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Photo

Regard nocturne : La fête à travers l’objectif d'Anne Raffin aka Annomane

Fêtes parisiennes sous Polaroïd

  • M. Dapoigny
  • 19 May 2020

« Regards Nocturnes » est notre série d'interview dédiée aux héros et héroïnes de l'ombre qui forment les archives de la fête : ces photographes et photojournalistes qui déambulent dans l'ombre et immortalisent nos nuits.

Quand et comment as-tu commencé à photographier la nuit ?

J’ai commencé le Polaroïd il y a une dizaine d’années grâce à des ami.es photographes et mon frère. J’ai tout de suite adoré shooter avec ces appareils analogiques. J’aime le rendu assez imprévisible, la texture de l’image moins lisse que le numérique et le fait qu’on ai immédiatement la photo en mains.

Il y a 6 ans, un copain m’a embarquée voir Didier Allyne mixer à la Machine du Moulin Rouge. On s’est très vite bien entendu, à vrai dire, je ne me souviens même plus qui a proposé que je le suive pour le photographier, c’est là que tout a commencé.

J’utilisais un SX-70, mais la mise au point était particulièrement difficile de nuit parce que je ne voyais pas le viseur, je me suis adaptée en shootant avec un Spectra. Cet appareil a un flash intégré, une focale automatique et un format plus rectangulaire, ce qui fait sa particularité. C’est mon chouchou pour photographier en soirée.

Des travaux qui t’ont inspiré·e en la matière ?

Alex Pixelle m’a beaucoup inspirée et motivée. Elle fait des photos dingues. Portraits, plateaux de tournage, spectacles, elle est partout et n’a peur de rien. Je la vois un peu comme une super-héroÏne badass qui grimpe sur des structures pour photographier la foule et se faufile à travers les gens sans que personne ne la voit jamais. Elle est très accessible et m’a beaucoup conseillé quand j’ai fait une formation en photo-journalisme. C’est fondamental d’échanger et partager entre photographes.

Comment définirais-tu ta vision ?

Ma vision est en accord avec mes appareils analogiques. Le Polaroïd impose des contraintes techniques qui font que c’est assez difficile de photographier un club avec une large profondeur de champ. Cela m’oblige à rester à échelle humaine et être au plus proche des gens. J’ai une âme de sociologue, ce sont les détails qui m’interpellent et nourrissent mes interrogations.

Aussi, j’aime témoigner de la diversité des corps et des identités, ce qui m’amène à vadrouiller dans des milieux très différents. Je peux sortir dans une warehouse techno et un cirque, en passant par une soirée queer ou une ballroom. C’est politique de révéler cette pluralité, et c’est important pour moi de militer en montrant que nous tou.te.s existons.

A-t-elle évolué ces dernières années ?

Ce n’est pas tant ma vision qui a changé, mais plus la méthode.

Faire du Polaroïd nécessite une organisation particulière. Les packs de films doivent être conservés dans le froid pour ralentir la péremption de la chimie (le bac à salade de mon frigo en est rempli) et les photos sont très fragiles, d’où la nécessité d’une pochette pour les protéger après avoir shooté. Il faut donc toujours anticiper les soirées que tu souhaites photographier.

Pour ne jamais être prise de court j’ai commencé à acheter des appareils photos jetables en complément. Ils sont petits, faciles à prendre en main et le développement est peu coûteux. Depuis, j’en ai toujours un ou deux dans le fond de mon sac. Ça fait sourire les gens, ça leur rappelle les voyages scolaires quand on était gosses du coup le lien se crée encore plus vite.

Une série dont tu es particulièrement fière ?

Je pense d’abord au shooting presse que j’ai fait pour Myako. C’était la première fois qu’on me faisait confiance pour ce type d’exercice, et elle m’a tout de suite fait me sentir à l’aise. On a commencé en appartement, puis nous nous sommes baladées autour de la Gare du Nord et sur le pont Lafayette. Par sécurité j’avais prévu de shooter aussi au numérique alors que ce ne sont vraiment pas mes appareils de prédilection. Quand Myako a choisi une de mes photos pour un article de NTS Radio, j’ai été super fière de notre travail ensemble. C’est à ce moment que j’ai compris que faire du portrait me plaisait autant.

Plus récemment, j’ai photographié le spectacle Electric Sideshow au Cirque Électrique. C’est une revue punk avec un concert, de la pyrotechnie, des fakirs, jongleurs, contorsionnistes, pole dance... Le flash du polaroïd étant très puissant, il provoque chez certaines personnes une persistance rétinienne c’est donc impossible de shooter un.e artiste suspendu.e à 5 mètres sans le/la mettre en danger. Je me suis donc concentrée sur la préparation du spectacle et les backstages. J’ai adoré m'immiscer dans ce moment très intime de rituels et cohésion d’équipe. Je suis très contente du résultat.

Une soirée qui t’a profondément marquée visuellement ?

Quand Aphex Twin a fait sa dernière tournée, je n’ai pas attendu qu’ils viennent en France, j’ai pris un billet pour le festival Club to Club à Turin, c’était en 2018. Coup de pot, ça tombait le jour de mes 32 ans. C’était complètement dingue…Entre les transformations visuelles grotesques de politicien.es et personnalités italiennes sur les écrans, les lasers qui fusaient dans tous les sens dans une salle immense avec quinze mètres de plafond et les murs qui tremblaient, je n’étais pas prête. J’ai pris une claque totale.

Ton terrain de chasse favori, la nuit ?

J’aime les endroits permissifs plutôt que répressifs, là où on autorise les gens à être elleux-mêmes et faire ce qu’iels veulent. J’ai tendance à fuir les soirées trop encadrées, j’aime quand ça part dans tous les sens. J’y vois beaucoup d’humanité, avec ce qu’il y a de beau et aussi d’inconfortable.

Une heure particulière où tu obtiens les meilleurs clichés ?

Il n’y a pas d’heure spécifique pour moi et c’est bien ce qui me plait le plus. On peut voir des moments extraordinaires à capturer alors que la soirée vient juste de démarrer tout comme à la sortie d’un club au petit matin. C’est pour ça que je suis de celleux qui restent jusqu’au bout, je ne veux pas prendre le risque de louper un moment qui m’interpelle. Aucune soirée ne se ressemble et il s’agit surtout de sensibilité.

Ton objectif de prédilection en soirée, et pourquoi ?

Je traque beaucoup les moments “what the fuck”, quand quelqu’un.e se laisse complètement aller et s’abandonne, c’est pour cette raison que la nuit m'intéresse plus que le jour.

J’aime capturer l’intime de la foule, le détail noyé dans la pénombre et aussi montrer ce à quoi j’ai accès en tant que photographe, le/la Dj qui cherche un vinyle caché.e derrière les platines, leurs pieds qui gigotent sous le rack, un vernis écaillé.

Une rencontre qui t’a marquée, depuis le début de ta carrière ?

Je pense tout de suite à une soirée en particulier, le tout premier Weather Festival en 2013 à Montreuil. En arrivant en taxi avec des ami.es, on entendait les basses à un kilomètre, il y avait une queue monstre et les gens étaient déchaînés. Quand nous sommes arrivé.es, Marcel Dettmann jouait mais je ne connaissais pas du tout son travail. C’était tellement énorme que je me suis mise à faire comme des gestes de bénédiction avec mes bras en l’air pour remercier ce set de folie. Il m’a vue et m’a fait un hug en retour. Après cette soirée, j’ai enfin pu dire que j’aimais la techno qui tabassait et depuis, quand je le recroise, je le shoote même avec mon portable parce que je regrette de ne pas l’avoir fait la première fois.

Un conseil à donner aux jeunes photographes noctambules ?

Je crois que pour photographier la nuit, il faut être au plus proche de soi. Si tu vois un moment, un détail qui te parle, il faut foncer. Si tu ne t’écoutes pas, tu loupes l’instant. Il faut aussi aimer être seul.e et discret.e parce que c’est en te faufilant que tu arriveras à être témoin des choses les plus sensibles.

Il existe aussi plusieurs façons de faire, il y a celleux qui s’immergent dans la fête et celleux qui restent extérieur.es. Je pense que ce choix est personnel et se fait dès les premières fois de manière assez évidente. Je n’obtiens pas du tout les mêmes photos si je me laisse aller avec mes ami.es, je préfère mon travail lorsque je reste attentive et concentrée.

Où peut-on découvrir tes derniers / prochains travaux ?

J’ai participé au magazine Le Bateau n°17 sur le thème de « La Nuit », j’y ai écrit un texte sur un canva de photos. C’est un magazine que j’aime énormément, auto-édité, sans censure ni publicités. Vous me trouverez aussi dans le dernier numéro de Polyseme magazine sur les sexualité.s. J’y ai participé en solo mais aussi en collaboration avec une amie photographe. Cette revue féministe et inclusive met à l’honneur le travail des femmes*, je les respecte beaucoup pour ça.

Par ailleurs je poste régulièrement mes travaux sur mon compte instagram, dessins, photos, textes. Ça part dans tous les sens, ça me ressemble.

Crédits photo : © Anne Raffin, DR, courtesy of the artist.

Photo en une : Jeudi OK, Concrete

1- Shooting de presse Myako
2- DJ Steaw, Fête de la musique 2015, Syncrophone, Batofar
3- Conforce, Get Underground, Rex Club
4- Polaroïd lift, Iasuke
5- Soirée Conspiration, Le Klub
6- Nadine Thaïland & Crucifist, Pimp My Queer, À la Folie Paris
7- Monsieur Poudre et Pierre Pleven, backstage de l'Electric Sideshow, Le Cirque Électrique
8- Soirée des 2 ans du magazine Le Bateau, Sylvia Slut & Poysen Irish




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