Kriss Gutierrez, physio à La Cabane : une approche humaine de la sélection en club

Dans le monde de la nuit, la figure du physionomiste, plus communément appelé du « physio », désigne la personne chargée de gérer l’entrée d’un club en sélectionnant les clients selon divers critères. Souvent perçu comme une autorité rigide, un gardien impassible filtrant l’entrée d’un club, Kriss Gutierrez, physio à La Cabane à Bruxelles, incarne une approche plus nuancée, faite d’instinct, d’intelligence émotionnelle et de sensibilité.

Kriss est arrivée dans ce métier un peu par hasard, par le biais d’une amie, Margaux. Sans intention initiale d’en faire une carrière, elle a découvert une véritable passion pour cette fonction pivot du clubbing. L’intuition joue aussi un grand rôle. Elle prend la « température » des clients en fonction de leur attitude et consulte régulièrement la cheffe de bar, qui partage son instinct affûté.

À l’entrée d’un club, Kriss a une double mission : filtrer l’entrée et faire de la prévention sur le déroulement de la soirée. Contrairement à l’idée reçue, elle n’intervient jamais directement à l’intérieur du club. Son travail commence avant même que les fêteurs effleurent le sol du dancefloor.

Les critères de sélection reposent sur une métaphore culinaire « les ingrédients doivent correspondre à l’artiste programmé et au public attendu. » Selon elle, « le club est un espace où l'énergie collective est essentielle, et les premières personnes à entrer donnent le ton de la soirée. »

Pour Kriss, l’ambiance d’une soirée est influencée par une multitude de facteurs : la météo, l’artiste, les vacances et même la pleine lune. Si un établissement est sold out et que les clients ne connaissent même pas l’artiste, cela peut jouer dans la décision de refus. Toutefois, elle souligne : un refus un soir, ne signifie pas une interdiction définitive.

Le rôle de physionomiste est souvent associé à la sécurité et donc à une présence masculine. Pourtant, Kriss n’a jamais ressenti de rejet de la part de ses collègues : « J’ai eu beaucoup de chance, ils ont été hyper bienveillants et accueillants.»

Si elle n’a jamais eu à prouver sa légitimité face à son équipe, elle constate en revanche que certains clients ont du mal à voir une femme en tant que physionomiste, s’adressant d’abord à la sécurité masculine. Mais heureusement, les collègues de Kriss veillent à mettre immédiatement les choses en place.

Selon Kriss, Bruxelles voit une augmentation du nombre de femmes physios, en lien avec une évolution de la nightlife mettant plus en avant les artistes féminines. Bien qu’elle ne ressente pas une sororité explicite, elle constate que sa présence permet aux femmes de se sentir plus à l’aise à l’entrée.

Ce qui passionne Kriss, c’est le côté humain. Elle aime échanger avec les clients, sentir si « la sauce a pris » et recueillir leurs retours positifs à la fin de la soirée. « Quand les clients me reconnaissent et viennent me dire qu’ils ont passé une bonne soirée, c’est le plus beau retour. »

Travailler à La Cabane, un club à jauge réduite, permet à Kriss de reconnaître les habitués et d’adapter la sélection au contexte. « Dans les grands clubs, on doit filtrer par critères plus stricts, mais ici, on cherche avant tout une bonne vibe. » Les clients rivalisent notamment d’ingéniosité pour essayer de rentrer après une sortie définitive. Kriss nous confie qu’un soir, l’un d’eux a prétendu devoir récupérer son « briquet porte-bonheur » dans sa voiture. Kriss, curieuse, l’a laissé faire, observant la scène avec amusement.

Kriss encourage celles qui veulent se lancer à ne pas avoir peur. « Si tu en as vraiment envie, tu seras toujours légitime. » Travailler avec une bonne équipe et dans un club que l’on aime est essentiel, car « tu es le premier visage que les clients voient, tu représentes l’endroit. »

Finalement, être physionomiste, ce n’est pas que filtrer une entrée : c’est comprendre les dynamiques sociales, sentir l’énergie d’une soirée et s’assurer que tout le monde passe une nuit inoubliable.

Propos recueillis par Wendy Dofeza

Crédits photos : La Cabane