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Un hommage à Andrew Weatherall : révolutionnaire du son et esprit libre

Une légende de la musique électronique, irréprochable jusqu'au bout

  • Joe Muggs
  • 19 February 2020

Andrew Weatherall était le plus grand. Un candidat légitime comme meilleur DJ et meilleur remixeur de tous les temps, un producteur magistral, que ce soit de sa propre musique ou de celle des autres. Un révolutionnaire du son qui a marqué son talent sur plusieurs générations de l'histoire des contre-cultures, un pilier de la scène avec des anecdotes à raconter pendant des jours. Et ce n'est pas tout. En plus de ses réalisations musicales, il était également érudit et gentleman, quelqu'un qui n'a jamais perdu le goût du savoir et de la compréhension, et qui adorait partager ses connaissances. Alors que d'autres artistes de la génération acid house sont devenus blasé·e·s ou se sont figé·e·s dans leur conception des choses, son enthousiasme et son ouverture d'esprit n'a fait que croître au fil des ans. Ces traits en ont fait une source d'inspiration pour les autres, un rappel que le monde fourmille de trésors si vous prenez le temps de regarder dans les recoins inattendus. Et qu'être un véritable acteur de notre culture implique bien davantage que servir un produit pour la consommation des autres : c'est un mode de vie, au vrai sens du terme. Il était également gentil, drôle et généreux, l'antithèse d'une superstar, même si on lui vouait un culte sans faille. (Qui d'autre, après tout, pourrait avoir tout un festival annuel qui leur est entièrement dédié ?)

Weatherall était un polymathe dès le départ. Il a passé son adolescence et les premières années de sa vingtaine à explorer la scène post-punk de Windsor, dans le Berkshire, où il a fait ses premiers pas comme journaliste musical indépendant. Rapidement, il a commencé à graviter autour de musiciens comme Throbbing Gristle, Jah Wobble et des producteurs de dub jamaïcains qui tendaient vers des sons et des idées avant-gardistes. Quand il a découvert le son des Baléares, il a instantanément su faire le lien entre ces origines et les enregistrements électroniques les plus étranges et les plus sombres joués à Ibiza par DJ Alfredo, et retracer des histoires profondes au travers des morceaux. Quand il s'est associé à Cymon Eckel, Steve Mayes et le soulboy pur et dur, Terry Farley, pour former l'équipe de Boy's Own – unis par un amour de la mode, de la musique et de l'aventure – Weatherall n'a pas apporté que sa culture musicale hors-norme, mais des tournures de phrase diaboliques et un sens de l'observation aigu qui ont rendu leur fanzine aussi influent que les soirées qu'ils ont commencé à lancer. Alors que la vague acid house a commencé à s'essouffler, Boy's Own était le grain de sable qui chatouille l'huître, un contrepoint malicieux et espiègle à un optimisme trop large, fournissant un commentaire lucide et essentiel sur la révolution alors même qu'ils y participaient.

De ces fêtes sont nées des relations avec des musiciens, généralement rebelles, comme les Happy Mondays, The Farm, et bien sûr Primal Scream. Entièrement autodidacte en studio, Weatherall y est néanmoins allé avec l'ingénieur Hugo Nicholson et a transformé le soul/rock de Primal Scream ‘I'm Losing More Than I'll Ever Have' en 'Loaded'. Un beat de Soul II Soul, un extrait d'un film de motards de Peter Fonda, faites sonner les trompettes et les chœurs... boum. Les portes entre l'indé et l'électro, le Top 10 et le milieu underground sont décloisonnées, et toute une carrière de brillantes productions et remix a commencé pour lui. À travers la fièvre du début des années 90, tout son travail avec Nicholson reste une explosion de joie incroyable, presque cosmique. Malgré sa franchise à couper au rasoir et un penchant certain pour les sons obscurs, sa vision de la fête et du plaisir n'a jamais versé dans le cynisme. Qu'il s'agisse des clavecins géants en cascade sur American Spring Mix de Scream's 'Higher Than The Sun' ou du country-soul-dub sensuel de One Dove, ils ont constamment trouvé de nouvelles façons d'exprimer l'heureux délire et le sentiment de possibilité infini de l'époque. Par le biais de leurs titres et de leurs extraits, ils ont fait découvrir aux fans d'acid house et de rock indé une histoire musicale tentaculaire : Lee Hazelwood et Nancy Sinatra, Throbbing Gristle, Prince Far I, Brian Wilson et bien d'autres se sont ainsi infiltré·e·s dans les jeunes esprits.

Comme DJ, Weatherall a connu un succès tout aussi retentissant. Après avoir joué des sets couvrant un panel de styles baléariques des plus varié, il s'est révélé capable de se spécialiser dans n'importe quel style. Il pouvait aussi bien jouer devant un public de hippies ou de soulboys, des étudiant·e·s fans de rock ou des fashionistas italiennes, et les séduire. La techno ne le séduit pas tout de suite, mais quand il finit par tomber amoureux du son des DJs qu'il qualifiait de « batteurs de panneau de Prague », il a rapidement rivalisé avec les meilleurs dans ce domaine. Son succès au cours de cette décennie a facilement égalé celui de Paul Oakenfold, Carl Cox et Laurent Garnier, mais – et c'est absolument crucial – il n'a jamais voulu jouer au jeu du DJ superstar. Si de son propre aveu, il se soit senti coincé dans ce style de vie comme n'importe quel·le autre DJ, et qu'il n'était certainement pas dépourvu d'ego, il l'a toujours exprimé en prenant de brusques virages. Qu'il s'agisse d'endosser le rôle de Lord Sabre (pour former le trio The Sabres Of Paradise avec Jagz Kooner et Gary Burns) ou de devenir obsédé par le personnage de BD underground Bastard Bunny, il a toujours simplement trouvé un exutoire plus créatif à son ego, au lieu de se contenter de clamer sa propre importance.

Cette série de virages l'aura peut-être empêché d'avoir les manoirs à Los Angeles et à Rimini qui l'attendaient s'il avait été enclin à suivre la route la plus évidente. Mais c'est précisément ce qui l'a maintenu en vie. Au milieu des années 90, alors que ses contemporains se bousculent dans des arènes de plus en plus grandes, il crée l'alias Bloodsugar (avec David Harrow) et un club du même nom à Londres, devançant la techno sulfureuse ultra-minimale qui va balayer Berlin. Très peu de temps après, il forme Two Lone Swordsmen avec Keith Tenniswood, s'adonnant à l'amour de l'électro et de la basse de la culture soundsystem. Et il y a eu tellement d'autres partenariats en studio, chacun avec un son unique : Le Woodleigh Research Facility avec Nina Walsh, Lords of Afford avec David Hedger, The Asphodells avec Tim Fairplay, et bien d'autres encore. Chaque collaboration a montré que le génie de Weatherall en studio venait de sa capacité d'écoute : lors du remix, il entendait dans le son de départ des choses que personne d'autre n'avait entendu. Et lors de la coproduction, il s'en remettait aux compétences uniques de ses collaborateurs, puis les amplifiait. Avec son oreille affutée se créait alors une sorte d'alchimie créative.

Il faudrait tout un ouvrage pour énumérer ses réalisations. Il suffit de dire qu'il n'y a pas eu une seule année de sa carrière où il n'a pas livré un remix ou une production à la hauteur de ses ambitions. Ses nombreux DJ sets : souvent trois clubs par week-end jusqu'à la toute fin, en plus de ses apparitions régulières lors de son émission de radio sur NTS, jouant de tout, de la techno la plus profonde au rockabilly le plus brut, de l'ambient cosmique au dub apocalyptique. Il a continué à gagner les cœurs et les esprits encore et encore. Ses sets et ses soirées A Love From Outer Space avec Sean Johnston ont récemment incarné un sorte de groove dont on ne voyait pas la fin : jamais de grand splash, toujours une foule régulière, le sens de la fête, la promotion discrète de quelque chose que les parieurs réguliers pouvaient déjà pressentir comme une expérience profonde. Et c'est précisément le cas : Weatherall a toujours insisté sur l'importance de créer une œuvre, au-delà de tout sentiment de nouveauté ou d'accomplissement forcé. Il n'a jamais voulu produire des disques de plus en plus gros, ni réinventer quoi que ce soit : juste continuer à côtoyer les gens, les sons et les idées qu'il aimait. Sa prolificité et sa générosité créative ne visaient pas à gagner l'approbation de qui que ce soit, mais provenait d'un goût inébranlable pour le dub, le disco, la contre-culture, les idées insolites, le son et les gens. De tout cela est née une inspiration toujours plus grande.

Il aurait facilement pu être l'un de nos plus grands critiques culturels. Il était aussi bon consommateur des écrivains et des conteurs spécialisés dans les styles les plus niches qu'il l'était avec la production musicale. Son ami proche et éditeur, Lee Brackstone, le harcelait continuellement pour qu'il écrive un mémoire, ce qui aurait été une œuvre considérable, même si Weatherall prétendait continuellement ne pas se souvenir de la plus grande partie de sa vie professionnelle à cause du brouillard du cannabis et des résidus de folie des années 90. Mais même avec très, très peu de mots, Weatherall pouvait nous attirer dans son monde. Le mois dernier, la semaine suivant le Nouvel An, il a livré un mélange parfait de beat-free cosmic-ambient pour son émission NTS : deux heures de magie rayonnante et spirituelle, précisément ce dont tout le monde avait besoin cette semaine. Pendant le show, il n'a dit que ces mots, de son ton pince-sans-rire typique : « dépoussière les ornements sur la cheminée de votre esprit ». C'était un éclair de génie désinvolte : insensé, hilarant, mais en même temps absolument parfait, décrivant parfaitement la fonction de cette musique profonde et intense, qui attirait l'attention pour l'apprécier encore plus. Cette combinaison de perspicacité, de personnalité et d'aptitude à se rapprocher de la perfection musicale, qui n'a pas été altérée par plus de trente ans de travail acharné et d'indulgence, était tout à fait unique.

Et nous pensions tous qu'il le ferait encore pendant des décennies. Le vide laissé par le départ de Weatherall est trop important pour être compris, les individus et les institutions sont aujourd'hui secoués par sa perte. Mais son héritage est indéniable : il nous a donné non seulement des disques et des DJ sets, non seulement des souvenirs personnels, mais toute une façon d'être, toute une approche de cette culture que nous ne devrions jamais, jamais oublier.



Joe Muggs est journaliste musical freelance and contributeur régulier de Mixmag. Suivez-le sur Twitter

Initialement paru sur Mixmag.net.
Traduit de l'anglais par Camille-Sarah Lorané

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