemple de The Weekend, qui a versé 500 000$.

Des fonds sont mis en place pour soutenir la lutte des manifestant·e·s américain·e·s et la famille de George Floyd, notamment George Floyd Memorial Fund, Black Visions Collective, #JusticeforFloyd, The Minnesota Freedom Fund, Black Lives Matter et Reclaim The Block.


@MarieDapoigny


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Crédits :

Photo en une : "Last Memory of a Record Store" by Telstar Logistics is licensed under CC BY-NC 2.0


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