Un article historique de 1993 démonisant la scène techno ressurgit des archives de 'L’Humanité'
25 ans après la parution du pamphlet qui a marqué au fer rouge la scène française
Un article a fait date auprès de la communauté électronique française de la première génération, pour toutes les mauvaises raisons. À l'aube du mouvement techno en France, ce n’est pas Le Figaro ou Paris Match qui lance la première pierre sur la bande de jeunes qui s’excitent devant des caissons des heures durant. Non, c’est le quotidien d'extrême gauche L’Humanité qui publie un fabuleux ramassis de crottin au titre accrocheur, « La musique techno a ses rites, ses chefs et ses croix gammées ». Oui, vous avez bien lu : croix gammées. Un vrai morceau d’histoire, récemment mis en ligne sur la version web du journal.
Les fans de techno de l’époque était déjà habitués aux amalgames et aux interprétations douteuses héritées de nos homologues britons du Second Summer of Love de 1988, qui avait déchaîné bien des passions hallucinatoires chez les tabloïds et les journaux TV d’Outre-Manche. Les accusations de nazisme, elles, étaient pour le moins nouvelles au sein de l’arsenal de calomnies et des titres-baveux-qui-vieillissent-mal chez les médias de l'époque.
Passons les coquilles (« Corda » pour le magazine Coda, RIP), on s'arrête à quelques pépites, dont une bien croustillante définition de la techno, « Composée sous ecstasy et LSD et baptisée «acid music», elle exige de celui qui l'écoute qu'il soit sous l'emprise des mêmes drogues. »
L’assimilation du mouvement au fascisme et les rapprochements avec l’idéologie nazie sont, elles, assez déroutantes : « Les groupes techno Mussolini Headkrick, et Laibach n'ont rien à lui envier de ce point de vue, puisqu'ils se revendiquent ouvertement de l'idéologie nazie. Les noms de groupes tels que Klinik, Torture Chamber, Suicide ou Autopsy parlent tout seuls. » Une sélection de groupes indus expérimentaux, EBM à tendance rock voire folk qui n’avaient pas grand chose à voir avec l'acid house effrénée des raves de 1993. Mais ils étaient alors référencés au sommaire du fanzine K.O.F, spécialisé dans les contrecultures digitales et au spectre musical large.
L’auteure de l’article n’est autre que celle qui a rédigé l’infâme « Le Phénomène Rave, Mélange Tout a commencé par un coup de téléphone » la même année, fantasmagorique report de la grande rave “Célébration” de la Grande Halle de la Villette, organisée pour fêter les 20 ans du journal Libération. Toujours selon la même journaliste, un « gigantesque lieu clos transformé en supermarché de la drogue ». Mais qu’on se rassure, cette grande nostalgique du communautarisme des années 70 (« la crise des années quatre-vingt-dix l'a perverti, pourri ») est encore bien en poste, à la rubrique « Culture » de L’Humanité. Allez, un petit « Les gays se déchaînent », pour la route. Ils ont dû voir passer les nazis ?!
Si la communauté peut se permettre d’en rire aujourd'hui, elle en grince encore des dents. Il faut rappeler que les dommages causés à l’image au mouvement naissant en France ne sont pas anodins. Ces articles marquent le début de la répression en masse du mouvement par les autorités. Ils ont fait le lit d’une rhétorique qui collera aux basques du mouvement techno pendant plus de vingt ans, en démonisant ses acteurs, en anéantissant sa crédibilité et en réduisant son importance culturelle. Des stigmates contre lesquels les acteurs contemporains doivent encore lutter.
N’oublions pas que c’est bien à cette désinformation qu’on doit les années de retard qu’a pris la France sur ses voisins européens dans le développement d’un secteur économique et culturel désormais en plein essor. Pour des milliers d’organisateurs, cette approche va déboucher sur plusieurs décennies d'interactions difficiles avec les pouvoirs publics. Pendant ce temps, d’autres capitales comme Londres, Amsterdam et Berlin jouissent d’un rayonnement touristique global depuis près de 20 ans, grâce à leurs scènes rave respectives bien institutionnalisées – non sans accroches. Mais l’an passé, le tourisme techno a rapporté 1,4 milliard d’euros à la ville de Berlin.
Pour reprendre les mots de son auteure, ce papier est « à vomir, effectivement ». Mais qu’on se rassure, ça n’a pas empêché l’organe du Parti communiste de booker quelques artistes techno bien choisis à son festival annuel, la Fête de l’Huma, les années suivantes. Dernier en date : Manu Le Malin. Un de ces jeunes fous censés produire ses morceaux sous ecstasy ET LSD en 1993. Jamais l’un sans l’autre, évidemment. C'est d'ailleurs un miracle que ses synapses aient survécu à ses quelques 17 années de production. Une vraie force de la nature, ce Monsieur Dauchez. Allez, sans rancune, L’Huma. On se retrouve au premier caisson de gauche.