Regards nocturnes : La fête dans l’objectif de Tom Anirae
Le photographe derrière la série 'The Life of Tekno Travelers'
« Regards Nocturnes » est notre série d'interview dédiée aux héros et héroïnes de l'ombre qui forment les archives de la fête : ces photographes et photojournalistes qui déambulent dans l'ombre et immortalisent nos nuits. Premier à se prêter au jeu du Q&A est Tom Anirae, vétéran des raves françaises et auteur de la célèbre série The Life of Tekno Travelers.
Quand et comment as-tu commencé à photographier la nuit ?
J’ai toujours vécu la nuit, donc d’une certaine façon j’ai toujours photographié la nuit. J’ai commencé la photo tout gosse, puis, quant à la fin des années 90 j’ai commencé à explorer les raves c’était naturel de continuer. Puis il y’a eu les squats, et la rencontre avec les techno travelers, c’est là où j’ai commencé la série “The Life of Tekno Travellers”.
Photo : Niko du sound conspiracy en Live
Des travaux qui t’ont inspiré en la matière ?
Le livre de Vinca Petersen No System a toujours été une grande inspiration, mais sinon non je n’ai pas vraiment de culture de la photographie, je me suis assez peu intéressé au travail d’autres photographes. La plupart de mon inspiration vient de l’imagerie “post-punk” des squats 80s, du genre de celle du groupe CRASS par exemple, ou encore toutes les photos du “No East Side”, cette zone squattée entre Berlin Est et Berlin Ouest après la chute du mur.
Comment définirais-tu ta vision ?
Question difficile, j’essaie d’être dans la réalité, de la montrer telle qu’elle est, et quand parfois cette réalité devient hallucinée, c’est là que j’obtiens mes meilleures photos.
Certains photographes sont dans une démarche qui tend à embellir le réel ou à le rendre onirique. Ma démarche serait plutôt d’attendre que le réel pète les plombs et devienne magique, c’est là où je vais shooter.
Photo : Rebeka Warrior, Kompromat, Paleo Festival 2019
A-t-elle évolué ces dernières années ?
J’essaie d’être plus régulier dans ma façon de documenter les choses, oui. Souvent dans ces moments ‘magiques ‘ dont je te parlais, je ne prenais pas de photos pour profiter pleinement de l’instant. Parfois la réalité est tellement jouissive que tu en oublies ton appareil et profites simplement pleinement des choses. Évidement, quand tu sors la série de photos et qu’il n’y en a aucune de ces moments-là, tu te dis que c’est quand même dommage… Aujourd’hui j’essaie d’avoir une approche plus documentaliste là-dessus, plus régulière et de ne pas trop laisser filer tout ça.
Une série dont tu es particulièrement fier ?
J’ai récemment publié une série de 25 photos retraçant un an de tournée avec Kompromat. Je suis assez fier de ce que j’ai réussi à faire : condenser l’ambiance d’une année entière de tournée en 25 photos. Pas évident à faire pour une expérience qui à durer un an !
Vitalic live « Voyager » - Poland 2018
Une soirée qui t’a profondément marqué visuellement ?
À Glastonbury en 2011. J’y étais avec Bassline Circus on faisait des spectacles de cirque techno entre énorme rave et cirque moderne. On finissait vers 5h du mat en général puis avec toute l’équipe on allait faire un tour au Block9 et quand tout le monde avait fini on se rejoignait tous au NYC Downlow chez Maceo’s, une sorte de backstage du backstage. À cette heure de la nuit ça devenait complètement incroyable, délirant, un freak show techno, mélange des genres sans aucune limites. Sorte de Shemale Trouble techno punk sous amphet’. Malheureusement je n’ai aucune photo de tout ça. Mais pour répondre à ta question, visuellement ça m’a marqué.
Ton terrain de chasse favori, la nuit ?
Dans les concerts j’aime photographier depuis la scène et au plus proche de l’action. Je ne suis pas du genre à être à 50m avec un téléobjectif.
Etienne de Crecy - Space Echo - Paleo festival 2019
Une heure particulière où tu obtiens les meilleurs clichés ?
Non ça dépend vraiment de l’ambiance et de la folie du moment. Parfois ça commence très tôt, parfois plus tard. Il n’y a pas vraiment une heure précise. Certaines fois même, je ne fais pas du tout de photos parce que je n’ai pas l’inspiration, ou parce que je fais autre chose.
Ton objectif de prédilection en soirée, et pourquoi ?
Mon objectif favori c’est le Leica 50mm summicron. Parce qu’il capture l’image d’une façon semblable à comment l’œil humain perçoit la réalité.
Je déteste les grand-angles qui vont tout déformer et donner une impression de folie alors qu’en fait rien n’est vraiment fou. Avec un 50mm, si tu sens la folie dans l’image, c’est que la scène était vraiment folle !
Par ailleurs c’est un objectif tout petit, très discret, entièrement manuel avec lequel tes doigts vont tout bosser au feeling et au jugé et non pas contrôlé par l’appareil avec autofocus et autre gadget. Il est construit comme un tank, sans électronique et tout en métal, fait pour s’en prendre plein la gueule sur scène ou dans les backstages, et cerise sur le gâteau son look est tellement pourri que personne pensera jamais à te le voler !
Xavier de Winter Family a FGO barbara - 2016
Une rencontre qui t’a marqué, depuis le début de ta carrière ?
Des rencontres il y’en a eu plein, des artistes marquants aussi, entre autres Jean Michel Jarre, Etienne de Crecy, Vitalic, Public Enemy, Terry Gilliam etc..
Mais récemment une rencontre a marqué un tournant c’est la rencontre du réalisateur Jeremiah. On s’est rencontrés en 2015 sur la tournée de The Do et ça a collé tout de suite, puis on a collaboré sur quelques projets, notamment des clips musicaux, jusqu’à ce que je devienne son directeur de la photographie sur ses derniers projets. Il m’a permis d’explorer une nouvelle façon de voir l’image : animée, 24 images par seconde, et d’allier trois de mes passions : la lumière, la photographie et le cinéma.
Un conseil à donner aux jeunes photographes noctambules ?
Oubliez la technique ; fonctionnez à l’instinct.
Où peut-on découvrir tes derniers / prochains travaux ?
Sur mon site www.anirae-photography.com, ou celui de l’agence Hans Lucas. Un livre de photographie est également en préparation.
Jean Michel Jarre pour la sortie de son autobiographie, Paris 2019
© Tom Anirae