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Qu’est ce que le 2-CP, d’où vient cette nouvelle drogue et quels sont ses effets ?

La mort d’une festivalière à Bestival (GB) a fait la première victime du 2-CP, un psychédélique rare

  • Mike Power
  • 1 March 2019

La mort d’une jeune festivalière de 24 ans, Louelle Fletcher-Michie, fille de la star de la série Holby City John Michie lors du Bestival anglais de 2017, a fait la une de la presse britannique. C'est la première fatalité connue dûe à l’usage d’une drogue psychédélique rare, le 2-CP.

Les histoires scabreuses rapportées par les tabloids sur sa mort sont tragiques et pleines d’allégations navrantes. Son partenaire de 29 ans, Ceon Broughton, est accusé de lui avoir fourni les drogues que les toxicologues ont désigné comme responsables de sa mort. Elle avait également consommé de la kétamine et de la MDMA avant son décès. L’homme est accusé de ne pas avoir appelé les secours quand elle a commencé à se sentir mal après sa prise. Il est jugé pour homicide involontaire. Le procès est en cours.

En mettant de côté les détails sordides de la mort de cette jeune femme, l’affaire doit nous amener à réfléchir sur ce cas, ne serait-ce que pour la banalité des conditions qui ont mené à cette tragédie. Plusieurs milliers d’usagers dans le monde entier prennent régulièrement des drogues multiples et parfois nouvelles au cours de festivals et de raves de plusieurs jours. Et si la plupart s’en sortent sans mal – et pour une partie en ayant apprécié leur expérience – le danger du poly-usage est avéré.

Alors qu’est ce que le 2-CP ? Que fait-il, et d’où vient-il ? Qu’est que qu’il y a derrière les expériences étranges rapportées par ses usagers ? Sous son influence, sa première victime supposée a été enregistrée en train de dire « Singe magique chevauchant la forêt », et des témoins ont dit l’avoir vue manger des ronces.

Les drogues de type 2C, ainsi nommées parce que leurs noms chimiques, plus longs, commencent par ces deux caractères, sont des psychédéliques dont l’usage humain est très récent – et avec une base d’usagers beaucoup plus faible comparées aux psychédéliques classiques comme le LSD et les champignons. Elles sont aussi beaucoup plus dangereuses.

Les 2C viennent de laboratoires de Californie, inventés dans les années 1960, 1970 et 1980 par Alexander Shulgin, un légendaire chimiste spécialisé dans les psychédéliques, connu comme le « Parrain de l’ecstasy » pour son rôle clef dans la découverte de la synthèse chimique et des effets de la MDMA à la fin des années 1970.

Shulgin a inventé des dizaines de drogues. La plupart d’entre elles ressemblent à la mescaline, un psychédélique ancien qu’on trouve dans plusieurs variétés de cactus sud-américains, comme le peyote.

Dans le labo au fond de son jardin, entouré d’un fourbi de matériel déglingué, avec en fond sonore les envolées de Rachmaninoff, Shulgin a modifié la structure de la molécule de la mescaline avec l’élégante approche scientifique qui lui était propre, dans le but de produire de nouveaux composants qu’il considérait comme outils d'exploration de la psyché humaine.

Les drogues de type 2C comportent le désormais commun 2-CB, qui, au bon dosage, reste une substance relativement bénigne, qui donne des hallucinations cartoonesques et augmente la libido. On la trouve aujourd’hui sous forme de cachets pressés, qui contiennent généralement entre 10 à 17mg de la drogue. L’expérience dure environ 5 heures. Le 2-CB est produit en masse en Hollande et coûte environ 5€ au détail. De tous les produits 2C, le 2-CB est le moins dangereux.

Les autres 2Cs sont beaucoup plus rares et offrent un panel de réactions plus large et plus étranges. On connaît à ce jour le 2-CC, 2-CD, 2-CE, 2-CI, 2-CP, 2-CT2, 2-CT7, et quelques autres qui sont si rares qu’il ne méritent pas d’être mentionnés ici.

Le 2-CP n’est pas courant : en 10 ans d’observation du marché et d’analyse des tendances de consommation, je n’ai découvert qu’un vendeur en ligne qui l’ait distribué. Il opérait un site, fermé depuis un an après une large opération de police. Il n’est pas courant, parce que c’est une substance très puissante : qui ne pardonne pas, et qui est potentiellement fatale.

Ces psychédéliques 2C sont extrêmement puissantes et ont ce que les neuropharmacologues et les consommateurs experts appellent une courbe dose-effet abrupte – quelques milligrammes au delà de la dose standard, et l’effet est exponentiel. C’est comme si votre troisième ecstasy vous faisait l’effet de 10 cachets. C’est comme ça que fonctionnent les 2Cs. Avec 10mg de 2-CP, vous allez tripper. Une dose de 20mg après un peu de kétamine et MDMA, et vous jouez avec votre vie.

Shulgin a produit ces drogues pour un petit groupe de connaisseurs qui les utilisaient dans un environnement contrôlé, en prenant des notes et en enregistrant leurs effets. Son objectif : documenter et repousser les limites de la conscience humaine. Ces rapports ont fini dans son fameux ouvrage de 1995, PIHKAL (Phenethylamines I Have Known and Loved), qui ont aussi permis à ses successeurs de les reproduire.

Les paragraphes de PIHKAL sur le 2-CP sont abstraites, révélatrices et à première vue positives: « L’érotisme est excellent. Bon avec la musique. Des images les yeux fermés très différentes des expériences habituelles. Des images lentes, calmes, fortes, d’un endroit sans connection aucune avec le monde éveillé, qui pourtant sous-tend la réalité… Très bonne sensation le lendemain. »

Mais ensuite, un avertissement : « On nous a rapporté une expérience avec laquelle une dose unique de 16mg était clairement une overdose et le test a été qualifié de désastre médical, à ne pas répéter. Une observation cohérente est que la différence entre une dose appropriée et une overdose est très faible ».

En clair, cela veut dire: « Ne faites pas n’importe quoi avec ce produit. La différence entre un bon moment et une ambulance est minuscule ».

Alors comment ce spécimen a-t-il pu se retrouver sur le marché ? La réponse est digitale. Aux débuts du web au milieu des années 90, de nouvelles drogues comme celle-ci sont arrivées à la portée de n’importe qui pourvu d’une connection Internet, alors que les sociétés chimiques chinoises se lançaient dans des synthèses personnalisées pour les amateurs de psychédéliques.

Des communautés de ‘psychonautes’ se sont formées autour de sites comme Bluelight et Erowid pour partager leurs expériences. Les drogues se trouvaient alors dans une zone grise du droit américain, et sont devenues relativement répandues dans certaines franges de la scène rave britannique. De telles substances ont récemment été distribuées par des vendeurs spécialisés dans la recherche chimique, dans des juridictions où elles demeurent légales, des marchés du darknet, ou passées entre amis qui les avaient ainsi obtenues.

Ces drogues sont puissantes. Elles ne sont pas pour l’utilisateur occasionnel : un gramme de MDMA à 1000mg contient 8 doses standard. Un gramme de 2-CP contient 120 doses de 8mg – et ces doses doivent être mesurées avec précision, vérifiées 3 fois sur des balances ultra précises, capable de mesurer à la 3e décimale près. Utilisez une mauvaise balance, et vous overdosez avec un facteur de 10. Remplissez des capsules à l’oeil, trempez votre doigt dans un sachet alors que vous êtes sous influence, et vous risquez la mort, ou un handicap à vie.

En bref, aucune de ces drogues, connues comme des substances de recherche en raison du manque de données cliniques sur leurs effets, ne sont des produits à prendre à la légère, ou à donner à qui que ce soit qui n’ait pas de solides antécédents d’usage de psychédéliques. On ne doit jamais les mélanger avec d’autres drogues ou de l’alcool, ou les prendre en festival ou dans l’environnement d’un club.

Mais de nos jours, n’importe qui peut se procurer des drogues dures comme celles-ci, elles sont à portée de clic. Lorsque j’écrivais mon livre Drugs 2.0 en 2013, neuf consommateurs européens d’une plateforme de vente ont reçu des colis contenant du 2-CP – étiqueté par erreur comme de la buphédrone, une variante de la méphédrone avec des doses standard entre 80 et 100mg. Plusieurs personnes ont fait une overdose à dix fois la dose recommandée de 2-CP. J’ai pu parler à une d’elles :

« J’ai commencé à transpirer énormément, avec des spasmes musculaires incontrôlés, et les choses ont empiré à partir de là. Le trip a duré plus de 30 heures… La nuit était chaotique, apocalyptique, aucun sommeil, j’étais complètement désorientée ».

Une semaine plus tard, elle essaie à nouveau. Même chose, mais pire.

« J’ai adoré le moment où le soleil s’est levé. J’ai passé l’aube toute nue sur ma terrasse. Le monde autour de moi ressemblait à un tableau de Van Gogh mouvant, en rotation – mais beaucoup plus vif et plus précis. J’étais un animal nu, empoisonné et épuisé », elle raconte.

Si vous êtes toujours déterminé à essayer des drogues puissantes – celles-ci ou d’autres – lisez attentivement les instructions sur Erowid.org. Connaissez les dosages corrects minimum. Avant de les prendre, envoyez un échantillon à Wedinos.org ou Energy Control en Espagne pour les tester et les identifier.

Parlez aux utilisateurs expérimentés. Connaissez vos sources, les dosages, testez vos balances, et n’utilisez jamais ces substances en étant isolé·e, ou en conjonction avec aucun autre produit, y compris l’alcool. Ne redosez jamais au cours d’une soirée si la drogue n’a pas eu l’effet escompté ; elle peut très bien monter lentement. Ne prenez jamais de substances non identifiées, qu’elles vous soient offertes par vos amis ou des inconnus en soirée, en club ou en festival, quel que soit votre état. Assurez-vous d’avoir une personne sobre à vos côtés pour vous surveiller si vous choisissez d’en prendre, et demandez-leur de prendre note de ce qui a été consommé.

Et en cas d’urgence – si la respiration de l’utilisateur·rice devient difficile, qu’une grande confusion s’installe, appelez une ambulance immédiatement. Vous ne serez pas arrêté·e, et vous sauverez peut-être la vie d’un·e ami·e.

Mike Power est journaliste freelance et un contributeur régulier de Mixmag. Suivez-le sur Twitter.

Une première version de cet article est parue sur mixmag.net.
Traduit de l'anglais par @MarieDapoigny



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