L'art délicat de construire des robots qui font de la techno, avec Moritz Simon Geist
Le producteur allemand dévoile un EP entièrement produit par ses robots
Il existe de nombreux beats élaborés et fusionnés grâce à des robots complexes qui s'imiscent dans les textures sonores électroniques et organiques pour créer une techno faite de cliquetis, de sons variés et de basses. La performance est fascinante et déconcertante, mais la musique elle-même provoque la volonté de danser dans la pénombre d'un club. Cette musique est aujourd’hui encore peu répandue sur la scène électronique ; ce n'est pas surprenant puisque leur processus de création est singulier. Voici un homme et ses machines : Moritz Simon Geist et sa musique électronique robotisée (R.E.M).
Originaire de Dresde, en Allemagne, Moritz Simon Geist est nettement plus qu'un musicien et un producteur. Avant-même de penser à faire de la musique ou à construire des robots, il développe une fascination pour le fonctionnement interne des machines en démontant des radios. La musique reste son intérêt premier et il devient plus tard clarinettiste et pianiste de formation classique. Aujourd’hui, Moritz Simon Geist enseigne l'évolution de la technologie et de la société à l’Université de New-York à Berlin. Un mix d'intérêts qui façonne son dernier projet - un premier EP intitulé The Material Turn - produit en collaboration avec le groupe Mouse On Mars, qui lui font ici office d’assistants sonores.
Avant que la version complète ne soit concrétisée, les projets de Geist ont été rythmés par des performances musicales et des installations sonores - toutes robotiques. Ces dernières ont été présentées à de nombreux festivals et expositions en Europe. Il a également passé une grande partie de son temps à construire une réplique géante de la TR-808, contenant des instruments réels. Un projet devenu légendaire dans le secteur de la technologie.
Après avoir passé plusieurs années à construire, à peaufiner et à tester tous ses instruments de robotique DIY, Geist est enfin prêt à dévoiler sa musique originale avec une sortie officielle.
Toutes les bribes de l’EP The Material Turn sont interprétées par des robots fabriqués par Geist, construits à partir de petits moteurs qui façonne le métal, de robot-kalimba confectionnés à partir d’imprimantes 3D futuristes ainsi que de pièces récupérées sur d'anciens disques durs - qui cliquent et coupent. Un assemblage miraculeux à observer en direct - raison pour laquelle Geist associe à son premier EP une composante visuel qui dévoile ses machines en action.
Nous avons rencontré Moritz pour en savoir plus sur l'homme derrière la musique faite par des robots.
Comment avez-vous développé cette passion pour la musique électronique. Y a-t-il un événement marquant dont vous vous rappelez?
Dès mon plus jeune âge, je voulais comprendre comment les choses fonctionnaient. J'ai démonté la radio de mes parents pour voir d'où venait la musique. Ça ne les a pas vraiment amusés !
Plus tard, j'ai découvert le logiciel Tracker - Scream Tracker & Fast Tracker - et j'ai commencé à sampler. Mais en tant que clarinettiste et pianiste de formation classique, j'ai toujours eu l'impression que quelque chose manquait lors de la création musicale avec un ordinateur. Même dans la musique électronique et la techno, je n'aimais pas le fait de ne rien pouvoir toucher. Mais j’appréciais vraiment le caractère répétitif et statique de la musique synthétisée, j’ai alors pensé « peut-être que je devrais construire quelque chose où je peux contrôler un robot et jouer de la techno, dans la vraie vie ».
De quoi sont faites ces machines? Où trouvez-vous le matériel et quel est le processus les assembler?
Au départ, je prenais juste ce que je trouvais sur le marché de la ferraille, pour fabriquer des machines sonores expérimentales. De vieux composants électroniques trouvé dans la rue, un vieux piano que j'ai démonté, de vieilles platines vinyle. Mon premier MR-808 a été construit sans budget et sans idée de financement artistique derrière, il a été construit avec un matériel qui s’élève à hauteur de 500 €. Je me suis ensuite procuré des imprimantes 3D et là, j’ai obtenu beaucoup plus d'outils et je me suis confectionné un bien meilleur atelier. Maintenant, mes robots sont principalement constitués de choses que j'aime acoustiquement, des tambours, des cordes, du métal, des transmetteurs et des choses dont on m’a fait cadeau. Il y a également beaucoup de pièces en plastique imprimées en 3D et des actionneurs robotiques - comme les moteurs - que j'achète. Mais bon, tout fonctionne !
Quelle était la vision d«Entropy», d’un point de vue audio et visuel?
Je voulais mettre en scène des robots qui jouent avec les humains, mais de manière très amusante et sans référence. Mes robots, par exemple, n'essaient pas de ressembler à des humains. Je voulais que la vidéo soit compréhensible et axée sur le son et l’esthétique.
Ensuite, j'ai commencé à travailler avec mon cinéaste "cuthead" : c’est un génie en ce qui concerne la façon de raconter une histoire tout en obtenant une vidéo qui suive réellement ce qui se passe. Le résultat était très différent de ce que nous avions prévu - mais ça a été génial !
Votre robot géant 808 est légendaire dans le milieu. Qu’est-ce qui vous a inspiré à le construire et comment ça se passe?
C'était un long voyage de trois ans - le plus grand défi étant de rester concentré. À cette époque, je terminais mes études à l'université et j'ai commencé mes expériences. Quand on voit une œuvre d'art ou un instrument, on pense toujours « c’est beau comme ça », et on accueille l'objet comme il vous est donné. Mais ce qui se cache derrière, c’est le processus, les innombrables expériences et les brouillons qui n’ont pas abouti à la pièce finale. Trouver un homologue du monde réel pour chaque instrument de la 808 était un gros effort. Par exemple, la grosse caisse : le son original de la grosse caisse 808 est emblématique. Alors, comment réaliseriez-vous cela dans le monde réel ? J'ai commencé avec une vraie grosse caisse provenant d'une batterie frappée par un batteur robotique, un moteur. Mais ça ne sonne pas du tout comme une grosse caisse 808. Ensuite, j'ai expérimenté avec d'autres tambours et d’autres langues métalliques pour déboucher finalement sur une corde de grosse caisse. Et après quatre à six essais, j'avais un prototype fonctionnel pour une grosse caisse robotisée 808. C'était beaucoup d'expérimentations à l’époque. Désormais il y a plusieurs années d’expériences, d’innombrables lectures, des discussions avec d’autres constructeurs d’instruments et de piratages.
Votre très attendu premier EP est composé de quatre titres, il s’agit d’un avant-goût de votre premier album. Pouvez-vous nous parler de l’inspiration de ce projet et de ce que la musique représente pour vous à ce stade de votre carrière?
L 'EP - dont la sortie est prévue pour le 12 octobre - est suivi par le nouvel album, qui sortira le 16 novembre. Je pense qu'un instrument de musique n'est qu'un support. Ce qui compte c'est la musique. L'instrument change définitivement la façon dont on fait de la musique, mais à la fin, c'est au contenu de convaincre les gens. Les grands artistes peuvent faire des œuvres incroyablement amusantes avec seulement quelques bâtons et un citron !
Je travaillais donc sur tous ces robots depuis plusieurs années. J'ai rencontré Mouse on Mars et je me suis penché sur leur incroyable façon d'approcher le son. Pour moi, il était toujours clair qu'un disque classique de musique serait très important à un moment donné. L'industrie du disque pourrait être en train de mourir, mais un album est toujours un excellent compte rendu de votre travail. En tant qu'artiste, il faut pouvoir présenter une version aboutie de son travail et pas seulement une succession de projets inachevés. Donc c'est mon objectif principal en ce moment. Le fait de le publier sur mon propre label, et d’avoir reçu l’aide de Kompakt et de Mouse on Mars a encore plus de sens pour moi.
Vous avez également un spectacle captivant et engageant, quel est le processus? S'agit-il d'une soirée dansante ou les gens sont-ils surtout attachés aux robots?
Un ami a dit que je travaillais à l’intersection des arts médiatiques et d’une soirée techno, et je pense que c’est tout à fait approprié. Mon but est de faire de la musique uniquement avec des robots et de jouer de manière si convaincante que le public oublie qui produit réellement la musique après 15 minutes. S'il se réveille, c'est encore plus inquiétant.
Comme je tourne beaucoup ma dernière installation des Tripods One est assez robuste, par exemple. Ils peuvent être livrés avec un avion. Ceci est en contradiction avec l’approche expérimentale de la création musicale physique, mais je déteste quand j’ouvre une de mes boîtes après un vol et que la moitié des robots sont cassés. Ils sont donc moins expérimentaux, mais plus robustes.
Quels sont vos projets dans un futur proche? Une tournée ? Encore plus de musique? Encore plus de robots?
Plus de robots ! Plus de robots ! Je planifie déjà mon prochain album - pour celui-ci, je me suis beaucoup concentré sur les robots à percussion, mais je dois absolument travailler davantage avec des robots mélodiques. Alors oui - plus de robots!