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Reportage

Le Bon:Air révèle tout le potentiel de folie festive de Marseille

Le festival phocéen a su exploiter l’espace de la Friche la Belle de Mai

  • Texte & Photos : Sarah P
  • 31 May 2019

Suivez les graffs qui tapissent les murs le long de la gare Marseille St Charles et vous tomberez sur la Friche la Belle de Mai. Mais ils ne semblent pas être là par hasard. Ils sont comme déposés pour livrer des indices sur le lieu atypique qui nous attend au bout de la longue rue Honnorat. Sur un des murs en brique « Je me souviens que j’ai trouvé ça grand ».

Et c’est le moins qu’on puisse dire : une fois arrivé·e au bout de cette rue sans fin, se dresse une imposante bâtisse industrielle de 10 000 m². Cette ancienne Manufacture Impériale de Tabac est aujourd’hui reconvertie en un centre culturel majeur de la ville et de la culture club phocéenne – il compte d’ailleurs en son sein l’un des clubs emblématique de la ville, le Cabaret Aléatoire. Conçue aujourd’hui pour abriter des expositions, radios indépendantes et salles de spectacle, la Friche est devenu un labo d’expérimentations et de développement artistique. On le comprend à l'instant où l'on entre en son sein : les tags et les stickers opportuns côtoient des inscriptions absurdes mais poétiques.

Pour l'occasion, le lieu est découpé en cinq salles, avec le toit-terrasse, la boîte, la ballroom, la boule à facette et la warehouse.

En suivant ces inscriptions aux murs telles de balises, on tombe sur l’escalier qui mène au fameux toit-terrasse – la zone phare de la Friche. Avec sa vue panoramique et son grand espace, il laisse passer le mistral et offre une vue imprenable sur le quartier de la Belle de Mai. L’occasion de contempler le coucher de soleil sur les transats disposés un peu partout. Peut-être une déception : la vue sur la mer prévue dans le kit de la terrasse ne laisse finalement entrevoir qu’une petite partie de la belle méditerranée.

Un bémol somme toute négligeable à côté de l’ambiance que l’on retrouve sur ce gigantesque roof top. En chef d’orchestre de cet afterwork amélioré, on a particulièrement apprécié les performances de la moitié de Mount Kimbie, Kai Campos, qui a livré à lui seul un set enivrant entre house froide et exotique. Le collectif local Dmood a aussi su faire secouer le public du toit-terrasse au rythme de l’afrobeat. Et surtout, la très attendue Jayda G, qui a su chasser les nuages menaçants et faire danser la foule avec une selecta disco/funk évoluant vers une house soulful. En effectuant ses petits pas de danse derrière les platines, elle transmet son énergie communicative, groovy à souhait. Avant de plonger dans l’obscurité, le début de soirée laisse apparaître le public marseillais à son image : cosmopolite et accueillant.

Alors que l’on s’attendait à retrouver cette légèreté dansante et disco sous la boule à facette, c’est face au hardcore/gabber énervé de Miley Serious qu’on se trouve alors – son côté parfois kawaï collait de façon décalée au kitch des pointillés lumineux qui sertissent l’intérieur du dôme et le visage des festivalier·ère·s illuminé – une attaque puissante, brute et sans les paillettes trouvées dimanche à la Boiler Room de la boîte pour se défouler comme il faut avec la fin du festival. On se souvient aussi de la selecta arc-en-ciel et ultra-rythmée de tata DJ Marcelle, qui nous a baladé de la bass britannique au kuduro – certes de façon parfois un peu abrupte mais toujours drôle, entrecoupée de cris stridents que le public reproduit sauvagement en écho.

Sur le côté, la warehouse se pose en contraste face à la lumineuse et presque kitch boule à facette. Grande nouveauté de cette édition 2019, ce parking de 1 250 m² marqué de colonnades bétonnées clignotantes nous guide dans une sombre antre industrielle. Pour coller à l’atmosphère rave, elle accueillait les sets du français qui décolle I Hate Models - qui aurait peut-être pu être plus furieux - ou Manu le Malin avec un show visuel attendu, mais finalement assez décevant ; en dépit du VJing exclusif annoncé, la vidéo en arrière plan colle certes à l’univers ténébreux du parrain du hardcore français, mais manque peut-être d’ambition et peine à convaincre. Aux côtés de la violence du hardcore, la house était également la bienvenue avec la légende de Chicago Kerri Chandler qui a enchanté le public avec ses vocaux soul.

En montant les escaliers – et en esquivant quelques pintes de bière accidentées – on rejoint les deux salles intermédiaires : la boîte et la ballroom. Cette dernière a accueilli la prestation marquante d’une Lena Willikens en pleine forme le vendredi soir. L’Allemande a fait preuve de son talent à construire une atmosphère profonde. Son intro étonnante, mentale et déstructurée, marque une progression lente au kick lourd, martelant agrémenté de quelques pointes aventureuses d’acid. Derrière les platines, concentrée, elle enchaîne les cigarettes et épaissit la nuée déjà bien présente, intensifiant en même temps l’ambiance de club fumant. Au cœur de cette fumée épaisse, les stroboscopes laissent subrepticement paraître des images saccadées de festivalier·ère·s extatiques. Helena Hauff a pris le relai et su s’inscrire dans le prolongement de sa prédécesseure en orchestrant une fulgurante montée en puissance techno.

À la même heure le lendemain, la bass music a mis tout le monde d’accord. Djrum a livré un mélange aussi fascinant que détonnant de techno ténébreuse et de jungle percutante qui a fait bouillonner le noyau du public, au bord du pogo. C’est l’arrivée de Roni Size qui a poussé la foule vers une folie sauvage et incontrôlable, tandis qu’un mec joue à l’acrobate et à cache à cache avec les vigiles entre le DJ booth et la barrière. La puissance de la drum’n’bass atteint son paroxysme. Le système Funktion One encaisse les basses ultra-vrombissantes; les murs transpirent. Il chope le micro et après s’être réjoui de s’être enquillé une bouteille de champagne, il nous annonce qu’il clôturera son set de tracks inédits. Final en apothéose – manquait plus que la champagne shower.

Le dimanche, les familles alors en pleine promenade dominicale côtoient les festivalier.ère.s. À défaut d’avoir le toit-terrasse, l’espace chill avec transats en face de la Grande Table offre un lieu de détente pour siroter un jaune et se reposer un instant après les deux nuits en observant les trains passer.

Pour un groupe de quelque privilégiés, la séance détente se fait à l’écart, dans le module du GMEM. On entre dans ce dôme comme dans une bulle réconfortante ; une lumière tamisée laisse voir les poufs et chaises longues disposées autour du desk. Chacun s’installe et attend silencieusement la prestation de Losange : une symphonie électronique onirique et hypnotique en plusieurs mouvements. Autour de lui, trois spots projettent au dessus sa tête un jeu de lumière, sur ce qui ressemble à une face de rubik cube dont chaque carré change de couleur au rythme de la musique. La performance audio-visuelle nous plonge dans une ambiance qui oscille entre grandeur onirique et moment de détente profond.

Pour ceux qui avaient encore la bougeotte après ces deux jours de festivités intenses, une autre alternative s’offrait à eux : ballroom ou boîte, avec une Boiler Room spéciale. Alors que Jennifer Cardini livrait une prestation EBMesque dans la ballroom, Miley Serious a enflammé la Boiler Room avec sa techno radicale gabberesque teintée de hardcore. Une clôture qui a offert aux irréductibles de quoi épuiser leurs dernières ressources d’énergie.

Dans ce labyrinthe festif, la navigation entre les salles nous fait passer d’un monde à un autre. Mais le vrai fil conducteur du Bon Air, c’est l’énergie, la diversité et la beauté du public marseillais qui s’est montré dans toute sa splendeur.

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