Un DJ raconte sa rémission du coronavirus et ses semaines en confinement
Après avoir été atteint du Covid-19 et placé en confinement total, un DJ anonyme nous livre ses conseils
"Le DJ Masqué" est une série de blogs rédigés par un·e artiste invité·e qui, sous couvert d'anonymat, nous fait part des expériences et des déboires de la vie de DJ.
J’ai eu le COVID-19. Techniquement, ça fait de moi un super-héros immunisé (enfin pas sûr), mais seulement au COVID-19. COVID-19.5 pourrait bien se pointer à n’importe quel moment, ou une autre variante encore plus tendance. Ça ne m’empêche pas d’être en confinement complet, ici, à Ibiza. Et c’est sans doute pour le mieux. Même si je ne le diffuse pas par tous les pores comme en janvier-février, je peux encore l’avoir sur mes chaussures. Et mes mains. Mon collant disco, ma couronne en carton et ma cape préférée n’y sont pas non plus immunisés.
Je n’avais aucune idée que je l’avais, parce qu’il était encore très tôt; je suis un pionnier, voyez-vous. Enfin… il était encore tôt pour les médias, mais pas pour ceux qui voyagent constamment pour le travail. J’étais dans un club très connu d’Ibiza le jour de l’an, avec un public venu des quatre coins du monde. J’ai pris des avions, des trains, des voitures un peu partout pendant la période des fêtes et au mois de janvier. Et j’étais déjà en pleine rémission quand j’ai entendu pour la première fois le mot ‘coronavirus’ – ce n’est qu’après avoir été testé qu’on me l’a confirmé. Le sentiment de culpabilité est terrible, comme vous pouvez l’imaginer. Je suppose que je dois admettre avoir été un vecteur de transmission pour toute la période où je pensais juste avoir la pire grippe de ma vie. Pour ma défense, cependant, je me suis complètement isolé de moi-même, parce que c’était tellement intense que je ne pouvais rien faire à part tousser tellement fort que je sentais mes yeux sortir de mes orbites et gémir faiblement quand je n’explosais pas en quinte de toux comme un phacochère en rut. J’ai instinctivement pensé “tu n’as pas envie de voir ça” à chaque fois qu’une personne sonnait à ma porte, donc j’ai dit à tous les livreurs de poser leur paquet sur le paillasson en signant leur digi-pad avec un long bout de bois. Mes deux parents très vieux ont déjà survécu au cancer, et traînent quelques problèmes de santé en plus de leur âge, dont les conséquences pour eux, s’ils l’attrapaient, seraient sans aucun doute dévastatrices. Je suis plutôt bien portant et j’ai failli appeler une ambulance à un moment donné. J’espère que vous comprenez, vous ne voulez vraiment pas cette merde, même si vous êtes assez con pour être de ceux qui pensent encore “c’est juste une grippe, je vais aller au bar”. Ce n’est pas “qu’une grippe”. J’ai craché du sang. Et si vous avez peur, là, tout de suite, c’est probablement une bonne chose. Ça veut juste dire que vous avez la tête sur les épaules. Surtout, vous ne voulez pas de cette culpabilité écrasante qu’on ressent en pensant qu’on a été un sujet hautement infectieux.
Dieu merci, après plusieurs semaines passées enfermé dans des studios exigus et avoir rendu visite à ma famille, aucune des personnes avec lesquelles je suis entré en contact prolongé n’est tombée malade, et d’une certaine manière, j’ai eu de la chance de ne pas l’avoir, à ma connaissance, refilé à quelqu’un. L’ironie, c’est qu’il faut que je me retape toute la période de quarantaine tout en étant parfaitement sain. Et ça me va très bien. Le meilleur état d’esprit est de supposer qu’on l’a toujours, à tout moment. Le virus aime jouer les espions, présent sans se montrer.
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Ici à Ibiza, le confinement n’est pas aussi draconien qu’on pourrait le penser. On va encore dans les magasins (dont les étagères sont bien approvisionnées), au travail (si les bureaux sont encore ouverts), on promène son chien. Les gens s’arrêtent et discutent sur le trottoir tout en conservant leurs distances. On porte des gants, parfois un masque totalement inutile, et seuls de petits groupes de gens sont admis dans les banques. Tout le monde se plie aux règles sans rechigner, et sans paniquer. Personne ne pense savoir tout mieux que les autres, ou ne veut faire son show en ignorant les lois. La police est là, en particulier les paramilitaires de la Guarda Civil. On ne plaisante pas avec eux. Ils vous collent une amende sur le champs si vous n’avez pas une bonne raison d’être dehors, et une preuve tangible, comme un ticket de caisse. Ils vous collent même une amende si vous n’avez pas pris le chemin le plus court pour vous rendre à votre destination à l’aller et au retour. Ils sont aussi plutôt sympas quand vous avez clairement besoin d’aide. Comme ailleurs, on a eu un jour de ruée sur le papier toilette il y a 10 jours. Une fois les gens confinés et quand les magasins ont limité le nombre de visiteurs à l’entrée, tout est rentré dans l’ordre. Je reçois toujours mes colis, mon courrier. Je ne suis pas de nature très sociable, donc je dois bien admettre que ma vie n’a pas énormément changé depuis le début du lockdown. Tout est beaucoup plus calme, et ce n’est pas pour me déplaire. Heureusement pour l’économie locale, ça se passe maintenant et pas pendant la haute saison. Il fallait agir rapidement, et les bonnes décisions ont été prises. Les gens ont fait bloc et ont joué le jeu tout de suite.
Ce qui a vraiment changé, c’est que j’ai perdu tout mon travail. Tout. En réalité, dans le milieu des arts et particulièrement la musique, on ne se projette que 3 mois à l’avance, Je venais de booker une tournée au Royaume-Uni, la première depuis un moment. De février à mai. Rien d’autre après ça. En ce moment, tout est à l’arrêt. J’ai réussi à ne pas trop enrager; je vois ça comme quelque chose que tout le monde subit. C’est un délai, plus qu’une apocalypse. Malheureusement, les incertitudes du gouvernement anglais ont fait le plus de dégâts. Alors que toutes les dates européennes étaient annulées et/ou repoussées, les dates britanniques étaient encore en suspend et on a continué à dépenser de l’argent dans des vols, du marketing et des coûts variés alors que les clubs se gardaient bien de donner les avances qui permettent de couvrir ces dépenses. Des crises comme celle-ci requièrent une action ferme et immédiate, pas des opinions. On retiendra sans doute la leçon.
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Qu’est ce que vous pouvez faire à votre échelle ? Cela aiderait énormément la scène si vous n’exigiez pas des remboursements immédiats de vos tickets aux clubs et festivals, mais attendiez plutôt que les événements soient reprogrammés. Vous pouvez acheter des morceaux sur Bandcamp et des plateformes qui paient les artistes directement. Les DJs peuvent transmettre leurs playlists à des organismes comme PRS ou la Sacem pour que les artistes soient rémunérés. Il n’y a aucune honte à s’inscrire, vous payez aussi des impôts pour ces raisons. Des prêts de secours sont mis en place pour les plus fragiles. Le gouvernement a promis d’aider les entreprises. Discutez avec votre propriétaire, à ceux qui vous doivent de l’argent, à votre banque. Avoir un dialogue ouvert et courtois sur la situation est essentiel, rester assis à se plaindre ne va aider personne. Vous pourriez être surpris du résultat.
Personnellement, je suis allé à la banque et j’ai tout de suite obtenu un prêt supplémentaire. Certains peuvent même le faire en ligne. Physiquement, je reste actif pour me maintenir en forme. Ce n’est pas facile de bouger à la maison, mais je m’interdis de rester assis jusqu’à 19h. Mon bien-être physique influe directement mon état d’esprit, donc je mange bien et je fais un peu de cardio pour éviter de devenir claustro. D’autre activités comprennent la création d’un ’sas’ : je laisse une tenue et des chaussures pour aller dehors à l’extérieur de la maison, sur le balcon ou devant la porte. Je détruis les emballages de tous mes colis avant de me laver les mains, et je me les lave très consciencieusement. Je n’écoute pas les recommandations des célébrités. J’utilise de vieux sacs en plastique pour manipuler des objets à l’extérieur, et je porte toujours un stylo pour appuyer sur des boutons, aux distributeurs et sur les appareils à carte. Je pense que c’est mieux d’assumer qu’on est porteur du virus, même si on l’a déjà contracté, parce que si vous l’avez eu, vous pourriez l’avoir encore.
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Tout est tellement calme ici, on dirait une remise à zéro. J’oserais même m’avancer jusqu’à dire que maintenant que la perte d’activité s’est installée et qu’on trouve les moyens d’y faire face, c’est un peu comme des vacances. C’est là pour rester. On ne peut rien y faire. Il est temps de s’autoriser un peu de repos et de penser à ce qu’il va se passer quand le nuage s’en ira. Et il s’en ira. Et on sera encore là, on aura fait le ménage et on tient tout bien au chaud pour le retour à la normale. On se retrouve de l’autre côté.
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Initialement paru sur mixmag.net. Adapté de l’Anglais par @MarieDapoigny.