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Reportage

Tony Allen et Jeff Mills au New Morning : Allen & Mills' nu jazz trio

Comment Jeff Mills, une fois encore, repousse les limites du genre

  • Clark Engelmann
  • 16 December 2016

Tony Allen et Jeff Mills ont joué ensemble sur la scène du New Morning mercredi dernier devant un public de mélomanes aussi ravi que subjugué. La mythique salle de concert parisienne, essentiellement dédiée au jazz et au blues, a chaleureusement accueilli cet incroyable concert. Nous avions la chance de pouvoir y assister, une rencontre comme celle-ci ne se produisant qu'une seule fois dans une vie.

Tony, à plus de 75 ans, est tout bonnement impressionnant. Monstre sacré de la batterie jazz, c’est un des maître et surtout un des fondateurs de l’afrobeat. Et Jeff « the Wizard » Mills, certainement le DJ et producteur dont la carrière est la plus remarquable aujourd’hui. A l'ère de la démocratisation - pour ne pas dire de la vulgarisation - des musiques électroniques, Mills se plaît à repousser les limites du genre, à les réinventer sans cesse. Il a joué plusieurs fois avec des orchestres symphoniques, invité dans de grandes salles de concert classique. Il a aussi réalisé plusieurs performances mémorables - purpose maker, si ça ne vous dit rien, courez donc le visionner autant que l'écouter - . Pour faire simple, c’est un génie qui explore sans cesse de nouvelles possibilités et de nouvelles configurations avec le son électronique et ses médias.

Mercredi soir donc, le New Morning s'est rempli doucement mais surement en attendant le début du concert. Le warm-up était parfait, administré par le Dj, producteur et surtout grand collectionneur de disques qu’est Victor Kiswell. Pendant près de deux heures, il a réchauffé la salle, l’a cajolée, l’a préparée avec une sélection afro-cubaine d’une extrême finesse, plus funky et rapide vers la fin. Le public était à point, totalement dispo pour le concert. C'est que nous croyions car autant vous dire que personne n’était près à ce qui allait se dérouler.

Ce concert, il fallait le voir pour le croire. La rencontre parfaite de l’électro et du jazz, de la boîte à rythme et de la batterie, de la machine et de l'humain. La performance relevait autant de l’improvisation jazz que du live électronique. La façon dont interagissaient les musiciens sur scène, comment ils s’écoutaient, se regardaient. N’importe quelle personne qui a assisté à un concert de jazz une fois dans sa vie vous le dira… La scénographie du New Morning pour l’occasion était intense. Alors que le public était plongé dans l'obscurité, des colonnes éclatantes de lumières et des lasers blanc cloisonnaient l’espace et créaient autour du trio des murs de fumée fugaces. Une scéno, futuriste et solennelle, digne d'un film de science-fiction expé, ce qui devait tout à fait être du goût de Jeff Mills.

Au centre le maître Tony Allen à la batterie, à sa gauche, Jeff Mills aux machines avec une table de mixage, deux petits synthétiseurs acid lab, une TR-909 et une TR-808 et, à la droite de Tony, l’excellent Vincent Taeger, producteur et musicien, membre des Poni Hoax. Ce dernier jouait sur deux synthétiseurs, une TR-303, des congas et enfin un instrument surprenant ; un morceau de bambou muni d’une peau de percussion et d’un ressort. L’instrument, probablement fait maison, permettait de produire des nappes tout en glissando. C’est à Jeff Mills qu’incombait le rôle de chef d’orchestre, comme celui de métronome d’ailleurs.Trois sur scène donc, tous les trois issus d’univers musicaux différents et de formations différentes pour constituer un véritable trio "électro-free-jazz". Le concert consistait en deux morceaux, un entracte puis quatre autres morceaux, jusqu’à la fin. La virtuosité des musiciens, leur maîtrise de l’instrument, leur capacité d’écoute et leur feeling ont rendu cette fusion des genres possibles pour laisser la musique résonner dans sa plus pure expression. Tony Allen l'a d'ailleurs déclamer à la fin du concert "if I go straight to the point, well the point is just the meeting point".

Alors oui, c’était de l’impro free-jazz, et les musiciens évoluaient à la façon d'un trio, allant jusqu’à se laisser de l’espace pour faire des « mini-soli ». Jeff Mills jouait véritablement des machines, comme un musicien, au même titre - presque - que Tony Allen jouait de la batterie. Mais la structure binaire des morceaux, les mesures régulières, de durée égales, leur répartition en séquences de 8, 16, 32, les instruments choisis aussi - Bass Queen, TR-909, synthétiseurs acid lab et Korg - bref… autant d’éléments qui relèvent des musiques électroniques.

Encore une fois, Mills révèle les musiques électroniques sous un jour nouveau. Ici, la machine est un instrument quasiment comme un autre, qui se partage l’espace sonore avec la batterie, qui dialogue avec. C’est intéressant aussi ce qui se passe du côté du batteur, qui doit s’adapter à cette configuration musicale inédite et, d’une certaine façon, redécouvrir son instrument, se le réapproprier. Mine de rien, pour un musicien jazz, la contrainte est conséquente, notamment du fait du séquenceur et de la construction binaire. Les détracteurs pourront d'ailleurs dire que vers la fin du concert, la batterie de Tony se faisait quelque peu éclipser par celui de la TR-909. Mettons cela sur le dos des « premières fois », Jeff Mills, comme les deux autres d’ailleurs, était totalement à l’écoute, attentif et surtout respectueux du maître. Respectueux, il l'a été aussi avec le public du New Morning, nous remerciant "un million de fois pour notre curiosité".

Cela laisse songeur, de voir à quel point le talent, la bonté et surtout la créativité semble intarissable chez certains. Ce qui nous permet aussi d'entrevoir de nouvelles possibilités musicales, loin des dancefloors hystériques et de l'industrie de l'entertainment, et surtout ô combien intéressantes et plaisantes autant pour le musicien que pour le virtuose des machines, sans oublier le public, évidemment.


Crédit photo : Patrice Legoux

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